LE STEINKLOTZ…
Voici donc le premier article d’une série consacrée aux Grands Crus alsaciens, que je vous propose de réaliser en cheminant du nord au sud sur notre belle route des vins.
Bien des choses ont déjà été écrites sur ces terroirs et un angle d’approche original et intéressant est à priori difficile à définir…mais je vais quand même essayer de relever le défi.
Je vous propose de me suivre dans mes ballades personnelles avec un peu de théorie (le socle nécessaire à une bonne compréhension), des documents photographiques et surtout des rencontres avec les vignerons qui travaillent dans ces parcelles classées.
Le grand cru Steinklotz se trouve sur le ban communal de Marlenheim.
Marlenheim fait partie du vignoble de la Couronne d’Or
Lumière de printemps sur Marlenheim et le Marlenberg
Ce village, qui compte un peu moins de 3500 habitants se situe à une vingtaine de kilomètres à l’ouest de Strasbourg. On le considère comme la porte d’entrée nord de la route du vin d’Alsace (en oubliant la petite enclave septentrionale de Cleebourg).
Ce n’est pas moi qui le dit…
Le coteau du Steinklotz s’étend à flanc de la colline du Marlenberg qui domine le côté nord du village.
Les parcelles du Steinklotz occupent une superficie totale de 40,6 hectares entre 200 et 300 mètres d’altitude et bénéficient d’une exposition sud-sud-est.
Au dessus de Marlenheim, sur les pentes du Steinklotz
Sur le plan géologique ce Grand Cru est à dominante calcaire : Muschelkalk (calcaire coquiller) et calcaire du Keuper dolomitique constituent la roche mère de ce coteau. La terre végétale est rare (20 cm de profondeur) et la roche affleure régulièrement : la dénomination Steinklotz, qu’on peut traduire par bloc (Klotz) de pierre (Stein), n’est vraiment pas usurpée…
La roche apparaît un peu partout entre les rangs de vigne.
Ce sous-sol pauvre et très caillouteux a été depuis toujours exploité pour produire du pinot noir de grande qualité : en 2000 le pinot noir représentait encore 50% de l’encépagement.
D’une parcelle à l’autre la pierre calcaire est omniprésente.
Les cépages blancs se retrouvent principalement sur les quelques zones argileuses ou sableuses, un peu plus humides.
La chapelle au milieu du Steinklotz se trouve dans une zone plus riche en argile...
...un secteur plus particulièrement favorable aux cépages blancs, où on retrouve les rangs de vignes en lyre de Romain Fritsch
Sur le plan historique on s’accorde à dire que ce cru est né avec le Haut Moyen-Age. C’est d’ailleurs à Marlenheim que l’on situe l’origine du plus ancien témoignage écrit sur la culture de la vigne en Alsace, à la fin du 6° siècle.
Une autre particularité vient du fait que ce sont surtout les vins rouges qui ont fait la renommée de ce terroir : le Roter Marlheimer (rouge de Marlenheim) a été encensé par les poètes et les écrivains dès le XVI° siècle et jusqu’à nos jours, à tel point que même les vignerons d’aujourd’hui continuent d’avoir un penchant affectif pour le rouge de leur ancêtres.
Jérôme Fritsch (le papa de Romain) a beaucoup œuvré pour que le pinot noir reste le vin roi dans son village. Pour cela il a milité, avec Serge Fend et d’autres collègues vignerons, pour que ce cépage puisse être autorisé dans l’appellation Alsace Grand Cru sur le Steinklotz. Gageons qu’avec l’énergie déployée par la nouvelle génération qui a pris le relais, ce dossier aboutira bientôt.
Au niveau de la viticulture, le labour et l’enherbement se généralisent peu à peu sur le Steinklotz. La taille courte, l’éclaircissement des grappes ou l’élargissement des rangées sont également des pratiques qui se répandent et qui témoignent d’un vrai changement de cap.
N’oublions pas qu’il y a un demi-siècle, la logique commerciale qui prévalait a conduit les vignerons a adopter des pratiques peu recommandables…on a même arraché de la vigne pour planter des pruniers ou des mirabelliers sur le Steinklotz, compte tenu du fait que l’eau de vie se vendait mieux que le vin à l’époque… !
