Le Sommerberg selon Claude Weinzorn

LE SOMMERBERG…


Parmi toutes les bonnes résolutions prises en ce début 2011, il en est une qui va me conduire à choisir très rapidement le prochain nom sur la liste des 51 Grands Crus alsaciens.
Pour cette nouvelle année, je vais essayer d’oublier un peu les prises de tête inutiles en laissant une plus grande place à l’affectif dans ma vie (50 balais passés…je me ramollis un peu !!!).
Par conséquent, pour cette 12° étape, je cède sans résister à mon envie d’aller voir mon copain et parler avec lui de l’un des terroirs qui me tient particulièrement à cœur…ceux qui me connaissent un peu auront bien vite compris que je vais me rendre à Niedermorschwihr et évoquer le mythique Sommerberg en compagnie de Claude Weinzorn.

1-13.jpgLe Sommerberg au printemps (parties centrale et est)

Bien des choses ont déjà été écrites sur ces terroirs et un angle d’approche original et intéressant est à priori difficile à définir…mais je vais quand même essayer de relever le défi.
Je vous propose de me suivre dans mes ballades personnelles avec un peu de théorie (le socle nécessaire à une bonne compréhension), des documents photographiques et surtout des rencontres avec les vignerons qui travaillent dans ces parcelles classées.
Bon, ça je l’avais déjà dit…mais c’est pour les nouveaux.


J’ai longtemps hésité à vous parler de Niedermorschwihr, trop conscient de la gravité des lésions bucco-laryngo-pharyngées que la prononciation (même à voix basse) d’un tel nom pouvait occasionner chez des lecteurs non familiarisés avec notre merveilleux dialecte. Etant moi-même affublé d’un patronyme qui a déjà donné bien du fil à retordre à mes copains « de l’intérieur » (comme on dit chez nous, une fois…) je me sens obligé de vous donner une petite leçon de phonétique préliminaire : ce sera donc « Rade ma chère » ou « Rade maché » pour votre serviteur et « Nidaire morche vire » pour notre destination du jour.
Hoppla c’est parti !2-15.jpg

Niedermorschwihr est un petit village de 600 habitants situé à quelques kilomètres à l’ouest de Colmar. Adossé au massif vosgien et entouré de vignes il y règne une atmosphère joliment bucolique de village de montagne et de cité viticole.

3-15.jpgLe village de Niedermorschwihr vu du Sommerberg

Bien que le site semble avoir été occupé dès l’empire romain, ce village apparaît officiellement en 1179 dans une bulle papale sous le nom de « Morswilre juxta Turenkein ». Il est alors possession de divers établissements et congrégations religieuses dont l’Ordre des Chevaliers de Malte qui ont légué à la localité l’emblème de leurs armoiries : une tête de mauresque ornée de 26 perles sur fond pourpre. Ce vestige du temps des croisades et surement à l’origine du nom du village.

4-3.pngLe blason de Niedermorschwihr…pour le moins surprenant quand on ignore l’histoire de ce village…

5-12.jpg…mais la mémoire des Chevaliers de Malte est omniprésente à Niedermorschwihr6-15.jpg

En 1491, la Vierge portant dans une main un glaçon et dans l’autre trois épis de blé, est apparue à un forgeron d’Orbey sur les hauteurs de Niedermorschwir ; elle lui demanda de faire prendre conscience aux habitants du village de la nécessité d’un retour à une foi plus pure et plus sincère avant que la colère des cieux s’abatte sur leurs moissons (d’où les symboles des épis et du grêlon). A l’endroit de l’apparition les villageois édifièrent une petite chapelle en bois qui fut détruite durant la Guerre de Trente Ans puis reconstruite en pierre et agrandie à plusieurs reprises. Très rapidement ce lieu que l’on baptisa Les Trois Epis devint un pèlerinage très fréquenté où fut construit un couvent qui hébergea successivement un grand nombre de communautés religieuses.
Plus tard, en 1523 « Morswilre » est renommé « Nider Morschwyr » pour se démarquer d’« Ober Morschwyr », un village près d’Eguisheim. A cette époque, malgré sa petite taille, la commune de Nider Morschwyr appartenait pour moitié à l’Empire et pour moitié aux Habsbourg.

