Le Goldert selon Francis Burn

LE GOLDERT…

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Après une interruption prolongée de mon projet d’étude des différents Grands Crus alsaciens, la longue période de confinement imposée par notre gouvernement pour lutter contre cette terrible épidémie provoquée par le COVID19, m’a permis de reprendre mon travail de décryptage de ces beaux terroirs qui font la fierté de notre vignoble.

Si la question des Grands Crus bas-rhinois est réglée depuis 2018 avec ma publication sur le Praelatenberg, il y a encore un nombre considérable de Grands Crus haut-rhinois à découvrir – je crois qu’il m’en reste 25 – et pour poursuivre ma quête j’ai choisi de me rendre à Gueberschwihr afin de percer les mystères du Goldert en compagnie de Francis Burn.

Hoppla, c’est reparti !

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Le coteau du Goldert en mai 2020

Bien des choses ont déjà été écrites sur ces terroirs et un angle d’approche original et intéressant est à priori difficile à définir…mais je vais quand même essayer de relever le défi.
Je vous propose de me suivre dans mes ballades personnelles avec un peu de théorie (le socle nécessaire à une bonne compréhension), des documents photographiques et surtout des rencontres avec les vignerons qui travaillent dans ces parcelles classées.
Bon, ça je l’avais déjà dit…mais c’est pour les nouveaux.

Le Grand Cru Goldert se trouve sur le ban communal de Gueberschwihr, une petite cité viticole de 837 habitants (recensement de 2016) classée « Site Historique » par le « Ministère des Affaires Culturelles » en 1970.

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Gueberschwihr sous un beau soleil printanier.

Située au pied du massif vosgien, entre Hattstatt au nord et Pfaffenheim au sud, ce village qui a su préserver son charme médiéval, est un lieu de promenade incontournable pour tout amateur d’histoire alsacienne et/ou de bon vin.

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Le clocher roman de l’église Saint-Pantaléon de Gueberschwihr et au loin l’ermitage Notre Dame du Schauenberg qui domine le vignoble de Pfaffenheim.

Comme souvent, l’origine du nom de ce village n’est pas totalement certifiée et une première hypothèse nous est suggérée par ses armoiries datant du XV° siècle : « D'azur à la façade de maison pignonnée de trois montants d'argent, ajourée de trois fenêtres, une et deux, ouverte d'une porte cintrée, le tout de sable bordé de gueules. » (« Armorial des communes du Haut-Rhin »)

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La référence directe au « pignon » qui se traduisait par « Gebel » en allemand du moyen-âge (aujourd’hui on utilise plutôt « Giebel »), nous invite à penser que c’est cet élément architectural qui serait à l’origine du nom de ce village : c’est en 1201 qu’on retrouve pour la première fois le toponyme « Gebelischeswilre ».

Cependant, l’étude de certains actes de donation par les historiens, nous proposent d’autres théories dont celle de Materne Berler (curé de Gueberschwihr au XVI° siècle) qui pense que le nom de son village est lié à celui d’une famille de nobles qui y habitaient au moyen-âge, les Gebhard.
L’origine du Gueberschwihr viendrait donc de « Gebhardwillaris » qui s’est transformé en « Gebliszweyler » puis en « Gebliswihr » (1251), « Geblinswihre » (1314) et « Gebelswihr » (1446) avant que, durant les XVI° et XVII° siècles, le « L » soit remplacé par le « R » – ce qui arrivait souvent dans le langage courant de l’époque – pour devenir « Geberswihr », « Geberschweier » et enfin Gueberschwihr.
Le blason de Gueberschwihr ferait donc plus référence au nom du village qui évoque le pignon d’une maison et non l’inverse…affaire à suivre.

Le village de Gueberschwihr a connu une histoire aussi tumultueuse que riche en événements heureux notamment au cours de la Renaissance, une période dont les traces font aujourd'hui encore le charme de cette cité viticole car comme nous le dit l’abbé Laurent Zind : celle localité « se présentait au début du XVIII° siècle, à peu près dans l’état ou nous nous la voyons actuellement » (« Histoire de la commune et paroisse de Gueberschwihr » - 1989)

Des pointes de flèches en silex trouvées dans les environs de Gueberschwihr ont pu être datées par des archéologues et témoignent d’une présence humaine sur ce site dès la préhistoire.
La mise à jour de vestiges d’habitations et de pièces de monnaie qui remontent à l’époque gallo-romaine nous apprend que le village était alors composé par quelques fermes disséminées sur les collines du piémont vosgien.
Au cours du IV° siècle, les Alamans commencèrent à s’installer sur la rive gauche du Rhin avec l’autorisation du gouvernement romain.
Durant l’époque mérovingienne, Gueberschwihr a fait partie du « Haut Mundat » de Rouffach, un territoire épiscopal qui regroupait les villages autour de Rouffach et qui s’étendait sur une superficie de 220 km² à la fin du XI° siècle.