L’extrême ouest du Steinklotz : au premier plan une parcelle de jeunes vignes sur un sol plus gréseux et au deuxième plan une parcelle d’arbres fruitiers.
L’âge moyen des vignes sur le Steinklotz est de 30 ans, les rendements sont de mieux en mieux maîtrisés, les pratiques culturales progressent à tout niveau
Des rangs enherbés du domaine Mosbach avec, au pied des ceps, un tapis de lamiers pourpres… c’est vraiment le printemps !
…SELON ROMAIN FRITSCH
Le domaine Fritsch se situe au centre du bourg sur l’artère principale qui traverse Marlenheim en direction de Saverne. C’est une exploitation familiale de 7,5 hectares.
Nous débutons notre entretien alors que Romain Fritsch est en train de terminer les travaux de consolidation de son ancien four à Flammekueche. Dès les premières questions, je sens l’homme passionné par son métier et par l’histoire de son vignoble.
Comment définir ce terroir ?
La caractéristique principale du Steinklotz c’est le calcaire, il est omniprésent même si la partie ouest du coteau, après la chapelle, est un peu plus riche en argile. A l’est les sables gréseux issus des falaises du Krontal marquent la fin de ce terroir classé Grand Cru. C’est la partie ouest exclusivement calcaire qui est la plus typique du Steinklotz, les vins qui y naissent possèdent une profonde minéralité et une bonne aptitude à la garde. Le côté est, vers Nordheim, est propice à l’élaboration de vins plus fruités.
Quels sont les cépages les mieux adaptés ?
A ce sujet, aucune ambiguïté, Romain se situe dans la ligne de pensée de son père : le pinot noir est le cépage le mieux adapté sur le Steinklotz.
On y réussit aussi de beaux rieslings, bien entendu, mais Romain avoue avoir une nette préférence pour le gewurztraminer qui offre une belle homogénéité qualitative quel que soit le millésime et qui joue souvent sur le registre de la finesse et de l’élégance, des gewurz de gastronomie, en fait.
Quelles perspectives pour ce terroir ?
A ce sujet, les positions sont claires et tranchées :
- La notion de terroir doit absolument primer sur la notion de cépage : le vigneron vendra des vins de cépage et du Grand Cru Steinklotz. Les caractères variétaux se retrouveront dans les vins de cépage traditionnels et le terroir parlera haut et fort dans le Grand Cru. A chaque vigneron de trouver le ou les cépages qui seront le plus à même de traduire les particularités de ce terroir.
Les vignerons alsaciens se doivent de réfléchir à une réforme destinée à organiser de façon plus rationnelle et plus lisible cette mosaïque d’appellations, dans laquelle le non-initié se perd trop souvent. Avec les modifications des lois sur les autorisations de plantation de la vigne qui se profilent à très court terme (2013), c’est une question de survie pure et simple.
- Il est essentiel que le vin rouge retrouve sa place sur le Grand Cru : à ce sujet Romain Fritsch est convaincu que la solution idéale serait de réaliser une cuvée avec un assemblage de cépages rouges…et même un peu de blanc comme pour le Côte Rôtie. Il verrait fort bien un assemblage avec 80 à 85% de pinot noir, 10 à 15% de syrah et 5% de gewurztraminer.
Il est vrai que lorsque l’on se réfère à Médard Barth (historien du vignoble alsacien) on apprend que le fameux vin rouge qui avait fait la renommée du terroir de Marlenheim était déjà un assemblage avec du pinot noir mais aussi du gamay que l’on plantait sur les sols plus acides près du Krontal et du Bayonner, un cépage teinturier sûrement originaire du sud-ouest (l’idée de planter de la syrah vient de là d’ailleurs).
Bien sûr, il reste encore beaucoup à faire pour faire basculer une interprofession attachée à ses valeurs et souvent obnubilée par la rentabilité immédiate, mais Romain garde bon espoir d’y parvenir un jour…En 1982, il passait bien pour un illuminé parce qu’il était le seul à enherber ses vignes, alors qu’aujourd’hui c’est devenu une pratique courante sur le Steinklotz, alors…
Pourquoi des vignes en lyre sur le Steinklotz ?
Ce mode de conduite de la vigne, né en Allemagne avant-guerre et rendu réellement performant par un travail de recherche dans le vignoble bordelais dans les années 70, a été expérimenté et adopté par Romain Fritsch sur certaines parcelles de muscat, riesling, gewurztraminer, pinot gris et pinot noir, depuis une dizaine d’années.