7-15.jpgEntre vignes et forêts au dessus de Niedermorschwihr, la chapelle Saint Wendelin.

Le village prospéra calmement grâce à la viticulture et au pèlerinage vers Les Trois Epis qui attirait de plus en plus de fidèles.
Il subit hélas quelques destructions au cours de son histoire, notamment lors de la Guerre de Trente Ans et surtout lors des terribles combats de la Poche de Colmar en 1944 (60% des maisons sinistrées).

8-13.jpgLa colline résidentielle de Hunabuhl et la station climatique des Trois Epis au loin.

Aujourd’hui, dans ce village où l’économie locale est toujours axée sur le tourisme et la viticulture, le promeneur féru d’architecture pourra se régaler en étudiant les nombreux édifices classés à l’inventaire général du patrimoine culturel :

- l’Eglise Saint Gall avec son fameux clocher gothique du 13° siècle à toiture octogonale torse, (une rareté architecturale en Europe) et son superbe orgue Silbermann datant de 1726.

9-13.jpgLe fameux clocher « tors » de l’église Saint Gall

10-12.jpgL’orgue Silbermann de l’église Saint Gall…splendide !

- les maisons à oriel, comme celle de Claude Weinzorn (photo du haut)

11-12.jpgNiedermorschwihr : capitale des oriels !12-11.jpg

- les maisons vigneronnes de style Renaissance.

13-12.jpgSur de nombreuses maisons un porche avec des dates de construction sur la clé de voûte14-13.jpg
15-11.jpgUne belle maison vigneronne du XVI° siècle.

- les maisons à colombage du 18° et 19° siècle

16-12.jpgL’Hôtel de Ville…

17-13.jpg…et le célèbre magasin de gourmandises de Catherine Ferber.

Le touriste plus sportif pourra randonner entre vignoble et forêts sur les sentiers balisés par le club vosgien jusque vers la station climatique des Trois Epis pour admirer le panorama exceptionnel sur le massif vosgien et la plaine du Rhin.
La station climatique des Trois Epis dont des spécialistes prétendent que le sous-sol émet des radiations salutaires reste aujourd’hui encore une destination touristique très fréquentée notamment par des pèlerins et des enseignants qui, épuisés par leur dur métier, viennent se ressourcer dans le centre de cure MGEN.
L’œnophile baigne dans une ambiance presque unique à Niedermorschwihr : la vigne, le vin et les vignerons y sont omniprésents.

Pour moi, ce petit village est l’un des endroits incontournables pour celui qui veut s’imprégner de l’esprit du vignoble alsacien !

 

Le Grand Cru Sommerberg est adossé au massif vosgien au pied de la station climatique des Trois Epis et doit sûrement son nom à son orientation plein sud : « Sommerberg » peut se traduire par « colline de l’été ».

18-13.jpgLes parties centrale et ouest du Sommerberg

Le Sommerberg occupe un coteau rocailleux et abrupt sur une superficie totale de 28,36 hectares et à une altitude qui se situe entre 270 et 400 mètres.

19-12.jpgLe Sommerberg et ses nombreuses parcelles en terrasses qui trahissent la forte pente de ce Grand Cru.

Le Sommerberg est situé en grande partie sur Niedermorschwihr, seules quelques parcelles font partie du ban communal du village voisin de Katzenthal. Orienté au sud avec une déclivité proche de 45° par endroits ce terroir doit une grande partie de sa spécificité à cette particularité physique car comme nous le verrons plus loin le Sommerberg est géologiquement très proche de ses célèbres voisins, Brand, Schlossberg et surtout Wineck-Schlossberg.

20-11.jpgUne parcelle du domaine Boxler fraîchement labourée… promeneurs sujets au vertige s’abstenir !