Durant le moyen-âge, Gueberschwihr devint un lieu de résidence privilégié pour les familles nobles alsaciennes, attirées par « la grande fertilité des terroirs, l’abondance de ses eaux vives et fraîches, la variété des cultures et la douceur du climat » (Materne Berler)
Malgré un contexte économique tendu, la fin du moyen-âge et le début de la Renaissance voient le village s'embellir par la construction de belles maisons patriciennes encore présentes aujourd'hui. Le vin d'Alsace qui est très apprécié dans tout le Saint-Empire et en Europe du Nord se vend très bien et les vignerons de l'époque disposent de moyens financiers conséquents pour embellir et améliorer leur cadre de vie.

Le retour de l’Alsace dans le royaume de France marque le début d’un appauvrissement général de la population du village mais après une période de lente reprise, les vignerons reprennent la culture de la vigne et Gueberschwihr retrouve peu à peu sa tradition viticole et sa prospérité au cours des XIX° et XX° siècles.

Le village traverse les deux guerres mondiales du XX° siècle sans dommages pour son patrimoine architectural mais pas sans drames familiaux.

Aujourd’hui, Gueberschwihr est un village pittoresque dont la population tire ses ressources essentiellement de la culture de la vigne.

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Gueberschwihr entouré de vignes, vu à partir des pentes du Goldert.

La promenade dans les rues étroites de cette cité viticole permet d’admirer de nombreuses maisons construites durant les XVI° et XVII° siècles et qui, comme nous l’avons évoqué plus haut, se trouvent dans un parfait état de conservation.

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Les rues de Gueberschwihr avec ses nombreuses maisons vigneronnes…

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…et ses fontaines.

Reconstruite au XIX° siècle à côté du clocher roman qui date du XII° siècle, l’église Saint Pantaléon est considérée comme un chef d’œuvre de l’art néo-roman en Alsace.

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L’église Saint Pantaléon avec son clocher du XII° siècle.

En quittant le village pour monter vers le massif vosgien on rencontre tout d’abord le couvent Saint Marc, un établissement conventuel reconstruit durant le XVIII° siècle sur les ruines d’un bâtiment originel qui date de l’époque mérovingienne. Le couvent Saint Marc abrite aujourd’hui des religieuses, les sœurs de Saint Joseph.

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L’entrée du couvent Saint Marc…

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…et ses dépendances.

En montant encore un peu plus dans la montagne, les amateurs de sensations fortes pourront tester les nombreuses voies d’escalade équipées sur deux sites réputés dans la région (« le Vieux Gueberschwihr » et le « Nouveau Gueberschwihr »).

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Le vieux Gueberschwihr et ses célèbres blocs de grès.

Comme tout village viticole qui se respecte, Gueberschwihr possède son sentier viticole « La promenade du Goldert »…on est en plein dans le thème !

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La promenade du Goldert avec ses panneaux informatifs.

 

Le Grand Cru Goldert s’étend sur une superficie de 45,35 hectares sur un coteau exposé sud/sud-est.

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Les parcelles classées se situent à une altitude entre 230 et 360 mètres avec des pentes très raides dans la partie haute – la déclivité atteint 50 à 60% par endroits – et des pentes plus faibles lorsqu’on descend vers les secteurs proches du village.

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Des vignes en terrasses dans le secteur haut du Goldert.

Avec son préfixe germanique « Gold » qui signifie « or », le nom de ce Grand Cru évoque aussi bien la couleur de ce coteau au soleil levant que les reflets dorés qui caractérisent la robe des vins qui y naissent…si bien que pour de nombreux vignerons de Gueberschwihr (et d’ailleurs), le Goldert est la « Côte d’Or » alsacienne.

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Son orientation au levant et sa proximité avec la montagne vosgienne garantissent à ce terroir un climat relativement frais qui permet une maturation lente des raisins.