Des rangs de vignes en lyre sur le Steinklotz, 2300 pieds/HA
La raison de ce choix est double :
- C’est une conduite de la vigne qui permet une exposition plus complète aux rayons du soleil et un développement accru de la surface foliaire. La grande largeur de l’espace inter-rangs permet également une meilleur préservation du sol au pied des ceps (les engins passent beaucoup plus loin des rangs).
- C’est une pratique originale qui démarque le domaine Fritsch des autres en lui procurant un argument de communication non négligeable « A Marlenheim, tout le monde fait du Steinklotz, en ce qui me concerne, je suis surtout connu pour mes vignes en lyre…»
Ces cuvées exclues de l’appellation Alsace Grand Cru et baptisées Cuvée du Banni sont devenues les produits phare du domaine.
Et dans le verre ça donne quoi ?
La dégustation qui a suivi ce long entretien m’a permis de goûter quelques références d’une carte très complète (une vingtaine de vins). Malheureusement, comme pour la soirée gewurztraminer, les antihistaminiques sont restés sans effets notables pour le moment, me laissant avec un nez inopérant et un palais défaillant face à une série de bouteilles, dont je vais dire quelques mots mais que je re-dégusterai sûrement beaucoup mieux dans quelques temps…Promis.
Muscat Cuvée du banni 2007 : une robe claire et lumineuse un nez associant raisin frais et fleur de sureau et un équilibre droit et tendu en bouche.
Un muscat polyvalent (apéritif et gastronomie) composé à parts égales de muscat d’Alsace et de muscat ottonel.
Riesling Grand Cru Steinklotz 2006 : une attaque très franche, une belle pureté au nez (je n’ai pas identifié les marqueurs de 2006) et un belle profondeur en bouche.
Un riesling sérieux et droit, taillé pour la garde.
Pinot Noir Rouge de Marlenheim Cuvée Tradition 2005 : une robe d’un rubis profond, un nez sur le fruit et une bouche gourmande et bien structurée.
Pour se convaincre que le terroir de Marlenheim est fait pour générer de beaux pinots noirs.
Pinot Noir Rouge de Marlenheim Barriques 2003 : une robe sombre et dense, un nez très concentré et complexe et une bouche charnue et ronde.
Un dosage idéal entre la puissance du millésime et l’élevage, un vin avec un beau potentiel même s’il est déjà agréable à boire aujourd’hui.
Nous avons même testé le fameux assemblage prôné par Romain Fritsch en rajoutant quelques gouttes de gewurztraminer dans un verre de pinot noir. La synergie entre ces deux cépages, que tout sépare à priori, est étonnante…une piste à explorer sans aucun doute !
A noter les prix très sages : les GC et le pinot noir barriques à moins de 10 euros, c’est cadeau…
Pour conclure, un petit bilan sur cette première expérience de visite approfondie d’un terroir Grand Cru :
- Tout d’abord, j’ai été heureux de pouvoir passer 2 belles demi-journées dans notre vignoble, l’une sur un V.T.T. sur les pentes du Steinklotz et l’autre en compagnie d’un hôte passionnant.
- Une fois de plus, j’ai pu vérifier que la convivialité et la disponibilité des vignerons alsaciens ne sont pas une légende. Encore mille mercis à Romain pour son accueil.
- J’ ai renforcé ma conviction qu’une bonne compréhension d’un vin passe évidemment par la dégustation mais s’enrichit considérablement si on fait la démarche d’aller sur place, sentir l’énergie des terroirs où il naît et rencontrer les gens qui le conçoivent…je ne boirai plus jamais des Steinklotz comme avant !
- Par contre, je suis toujours navré d’entendre que si peu de strasbourgeois viennent s’approvisionner dans ce secteur : c’est à quelques minutes du centre-ville, les caveaux sont presque toujours ouverts, les vins sont bons et offrent un excellent rapport Q/P… c’est incompréhensible !
Vue sur Strasbourg depuis le Steinklotz, la flèche de la cathédrale est visible à l’horizon.
Première publication de cet article : 2009
Commentaires
1 Schwartz Le 30/08/2013
En tout cas ton article donne envie. Merci.