Sur le plan géologique ce Grand Cru fait partie de la famille des terroirs granitiques : ce sont des « sols bruns acides sableux sur granites à 2 micas » (« Les unités de paysage et les sols du vignoble alsacien »CIVA). Ce substrat granitique à 2 micas, appelé granit de Turckheim, en état de désagrégation très avancé donne naissance à du sable d’arènes granitiques riche en éléments minéraux (fer et magnésium en particulier) mais pauvre en matière organique. Comme le dit Claude Sittler « Ce terroir fournit une bonne nutrition minérale (…) mais peut souffrir de sécheresse, car il retient mal l’eau de pluie ».

21-10.jpgIris et vignes dans la partie supérieure du Sommerberg

Avec des sols pauvres superficiels et drainants qui obligent la vigne à s’enraciner en se frayant un chemin dans les profondeurs de la roche mère et des pentes tellement fortes qu’il faut construire des terrasses pour y travailler il n’est pas étonnant d’entendre dire que le Sommerberg fait souffrir la vigne autant que le vigneron.

22-10.jpgUn sol pauvre et aride de pierres et sables granitiques en bas de coteau…

23-11.jpg…qui devient presque exclusivement pierreux dans les parcelles du haut

Sur le plan historique, le vignoble de Niedermorschwihr est identifié et réputé depuis le XIII° siècle et le nom de Sommerberg définit ce coteau bénit depuis le XVII° siècle. Les pèlerins des Trois Epis qui passaient volontiers par les caves de ce village pour trouver le réconfort on largement contribué à la renommée de ces vins à travers la France et l’Europe. Les nobles de Habsbourg et de Hohlandsberg qui se partageaient la propriété de Niedermorschwihr servaient généreusement ces crus prestigieux pendant leurs fastueuses agapes. Comme toujours, les congrégations religieuses ont été omniprésentes dans l’exploitation de ce vignoble avec notamment l’abbaye de Paris, l’Evêché de Saint Dié ou les Chevaliers de Malte dont le blason du village porte encore la marque.
Au cours du XX° siècle, la course aux rendements et la recherche d’une production facile et quantitative a entraîné de nombreux vignerons vers la plaine, délaissant ainsi les parcelles abruptes du Sommerberg. Il a fallu des hommes d’exception comme Albert Boxler ou Gérard Weinzorn (le père de Claude), qui n’ont jamais cessé de croire en ce terroir, pour continuer à travailler leurs vignes sur les redoutables pentes du Sommerberg. Leur ambition de porter ces vins au sommet de la hiérarchie alsacienne s’est concrétisée en 1983 avec la reconnaissance du Sommerberg dans le premier classement des Grands Crus d’Alsace.

Au niveau de la viticulture, ce Grand Cru mérite pleinement sa réputation de terroir difficile à travailler : le coteau chaud, sec et pentu rend la mécanisation très dangereuse (un vigneron du village a perdu la vie en 2008 dans un accident de tracteur sur le coteau du Sommerberg) voire carrément impossible dans certains secteurs.

24-12.jpgLa chenillette : alliée indispensable des « funambules » du Sommerberg

La conduite de la vigne y est très diversifiée : lorsqu’on se promène dans les parcelles sur le Sommerberg on y trouve un inventaire assez exhaustif des pratiques viticoles actuelles. A croire que les pentes de ce Grand Cru très particulier gardent toujours leur part de mystère aux yeux de ceux qui y travaillent…

25-12.jpgDes « chimistes », dont nous tairons le nom, sévissent encore sur le Grand Cru…

26-10.jpg…à côté de vignerons respectueux de l’environnement comme les Boxler, Weinzorn, Zind-Humbrecht…

Le riesling est le cépage le plus planté sur ce Grand Cru : il occupe 85% de la superficie et ce n’est pas un hasard car comme l’affirme Serge Dubs « Les Sommerberg est l’un des Grands Crus le plus approprié pour produire des rieslings d’exception ». Le pinot gris y est produit en petite quantité mais peut générer de très grands vins de garde, comme la cuvée Les Terrasses 2008 du domaine de l’Oriel.