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Une jeune vigne dans la partie du Goldert située au dessus du village.

Sur le plan géologique ce Grand Cru est classé par Serge Dubs (« Les Grands Crus d’Alsace » - 2002) dans la famille des terroirs marno-calcaires mais ce qui caractérise vraiment le sol du Goldert c’est son substrat géologique composé uniquement de calcaire oolithique marin du Dogger.
Le document de référence du CIVA (« Les unités de paysage et les sols du vignoble alsacien »), nous fournit davantage de détails en différenciant le secteur haut du Goldert avec ses « sols bruns calcaires caillouteux sur calcaire oolithique dans le Mittelweg et quelques petits placages de loess » et le secteur bas du Goldert avec ses « sols bruns calciques ou faiblement lessivés sur loess et lehm recouvrant un sous sol de conglomérat et marnes de l’oligocène affleurant par plaques ».

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Une coupe géologique naturelle dans la partie haute du Goldert…

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…et un pied de vigne au dessus du Mittelweg : beaucoup de cailloux calcaires et un peu d’argile.

Au niveau physique, les sols du Goldert sont profonds, relativement riches et fertiles mais et dotés d’une bonne capacité de drainage.
Avec ses sols marno-calcaires qui se réchauffent très lentement et la montagne qui protège les vignes des fortes chaleurs des après-midi d’été, le terroir du Goldert offre aux raisins un climat idéal pour mûrir lentement tout en gardant un bon niveau d’acidité.

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Une jeune vigne dans la partie médiane en dessous du Mittelweg : des sols toujours caillouteux mais plus profonds

Sur le plan historique, Médard Barth (« Der Rebbau des Elsass » - 1958) nous apprend que le village de Gueberschwihr est reconnu dès 750, comme « une localité viticole de grand renom ».
Du moyen-âge à la Révolution, les évêchés de Bâle et de Strasbourg, la paroisse de Gueberschwihr ainsi qu’un certain nombre d’abbayes (Marbach, Ebersmunster…) possédaient des vignes au lieu-dit Goldert.
Après la visite d’une délégation de vignerons à Lucerne en 1728, cette ville de Suisse délivra une attestation spéciale qui autorisait la vente des vins du Goldert sur une place privilégiée du marché, en raison de la qualité reconnue des vins de ce cru.
Au siècle suivant (en 1886) la ville de Francfort octroya également cette distinction et ce privilège aux vins du Goldert.

Repérés pour leur qualité dès le moyen-âge les vins du Goldert ont toujours bénéficié d’une excellente réputation…il n’est donc pas étonnant que ce terroir ait été classé Grand Cru dès 1983 (Décret du 23 novembre 1983).

Au niveau de la viticulture, le terroir du Goldert est considéré comme un grand révélateur du gewurztraminer. C’est d’ailleurs pour cela qu’il y est cultivé de longue date, initialement dans sa version originelle, le « traminer ».
De la même manière le « muscateller » et le sylvaner sont également plantés depuis très longtemps sur ce coteau. Pour le muscat, c’est la variété « muscat à petits grains » qui domine largement avec une proportion qui s’approche des 90% alors que la variété « ottonel » – pourtant très répandue dans le vignoble alsacien – ne représente que 10%.
Le riesling quant à lui n’est apparu pour la première fois que vers 1930 et sa présence s’est véritablement confortée vers1940.
Le pinot gris est le dernier cépage à avoir investi les pentes du Goldert.
Les observations effectuées lors d’une promenade dans les vignes ont montré que sur ces sols assez riches, la plupart des parcelles sur le Goldert étaient enherbées, l’enherbement un rang sur deux étant la pratique la plus répandue.

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Un rang enherbé et un rang travaillé…c’est la configuration « classique » sur les parcelles du Goldert

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Certains vignerons choisissent de planter des céréales pour amender naturellement les sols.

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Du fait de leur richesse naturelle, les sols du Goldert demandent beaucoup de travail pour gérer la pousse de l’herbe…

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…qui peut se montrer très vite invasive.

A l’heure actuelle, l’encépagement du Goldert est le suivant : 60% de gewurztraminer, 19% de riesling, 11% de pinot gris et 10% de muscat.