Dans leur jeunesse, les vins du Sommerberg sont souvent surprenants par leur équilibre assez tendu qui les distingue de leurs voisins granitiques du Schlossberg ou du Brand, généralement plus ronds et d’un abord plus aimable. Evidemment, comme tout grand vin de terroir, la complexité de la personnalité de ces crus ne s’exprime vraiment qu’après 5 ans de garde.
Les rieslings qui peuvent sembler un brin « arrogants » dans leur jeune âge se distinguent, une fois arrivés à maturité, par une grande complexité aromatique (agrumes, fruits exotiques, thym, basilic, épices….) et une puissante salinité avec des notes iodées en bouche…tout un programme !
Les pinots gris font de remarquables vins de gastronomie offrant des équilibres somptueux entre l’opulence et la puissance du cépage sur ce terroir solaire et la profonde minéralité de ce sous-sol granitique.
Mais comme le dit Claude Groell, ancien sommelier du restaurant « Aux armes de France » à Ammerschwihr « Sans sous-estimer l’importance des richesses minérales du terroir, dans le Sommerberg, c’est le microclimat qui fait la différence ». C’est ainsi qu’on constate très régulièrement des réussites exceptionnelles sur ce terroir dans des millésimes difficiles comme 2004 ou 2006 pour ne citer que les plus récents.

27-10.jpgA l’extrême est du Sommerberg le « kougelhopf » colonisé par le colza et la moutarde sauvage

 

…SELON CLAUDE WEINZORN28-10.jpg

Le domaine de l’Oriel se trouve au centre du village de Niedermorschwihr, à quelques pas des pentes du Sommerberg.

29-9.jpgVu du Sommerberg le domaine de l’Oriel avec sa terrasse face au Grand Cru.

Après une matinée passée à flâner dans les rues de Niedermorschwihr et à crapahuter dans les vignes (exercice très éprouvant pour un vététiste vieillissant et en surcharge pondérale…), j’ai rendez-vous avec Claude et Sandrine Weinzorn pour le déjeuner.

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Une fois de plus le protocole habituel est bouleversé : nous sommes installés sur la belle terrasse face au Sommerberg, nous nous régalons avec les quiches lorraines préparées par la maîtresse de maison et je pose les questions habituelles en griffonnant quelques notes entre deux bouchées. Claude parle haut et fort mais avec beaucoup de cœur et de sincérité, pour essayer de me faire comprendre la relation complexe qu’il entretient avec son Grand Cru.

31-7.jpgVue de la terrasse des Weinzorn : l’amphi 3 du Sommerberg.

Comment définir ce terroir ?
Le Sommerberg est un terroir géologiquement très homogène avec des « sols granitiques, légers et très pauvres » et un « microclimat très chaud » mais qui demeure « plus complexe qu’il n’y paraît ».
En effet, Claude y a repéré 4 amphithéâtres bien séparés dont la structure physique exerce une influence certaine sur la circulation de l’air dans les vignes :
-    l’amphithéâtre 1 est le plus large et prolonge le Kougelhopf vers l’ouest. C’est là que se trouvent les rangs de gewurztraminer qui ont produit le fameux vin de glace de 2008 (vendangé en janvier 2009)
-    l’amphithéâtre 2 est le plus petit, avec une grande partie des parcelles de riesling Grand Cru du domaine de l’Oriel.
-    l’amphithéâtre 3 monte très haut avec des pentes abruptes, Claude y travaille quelques rangs de vigne en bas de coteau.
-    L’amphithéâtre 4 coiffé de la calotte rocheuse du « Z » et qui comprend les vignes de pinot gris en terrasses.

32-7.jpgLes gewurztraminers sur les terrasses en haut de l’amphi 1 du Sommerberg.

33-8.jpgL’amphi 4 avec le « Z » en haut et les terrasses en dessous…mythique !