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Le cimetière de Gueberschwihr et les terrasses situées à la limite sud du Goldert

Les vins du Goldert sont généralement marqués par une belle maturité et une grande richesse aromatique, toujours soutenues par une acidité solide qui leur permet de s’exprimer de façon harmonieuse et de tenir dans le temps.
Grâce à cette structure acide propre aux vins du Goldert, des cépages exigeants et délicats comme le gewurztraminer ou le muscat arrivent à maturité optimale en gardant une belle fraîcheur, un vrai gage de qualité et de longévité pour Olivier Humbrecht : " Un muscat et gewurztraminer sans acidité auront perdu au bout de trois ans leur fruité et ne seront plus intéressants ".

Les gewurztraminers du Goldert sont très exubérants avec des palettes aromatiques marquées par les fruits exotiques (mangue, ananas et les fleurs (rose, guimauve) mais pas trop épicés. Serge Dubs leur attribue un caractère « aristocratique ».
Les muscats du Goldert s’expriment de façon classique dans leur jeunesse mais après quelques années de garde, ils révèlent des notes de buis, de cassis et de guimauve ainsi qu’une présence minérale qui peut amener le dégustateur à les confondre avec un riesling.
Même si certains vignerons pensent que le riesling n’est pas un cépage pour le Goldert, il est quand même en mesure de générer des vins de haut niveau qui développent des notes florales et fruitées dans leur jeunesse avant de libérer des arômes de bourgeon de cassis et de fleur de sureau lorsqu’ils sont plus évolués.

Les vins du Goldert n’ont pas forcément besoin de beaucoup de temps pour révéler leur potentiel de séduction mais comme tous les Grands Crus, l’expression de leur nature profonde demande un peu de patience : les vignerons comme les sommeliers considèrent que les vins du Goldert commencent à laisser parler leur terroir après 5 ans de garde.

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Vue sur la partie nord du Goldert avec le coteau du Hatschbourg au loin…qui me rappelle que ma quête est loin d’être terminée.

 

…SELON FRANCIS BURN

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Pour cette 26ème étape sur ma route des Grands Crus alsaciens, le choix du vigneron que j’allais solliciter pour partager avec nous sa vision personnelle du Goldert s’est imposé comme une évidence : avec plus de 70 % de leurs vignes situées dans le Goldert, le domaine Burn peut être considéré comme le porte drapeau de ce terroir classé.

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L’entrée du domaine Burn à Gueberschwihr

Comme convenu avec Francis Burn, nous commençons notre entrevue dans le vignoble du Goldert pour étudier in-situ les caractéristiques de ce Grand Cru…phase essentielle pour sentir et comprendre la nature d’un terroir.

Le début de notre promenade nous conduit vers le secteur bas du Goldert où le domaine Burn exploite notamment une belle parcelle de riesling.
Il est temps de soumettre mes questions habituelles à Francis Burn.

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Une parcelle de riesling du domaine Burn située dans la partie basse du Goldert


Comment définiriez-vous ce terroir ?

Pour Francis Burn, la caractéristique principale du terroir du Goldert « c’est son sol de conglomérat calcaire » mais comme les limites du Grand Cru ont été définies de façon assez large (comme souvent d’ailleurs) « le calcaire n’est pas présent partout dans les mêmes proportions ».

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Les pierres calcaires du Clos Saint Imer…l’âme du Goldert

En effet, la superficie du Goldert (plus de 45 hectares) peut se diviser en 4 secteurs distincts :
- le « Goldert originel et historique qui correspond à une bande de 4 hectares située à mi-coteau autour du panneau qui marque le lieu-dit »
- le plateau central où les pentes sont plus faibles avec « des sols plus profonds et plus riches et un peu moins calcaire ».
- la partie basse où on retrouve des pentes un peu plus marquées et un sol qui ressemble à celui du Goldert originel.
- le Clos Saint Imer qui occupe la partie sommitale du Goldert et qui se caractérise par « des pentes très fortes et des sols pauvres, peu profonds et caillouteux, très riches en calcaire ».

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Vue sur le Goldert originel à partir du Clos Saint Imer

Par endroit, on observe des terres plus rouges qui pourraient faire penser à une présence de sables gréseux mais cette couleur est due à de « l’oxyde de fer qui se trouve dans les sols de certaines parcelles ». Le grès est utilisé pour construire les nombreux murets qui stabilisent les terrasses, notamment sur le Clos Saint Imer mais « ce sont des pierres qui proviennent des anciennes carrières de grès qui étaient exploitées dans la montagne au dessus du village ».

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Vue sur la partie basse du Goldert proche du village.

Si on excepte le cas particulier du Clos Saint Imer, le Goldert offre au vigneron « une terre généreuse et pas trop difficile à travailler ».
Les rendements varient d’un secteur à l’autre « très confortables sur les parcelles du plateau central mais faibles sur les parcelles du Clos Saint Imer ».
En revanche, ce sont les vignes des secteurs les plus prolixes qui souffrent lors des années sèches « les vignes du Clos Saint Imer ont des racines qui plongent profondément entres les failles de la roche calcaire pour trouver de l’eau alors que dans les sols plus riches le système racinaire plus superficiel aura plus de difficultés à assurer l’apport hydrique à la plante ».

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Une parcelle de riesling du domaine Burn, qui marque la limite nord du Grand Cru


Quels sont les cépages les mieux adaptés ?

Si « le muscat et le gewurztraminer sont les cépages traditionnels sur le Goldert », Francis Burn ne cache pas sa prédilection pour le gewurztraminer – « mais s’il fallait choisir un seul cépage pour exprimer pleinement le Goldert ce serait le muscat ».

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Une parcelle de gewurztraminer au sommet du Clos Saint Imer

En ce qui concerne le riesling « c’est un cépage qui a été planté pour répondre à la demande de la clientèle » et qui n’a pas toujours bénéficié des mêmes attentions que le muscat ou le gewurztraminer : « à l’époque on profitait des jours où la météo n’était pas trop favorable pour vendanger les rieslings ». Mais depuis, Francis Burn a appris à apprécier ce grand cépage et lui a donné la place et l’attention qu’il mérite sur ce terroir, notamment sur les pentes abruptes du Clos Saint Imer.

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Une parcelle de riesling du Clos Saint Imer…attention au vertige !

Autre cépage historiques du Goldert « le sylvaner produit des vins très concentrés »…une version originale et atypique de ce cépage.
Le pinot noir est également très intéressant lorsqu’il est planté sur les sols très calcaires du Clos Saint Imer « il produit des vins corsés…qui peuvent faire penser à certains rouges des vignobles du sud ».

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Des rangs de pinot noir au sommet du Clos Saint Imer


Quels caractères spécifiques ce terroir transmet-il aux vins ?

Selon Francis Burn, les vins du Goldert  se caractérisent en premier lieu par « leur couleur profonde » – une qualité qui a probablement inspiré les vignerons pour nommer ce lieu-dit – et c’est d’ailleurs pour cela que toutes les cuvées de Grand Cru du domaine Burn sont présentées en bouteilles blanches.

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Le riesling 2011…de l’or en bouteille

Sur le plan aromatique ces vins sont « fruités et épicés » et en bouche ils se distinguent par leur richesse et leur gras sans pour autant laisser une impression de lourdeur : « les vins sont riches mais pas souples » grâce à des taux d’acidité tartrique souvent élevés et à des finales marquées par « une belle persistance saline et des amers minéraux ».

Les vins du Goldert sont « flatteurs dans leur jeunesse » mais comme tous les Grands crus « le terroir commence à se révéler après 10 ou 15 ans de garde ».


Y-a-t’il dans votre mémoire de dégustateur des vins qui vous ont aidé à vous faire une image de ce que devait être ce Grand Cru ?

Les dégustations qui ont aidé Francis Burn à se faire une idée de ce que devait être un grand vin ont été celles des muscats et les gewurztraminers vinifiés par son père, « notamment des vins des millésime 1959, 1964 et 1971 », de grandes années pour le Goldert avec de belles réussites également sur des cuvées de la Cave Coopérative de Gueberschwihr.
Francis Burn aime les vins qui se livrent avec franchise et qu’on peut « boire juste pour le plaisir (…) parce qu’on n’est pas forcément obligé de réfléchir à des accords mets-vins, lorsqu’on débouche une bouteille…certains vins se suffisent à eux-mêmes ».
Pour ce qui est des rouges, sa dilection pour des vins corsés et charpentés, l’emmène plutôt dans les vignobles du sud notamment vers les crus des côtes du Rhône méridionales.


Comment voyez-vous l’avenir de ce terroir ?