C’est un terroir « qui forge le caractère de ceux qui y travaillent (…) si les vignerons de Niedermorschwihr ont des personnalités hautes en couleurs et parfois un peu rustiques, c’est au Sommerberg qu’ils le doivent »…car même si ce coteau est particulièrement « beau à regarder » (je le confirme) il ne faut jamais oublier qu’il peut se montrer « imprévisible et même ingrat dans certains cas (…) c’est un enfant turbulent avec lequel il faut faire preuve de caractère et de persévérance sans être sûr d’être récompensé de ses efforts au final ».
Ce Grand Cru pousse le vigneron vers un grand sentiment d’humilité face à la nature « il nous apprend à accepter un échec même si on a tout fait pour réussir ».

Quels sont les cépages les mieux adaptés ?
« S’il fallait ne garder que 2 cépages sur le Sommerberg ce seraient les rieslings et les pinots gris même si le gewurztraminer donne de très beaux résultats dans le secteur du Kougelhopf ». La configuration particulière du coteau avec ses 4 amphithéâtres permet de différencier des versants au soleil levant et des versants au soleil couchant « l’idéal serait de planter les rieslings côté levant et les pinots gris côté couchant ».

Quels caractères spécifiques ce terroir transmet-il aux vins ?
Je sais maintenant que cette question pose problème à bien des vignerons et Claude Weinzorn ne fait pas exception « je pense pouvoir reconnaître un Sommerberg dans une dégustation mais de là à décrire comment et pourquoi… »…me voilà de nouveau bien avancé !
En insistant un peu j’obtiens quelques pistes : « les Sommerberg sont des vins solaires, puissants et corsés même les années froides et humides (…) et les épices sont omniprésentes dans la palette aromatique de tous les cépages ».
Mais il faut bien se rendre compte que pour ce vigneron, la vraie caractéristique de ce Grand Cru est ailleurs : « certes les vins sont riches mais les gens qui le produisent le deviennent rarement »…un constat réaliste et un peu amer pour un vin qui peine à se faire reconnaître à sa juste valeur !

Y-a-t-il dans votre mémoire de vigneron le souvenir d’un vin mythique sur ce Grand Cru ?
La spéciale Thierry Meyer laisse mon interlocuteur perplexe…peu de souvenirs de très vieux millésimes mais quelques réussites récentes : 1992, 1996, 2001 et 2002 « des années pluvieuses où le microclimat du Sommerberg à pleinement joué son rôle en donnant des vins complets et parfaitement équilibrés ».
En tous cas cette fameuse question à donné une idée à Claude « c’est vrai qu’il faudrait organiser une verticale sur les crus du Sommerberg avec quelques amis du domaine »…nous l’attendrons avec impatience !

Quelles perspectives pour ce terroir ?
Comme pour tous les Grands Crus il y a une « gestion locale du Sommerberg » qui se réunit officiellement 1 fois dans l’année, mais jusqu’à aujourd’hui aucune manifestation collective n’a été envisagée pour promouvoir spécifiquement ce terroir.
La trentaine de producteurs qui possèdent des vignes sur ce coteau se côtoient régulièrement, il y a des échanges informels et un peu d’entraide « je partage avec Jean Boxler les opérations de traitement de la vigne par hélicoptère » mais force est de constater qu’il n’y a pas encore de vrai mouvement collectif pour défendre ce Grand Cru : trop pris par leur travail ou vivant dans l’ombre de quelque grand domaine qui n’a pas forcément intérêt à voir naître une trop forte concurrence…en tous cas il reste un travail gigantesque à accomplir pour faire reconnaître la grandeur de ce Grand Cru.
Travailleurs acharnés du Sommerberg, mobilisez vous !!!!