Face aux incertitudes multiples liées à la situation particulière de ce printemps 2020 – conflit commercial avec les U.S.A. de Trump et pandémie – la question peut sembler un peu incongrue mais Francis Burn accepte quand même de me donner quelques éléments de réponse.
Si on considère que près de la moitié de la superficie du Goldert n’est pas revendiquée en Grand Cru, on ne peut pas dire que ce terroir est défendu comme il le mérite par les vignerons locaux…trop souvent dissuadés par « la limitation des rendements imposée par la charte des Grands Crus ».
En ce qui concerne la relève, Francis Burn voit arriver des jeunes vignerons pleins de bonne volonté et prêts à travailler de façon vertueuse mais il va falloir qu’ils aient « les reins solides pour surmonter les grandes difficultés générées par la situation actuelle ». Mais il y a également certains jeunes vignerons qui aiment « le tracteur, les rendements élevés...et une certaine forme de confort » et qui ne sont pas prêts respecter les exigences d’un cahier de charges de Grand Cru…dommage !
« Je pense qu’il n’est pas envisageable de faire du vin avec la rentabilité comme seul objectif (…) c’est pourquoi je travaille pour faire le meilleur vin possible d’un millésime à l’autre »…une exigence qualitative à laquelle Francis Burn n’a jamais dérogé.

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Comment ne pas avoir envie de faire du bon vin dans un si bel endroit !


Les vins du domaine : quelle conception ?

Le domaine Burn exploite actuellement une dizaine d’hectares de vignes dont 7 hectares son situées dans l’aire d’appellation Grand Cru Goldert avec le Clos Saint Imer qui représente la partie la plus importante de cette superficie (5 hectares).

Le Clos Saint Imer appartenait initialement à la paroisse de Gueberschwihr mais ce coteau très difficile à travailler fut progressivement laissé à l’abandon par les habitants du village découragés par « la crise phylloxérique, les deux guerres mondiales et le manque de main d’œuvre ».
A partir de 1934, Ernest Burn a commencé à acheter les parcelles qui constituaient ce clos : « comme ces terres peu prisées ne se vendaient pas trop cher, mon père qui n’avait pas beaucoup d’argent mais beaucoup de courage a pu racheter peu à peu une cinquantaine de parcelles ».
Ernest Burn « qui a toujours été intrigué par ce terroir et qui était convaincu de sa valeur », a fourni un travail titanesque pour défricher et aménager ce coteau escarpé avant d’y planter de la vigne.

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Le chemin et les murs aménagés par Ernest Burn dans le Clos Saint Imer…

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…le mur construit par Francis Burn en 1986 et la petite chapelle inaugurée en 1985.

Le domaine Burn est certifié H.V.E. et ses vignes sont conduites en lutte raisonnée en privilégiant la présence humaine dans les parcelles – « il faut une proximité physique pour sentir la vie de la vigne » – et le travail à la main « une condition indispensable pour faire du bon vin ».
Francis Burn ne travaille ses sols en douceur : il procède à quelques griffages mais évite les labours « qui durcissent les sols calcaires et détruisent les organismes qui apportent la vie dans le sol ». Ce vigneron considère l’herbe comme « un élément du biotope originel donc du terroir », par conséquent il a choisi de ne pas semer de plantes exogènes dans les rangs de ses vignes.

Les vendanges sur le Goldert se font très tard « comme dans le temps lorsqu’on attendait que les feuilles soient jaunes pour couper les raisins ».
Par conséquent, les raisins qui arrivent au pressoir sont toujours bien mûrs « sur ce terroir calcaire, lorsqu’on le récolte les raisins à 12°, ils ne sont pas encore arrivés à maturité et auront encore trop d’acide malique ».

En cave, les jus fermentent en cuve inox thermo-régulée et y séjournent pendant une année avant d’être transférés dans des foudres après un pré-filtrage léger.
A l’exception des muscats, les vins du domaine Burn sont élevés durant 1 à 2 ans sous bois : « les élevages sous bois garantissent la bonne tenue des vins dans le temps ».
Les vins sont vinifiés et élevés sans intrants autres qu’un peu de SO2 : « un sulfitage léger après les fermentations et un autre à la mise ».

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Deux pièces vénérables dans la cave du domaine Burn

Au domaine Burn, les rendements sont très faibles « 30 hl/ha en moyenne et un peu plus de 40 hl/ha lors d’années exceptionnelles comme 2016 ou 2018 ».
Francis Burn est convaincu que ce petit niveau de rendement est du principalement à la qualité du matériel végétal – « tous nos plants de vignes sont issus de sélection massale » – et aux pratiques viticoles mises en œuvre : « nous n’utilisons ni engrais ni intrants…la vigne doit trouver seule son équilibre en utilisant les ressources de son terroir ».

Le domaine Burn écoule plus de 80% de sa production auprès d’une clientèle particulière qui vient s’approvisionner directement dans leur espace de dégustation installé sous les voûtes de leur cave datant du XVII° siècle

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L’impressionnante bâtisse sous laquelle se trouve la cave du domaine…

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…et l’espace de dégustation aménagé au milieu des foudres.


Et dans le verre ça donne quoi ?

En guise de mise en bouche, Francis Burn me propose 3 vins qui ne sont pas classés Grand Cru :

Pinot Noir Clos Saint Imer 2017 : robe sombre, nez ouvert et bien mûr, notes de cerise noire, de noyau, de réglisse et d’épices, jus fruité très concentré, mâche tannique gourmande, finale sapide avec des amers minéraux salivants.
Réalisé à partir de raisins vendangés assez tard sur les pentes du Goldert, ce pinot noir élevé en cuve et en barriques (2 à 3 pièces), révèle une générosité très « sudiste » qui pourra étonner les puristes mais ravira les amateurs de vins rouges bien corsés et expressifs.
Pinot Blanc 2016 : nez fin et charmeur, notes de fruits blancs bien mûrs, matière ample avec un joli gras, structure souple, finale glissante avec un retour aromatique fruité très agréable.
Issue en partie du Goldert et élevée durant 2 années en foudres, cette cuvée séduit par sa spontanéité gourmande tout à fait réjouissante…un très beau vin plaisir.
Sylvaner Le Dauphin 2018 : nez très flatteur avec de jolies notes amyliques et florales, bouche très riche, équilibre moelleux, finale longue et délicatement miellée.
Ce sylvaner est né d’un assemblage de jus provenant d’une parcelle de vieilles vignes qui jouxte le Clos Saint Imer et d’une parcelle située sur le Goldert.
Même si sa générosité et sa structure nous emmènent loin des critères esthétiques traditionnels du sylvaner alsacien, c’est un vin aussi étonnant que séduisant…et taillé pour une longue garde.

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La dégustation se poursuit avec quelques cuvées du Clos Saint Imer :

Riesling Grand Cru Goldert-Clos Saint Imer 2011 : nez ouvert et d’une grande complexité, notes d’ananas frais, de plantes aromatiques (sauge, basilic), de rhubarbe fraîche sur un fond finement poivré (poivre blanc), matière très concentrée en bouche avec un joli gras et une présence saline bien marquée, finale tonique, retour aromatique fruité et épicé.

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Riesling Grand Cru Goldert-Clos Saint Imer 2007 : nez complexe et racé sur les agrumes mûrs et les herbes aromatiques, jus puissant et corsé en bouche, finale tonique et très élégante avec un long retour fruité et épicé.
Riesling Grand Cru Goldert-Clos Saint Imer 2016 : nez assez discret, notes de fruits blancs, de rhubarbe et de sauge, bouche plus expressive avec de beaux arômes de rhubarbe confite (presque tarte à la rhubarbe) et d’herbes aromatiques, finale sapide avec des amers minéraux et un sillage frais sur le pamplemousse et les zestes d’agrumes.


Malgré leur différence d’âge, ces 3 rieslings montrent de réelles constantes sur le plan de l’expression aromatique ainsi qu’une belle unité stylistique au niveau de leur présence en bouche : entre un 2016 très prometteur (j’adore ce millésime en Alsace !) et un 2007 étonnant de jeunesse, le 2011 semble entamer sa phase de pleine maturité en développant une énergie qui laisse présager d’un très beau potentiel de garde.
Voilà des vins qui racontent leur terroir tout en portant la marque de la patte du vigneron…j’aime beaucoup çà !


Muscat Grand Cru Goldert-Clos Saint Imer 2018 : nez intense, limite « explosif », palette bien typée sur les fleurs et le raisin mûr, bouche riche et suave avec un centre bien moelleux, texture très onctueuse, finale tonique et digeste.
Muscat Grand Cru Goldert-Clos Saint Imer 2011 : nez complexe et raffiné sur les épices douces et les plantes aromatiques sur un fond délicatement zesté, matière longiligne mais très concentrée, silhouette élégante et équilibre digeste, finale généreuse mais toujours bien appétante avec de beaux amers minéraux.