Les vins du domaine : quelle conception ?
Né en 1967, Claude Weinzorn représente la 16° ou la 17° génération de vignerons dans ce domaine de Niedermorschwihr. depuis son plus jeune âge il travaille avec son père Gérard qui lui apprend peu à peu le métier de vigneron. Par la suite Claude complète sa formation au lycée viticole de Rouffach où il rencontre Jean Schaetzel « ses cours et ses idées ont eu une importance fondamentale pour ma formation, cet enseignant à qui j’aimerais rendre hommage ici, m’a appris énormément de choses, notamment les principes d’une viticulture propre et durable, respectueuse des sols et des terroirs mais aussi l’exigence qualitative dans l’élaboration d’un vin ».
Depuis le décès subit de son père en 1995, Claude Weinzorn se retrouve seul aux commandes de cette exploitation secondé par son épouse Sandrine et par sa mère qui assure l’accueil de la clientèle de passage.

34-6.jpgLe coin dégustation du domaine.

Le domaine de l’Oriel produit des vins sur 3 Grands Crus, avec une belle surface dans le Sommerberg (3 ha), une surface plus modeste dans le Brand (0,5 ha) et quelques rangs de vigne dans le Florimont (6,5 a).
Claude travaille également des parcelles dans des lieux-dits « non-classés mais très intéressants » autour de Niedermorschwihr comme le coteau du Heimbourg sur Turckheim ou l’Altenberg, le versant nord du Brand « dont les fruits apportent une fraîcheur bénéfique dans mes cuvées, lors des années très chaudes ».

35-7.jpgLes gewurztraminers du Heimbourg qui donnent naissance à la Cuvée Claire

36-7.jpgUne jeune vigne sur l’Altenberg de Niederschmorschwihr

Pour cette même raison Claude à décidé de replanter une vigne de riesling en haute densité (8000 pieds/ha) dans le Kirchthal, un petit lieu-dit dans le secteur du Brand.

37-6.jpgLa nouvelle parcelle de rieslings du Kirchthal plantée à 8000 pieds/ha

Au niveau de la viticulture, le domaine de l’Oriel pratique la lutte raisonnée avec des vignes enherbées depuis plus de 25 ans et une tradition de culture naturelle très profondément ancrée depuis plusieurs générations : « Je sais que la qualité de mon patrimoine végétal est issue d’une longue tradition familiale et j’ai bien conscience que je ne suis que le locataire de la terre que je vais laisser à mes enfants ».
Les vendanges sont uniquement manuelles et leur date est fixée selon le niveau de maturité des fruits évalué principalement par un test gustatif « je tiens compte des données du réfractomètre mais je me fie de plus en plus à mes sensations gustatives qui deviennent de plus en plus fiables avec l’expérience ».
Au niveau des vinifications, les vins fermentent en cuves inox ou en foudres et restent sur lies fines jusqu’à leur mise en bouteilles au printemps ; les pinots noirs et une cuvée d’auxerrois bénéficient d’un élevage en barriques.

38-6.jpgUne partie de la cave du domaine avec un sol pavé datant de plusieurs siècles.

Au domaine de l’Oriel le rendement moyen se situe autour de 50 hl/ha, cette valeur descend à 40 hl/ha sur les Grands Crus. Selon le millésime et le contexte une partie de la production est mise en bouteilles et le reste est vendu au négoce local.
La carte du domaine de l’Oriel propose une bonne vingtaine de références avec des cuvées « tradition » sur tous les cépages alsaciens et des cuvées « prestige » où on retrouve un pinot blanc Barrique, les 3 Grands Crus, les cuvées en surmaturité et le superbe pinot noir Hommage à Gérard.
60 à 70% des bouteilles du domaine de l’Oriel sont achetées par une clientèle de particuliers, le reste part à l’export, principalement en Europe du Nord et aux Etats Unis.
Claude et Sandrine Weinzorn font partie de l’association des Vignerons Indépendants et sont présents sur de très nombreux salons comme Strasbourg, Paris, Lyon…avec comme prochaine étape, la première édition du Salon des Vins des Vignerons Indépendants à Nice du 20 au 22 mai 2011.

Et dans le verre ça donne quoi ?
Claude Weinzorn m’a emmené en visite dans son « royaume viticole » durant toute l’après-midi, tout en profitant de ma présence pour me demander de lui prêter main forte dans ses travaux d’entretien du palissage sur le Brand et pour le scellement des ancres dans la nouvelle parcelle du Kirchthal.
Bien évidemment, cette longue tournée a un peu bouleversé mon emploi du temps mais l’expérience fut fort instructive, même si elle empiété sévèrement sur le temps consacré à la dégustation des vins.

Nous avons néanmoins pu faire un rapide tour de cave et goûter quelques cuvées en cours d’élevage :

Sylvaner 2010 : le nez est bien expressif avec des notes exotiques et légèrement épicées, la bouche est longue et pointue avec une palette aromatique très fine.
Un vin frais et très gourmand que j’ai identifié comme un riesling (décidément, ça ne s’arrange pas… !) mais je pense que la classe de ce sylvaner en trompera plus d’un (maigre consolation quand même… !)

Muscat 2010 : le nez est encore sur la retenue avec des notes végétales très fines, la bouche est dense et tendue par une belle acidité.
Un muscat fringant et plein d’énergie, dont le registre aromatique et la structure en font un très beau compagnon de table.

Pinot blanc 2010 : le nez est simple mais très agréable sur les fruits blancs, la bouche est guillerette avec une attaque marqué par une pointe de CO2 et un équilibre frais et digeste.
Claude Weinzorn possède 3 hectares de pinot blanc, un cépage qu’il affectionne particulièrement parce qu’il est très polyvalent et permet de concevoir des vins frais et conviviaux. Cette cuvée est tout à fait dans la ligne : sans prétention mais très gourmand.

Pinot Noir 2009 : les assemblages ne sont pas encore effectués et le vin séjourne dans une petite cuve en inox pour l’ouillage et différentes barriques sur lesquelles nous prélevons quelques échantillons pour se faire une idée des futures cuvées. Le jus en cuve nous donne une première idée de la profondeur du fruit et de la densité de la matière sur ce millésime. Sur les différentes barriques la marque boisée diffère d’un contenant à l’autre mais à aucun moment la puissance du fruit ne se trouve écrasée.
Issu en partie de vieilles vignes sur le Grand Cru Brand ces différents échantillons de pinot noir 2009 se montrent particulièrement gourmands et charnus avec un élevage qui leur apporte une touche de raffinement supplémentaire…à ne pas rater !

Les notes qui suivent ont été prises quelques jours après ma visite au domaine ; le manque de temps nous ayant contraint à écourter la dégustation sur place, j’ai emporté quelques flacons pour pouvoir jouer les prolongations chez moi.

Riesling 2009 : le nez est mur et complexe, groseille, pamplemousse mûr, une pointe de basilic et un fond légèrement pierreux, après une attaque franche et précise, le vin se pose en bouche avec beaucoup d’ampleur, la finale de longueur moyenne laisse apparaître de belles sensations minérales.
Issu d’une parcelle de jeunes vignes sur le Sommerberg et d’une parcelle située sur la calotte sommitale du coteau du Brand (juste au dessus de la limite du Grand Cru) ce riesling généreux et complexe séduit dès la première gorgée mais en lui laissant un peu de temps il se révèlera surement comme un vrai vin de terroir.

Riesling G.C. Sommerberg 2007 : le nez commence à s’ouvrir et livre une palette complexe sur les agrumes avec de fines notes épicées et les premières évocations pierreuses, l’attaque en bouche est franche et vive, la matière est gourmande mais l’acidité très large et bien présente tient solidement la structure, la finale est puissamment saline tout en revenant avec plus d’intensité sur des saveurs épicées.
Cette bouteille confirme que les 2007 commencent à se goûter très bien en ce moment mais elle révèle aussi la puissance du marquage minéral de ce Grand Cru : une sorte d’archétype pour le Sommerberg…à goûter absolument !39-5.jpg
 Riesling G.C. Sommerberg - Cuvée Arnaud 2001 : la robe est lumineuse avec des reflets or-jaune, le nez est riche et complexe sur l’orange confite, les herbes aromatiques et quelques notes de baies roses, la bouche est charnue et marquée par une belle maturité du fruit tout en gardant une présence acide bien large, la finale laisse le palais frais et dispos grâce à une salinité qui se manifeste avec force et persistance.
Cette cuvée dédiée au jeune fils de la famille Weinzorn est toujours riche en saveurs et en structure mais cette matière opulente a souvent besoin de beaucoup de temps pour que la noble influence du terroir devienne perceptible pour le dégustateur. Au bout de 10 ans on commence à entendre le message du Sommerberg…c’est beau tout simplement !