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Voilà deux jolies bouteilles qui confirment que le Goldert est un terroir particulièrement propice au muscat : à côté d’un 2018 qui magnifie l’expression du cépage, le 2011commence à laisser parler la minéralité de son terroir en révélant un caractère plus complexe et plus raffiné.
Le Goldert permet à amateur d’exubérance de se faire plaisir avec un muscat jeune comme ce 2018, tout en offrant la possibilité à ceux qui aiment les vins plus évolués de laisser vieillir quelques bouteilles pour laisser aux vins le temps de se patiner et de définir cette typicité aromatique et structurelle propre à tout Grand Cru.

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Une parcelle de muscat dans la partie haute du Clos Saint Imer

Pinot Gris Grand Cru Goldert-Clos Saint Imer 2010 : nez intense, notes de fruits jaunes, d’agrumes mûrs et d’épices douces (cannelle, vanille), matière très riche tenue par une acidité large, équilibre franchement moelleux, finale longue avec un long retour épicé.

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Malgré un âge certain – 10 ans quand même – ce pinot gris conserve un équilibre bien moelleux, presque liquoreux, et, même s’il se déguste avec grand plaisir aujourd’hui, il me semble que ce vin aura besoin d’un peu de garde supplémentaire pour atteindre sa maturité optimale…Patience !

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La parcelle de pinots gris du Clos Saint Imer à la limite supérieure du Goldert

Gewurztraminer Grand Cru Goldert-Clos Saint Imer 2017 : nez discret, palette exotique assez discrète sur un fond épicé bien marqué, matière dense et riche, équilibre bien gourmand, finale intense avec un retour long et puissant sur le poivre et le piment

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La dégustation se termine par cette cuvée de gewurztraminer, encore bien jeune, mais dotée d’un potentiel considérable et d’un caractère épicé assez virulent.
C’est un vin qui va combler les amateurs de sensations fortes mais qui gagnera en complexité et en harmonie après quelques années en cave.

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La vieille vigne de gewurztraminer du Clos Saint Imer, plantée au milieu des années soixante.

Pour conclure, un petit bilan sur cette nouvelle expérience de visite approfondie d’un terroir Grand Cru (attention je vais encore me répéter…)

J’ai renforcé ma conviction qu’une bonne compréhension d’un vin passe évidemment par la dégustation mais s’enrichit considérablement si on fait la démarche d’aller sur place, sentir l’énergie des terroirs où il naît et rencontrer les gens qui le conçoivent…je ne boirai plus jamais des Goldert comme avant !
Le Goldert est un terroir dont la qualité a été reconnue dès le moyen-âge et même s’il n’est pas encore défendu comme il le mérite par les vignerons locaux, il permet de concevoir des vins festifs et lumineux capables d’éblouir le dégustateur le plus exigeant.
Souvent riches et volubiles, les crus du Goldert s’expriment avec une générosité qui peut parfois passer pour de l’arrogance, surtout lorsqu’on les déguste dans leurs jeunes années.
En vieillissant, les crus du Goldert, développent un caractère plus serein en faisant sentir progressivement la signature acide/saline de ce grand terroir calcaire.
Bref, qu’on soit buveur hédoniste ou amateur de vins de grande garde, on pourra trouver son bonheur sur le Goldert.

Ma rencontre avec Francis Burn m’a permis de découvrir un beau domaine bien ancré dans la tradition viticole alsacienne ainsi qu’un vigneron qui défend son terroir avec conviction et compétence tout en respectant profondément la mémoire des anciens : « je fais un métier qui ne se conçoit pas sans passion et sans un respect profond de la nature et des vignerons qui nous ont précédés en nous léguant leur savoir-faire et leur patrimoine ».
Comme pour tous les grands terroirs viticoles, « l’histoire et l’expérience de tous ces vignerons qui ont sué avant nous dans les vignes du Goldert » sont des éléments fondamentaux de l’identité d’un Grand Cru.
C’est la conscience de la qualité de cet héritage qui pousse Francis Burn vers la recherche de l’excellence dans chaque vin qu’il élabore.

Mille mercis à Francis Burn pour cette après midi passée en sa compagnie.

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Un joli rosier au pied d’une parcelle de vignes du Goldert.

 

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