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 Riesling G.C. Brand 2007 : le nez est discret et racé avec un peu de fruits blancs, quelques notes florales, une fine pointe épicée (muscade et vanille), l’attaque en bouche est très vive, la structure est parfaitement verticale, la palette citronnée, profondément minérale se prolonge longuement en finale.
Juste pour comparer avec le Sommerberg, ce Brand plus réservé mais déjà superbement bien en place constitue une réussite majeure sur ce millésime…à ne pas rater !

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 Pour avoir un aperçu plus complet dans la description des vins du domaine sur ce Grand Cru, je vous renvoie aux nombreux articles publiés sur DC, notamment sur les rieslings 2004, la cuvée Z ou le magnifique pinot gris Terrasses 2008 qui reste une des réussites majeures en Alsace sur ce cépage et sur ce millésime.
Bien sûr, je ne manquerai pas de vous tenir au courant de l’évolution du rarissime gewurztraminer Vendanges de Glace 2008 dont quelques bouteilles dorment dans ma cave…Promis !

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Pour conclure, un petit bilan sur cette douzième expérience de visite approfondie d’un terroir Grand Cru (attention je risque de me répéter…) :

- J’ ai renforcé ma conviction qu’une bonne compréhension d’un vin passe évidemment par la dégustation mais s’enrichit considérablement si on fait la démarche d’aller sur place, sentir l’énergie des terroirs où il naît et rencontrer les gens qui le conçoivent…je ne boirai plus jamais des Sommerberg comme avant !
- Le Sommerberg est un terroir incroyable : comme tout Grand Cru il se justifie par sa géologie, son microclimat ou son histoire mais ici plus qu’ailleurs on y sent une dimension mystérieuse voire mystique…
Ce coteau dont l’exploitation pousse les hommes et les machines aux limites de leurs possibilités possède un magnétisme étrange, inexplicable mais très puissant.

- Suaves et profonds, les vins du Sommerberg font partie des vins qu’il ne faut pas les goûter à l’aveugle : ils existent autant par leurs qualités gustatives que par cette symbolique particulière liée à leur origine. D’une approche facile, particulièrement fringants et gourmands, ces crus ont des personnalités très éloignées de l’environnement qui les a vu naître : des paradoxes en bouteille ou peut-être une juste et douce récompense pour le travail des vignerons qui les produisent… ?

- L’attachement de Claude Weinzorn au Sommerberg a quelque chose de viscéral et de charnel ; c’est une chose que l’on perçoit dès que ce vigneron commence à parler de son Grand Cru. Son discours ressemble à celui d’un père qui se plaint de son enfant terrible tout en lui vouant un amour sans bornes.
Les vins de Claude sont à son image : directs, généreux et truculents mais avec du fond, une charpente solide et beaucoup d’authenticité.
Pas étonnant lorsqu’on sait que ce vigneron reconnaît avec sagesse et humilité « on pense que l’homme fait du Sommerberg alors qu’en fait c’est le Sommerberg qui fait l’homme. » A méditer…

Mille mercis à Sandrine et Claude pour leur accueil et leur amitié.

43-7.jpgA gauche le Kougelhopf du Sommerberg, au milieu la faille vosgienne et à droite l’extrémité ouest du Florimont qui me rappelle que je suis encore très loin du bout de ma quête...

Première publication de cet article : 2011

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