Dégustation de millésimes anciens au château de Kientzheim

Lors de ma visite de juillet à Eguisheim, Christian Beyer m’avait invité à participer à cette soirée organisée dans le cadre des activités de la Confrérie Saint Etienne et qui proposait la dégustation de quelques vénérables flacons prélevés dans l’œnothèque du château de Kientzheim pour voir comment les vins nés sur de grands terroirs alsaciens se tenaient dans le temps.
Il faut dire qu’en cette semaine de rentrée scolaire, cette réunion entre amateurs de bonnes choses tombe à pic pour faire oublier à un vieux prof d’E.P.S. ronchon qu’il va encore être obligé de repartir pour une années de sacerdoce face à des lycéens qui ne comprennent plus qu’on leur demande de faire des efforts pour progresser et avoir de bonnes notes...
Allez, on oublie tout ça…c’est parti direction le château de Kientzheim et ses trésors liquides !


Arrivé sur place avec une petite demi-heure d’avance je commence à me mettre dans l’ambiance en partant pour une petite promenade autour des remparts de Kientzheim…avec le Schlossberg et le Furstentum face à moi et le Mambourg au loin c’est un environnement idéal pour préparer le thème de la soirée.

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Le château et les remparts de Kientzheim

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Les terrasses du Schlossberg

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La grande faille vosgienne entre le Schlossberg et le Furstentum

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Retour vers le château par les rues de Kientzheim bien calmes.

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Objectif en vue

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Je crois que j’ai frappé à la bonne porte !


Cette séance de dégustation dirigée par Christian Beyer, actuel Major de la Confrérie Saint Etienne, va permettre à une quinzaine de convives de goûter 11 vins dont le plus jeune est né en 1996 et le plus âgé en 1971.

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La table est prête…

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…mes outils de travail me semblent tout à fait performants…

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…et Christian Beyer, qui vient de terminer une longue journée de vendanges, semble encore bien en forme pour diriger cette séance dont il a sélectionné les vins.


Les vins sont servis un par un et dégustés étiquettes découvertes.
Les 3 verres offrent la possibilité de comparer les cuvées entre elles où de leur laisser un temps d’aération plus long.

Pinot Blanc Strangenberg 1994 – Domaine Heim à Westhalten : nez très fin, palette miellée et florale sur un fond légèrement fumé, matière en demi-corps avec une acidité encore bien en place, finale glissante avec des amers salivants.
Ce pinot blanc qui provient d’un coteau calcaire situé à l’entrée de la Vallée Noble se tient remarquablement bien, léger mais encore très vivant…voilà une série qui commence fort !

Riesling Grand Cru Sommerberg 1996 – Domaine Kuhn à Ammerschwihr : fruité assez fringant au nez, nuances fumées délicates avec un touche de chlorophylle qui se révèle après oxygénation, acidité vive et immédiate qui file encore bien droit et qui tient fermement une matière svelte et élégante, finale un peu austère.
Le riesling est marqué à la fois par son origine avec une ligne acide rectiligne et traçante propre aux terroirs granitiques mais aussi par le millésime qui a vu naître des vins aux acidités intenses et acérées. Plus de 20 ans de garde et toujours aussi nerveux…je pense que ce Grand Cru n’a pas du être facile à approcher dans ses jeunes années !

Gewurztraminer Grand Cru Furstentum-Cuvée Laurence 1992 – Domaine Weinbach  à Kaysersberg : nez délicat, palette subtile et complexe, notes florales et épicées, matière riche et concentrée avec une structure ample, beau développement aromatique sur les agrumes mûrs, finale très aérienne, longue persistance fruitée et légèrement poivrée.
Le grand terroir marno-calacro-gréseux de Kientzheim marque de son empreinte ce gewurztraminer opulent et sensuel qui assume son quart de siècle sans montrer de signe de fatigue…voilà une valeur sûre du vignoble alsacien qui assume pleinement son statut. MIAM !

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Pinot Gris Patergarten 1991 – Domaine P. Blanck à Kientzheim : olfaction très austère, notes végétales, de résine et d’écorce sur un fond pierreux, matière anguleuse en bouche, acidité saillante, amers rustiques en finale.
Le sol de graves et de sables de cette parcelle située dans la vallée de Kaysersberg donne en général des vins ouverts et épanouis mais ce pinot gris d’une sévérité vraiment rébarbative va à l’encontre de cette théorie…cette bouteille a probablement souffert des effets conjugués d’un millésime moyen et d’un terroir qui n’est pas forcément fait pour engendrer des vins de garde.

Gewurztraminer Grand Cru Hengst 1991 – Domaine Zind-Humbrecht à Turkheim : notes de torréfaction à l’ouverture, palette qui se complexifie progressivement, notes d’orange bien mûre et de pain d’épices, matière très généreuse en bouche, équilibre moelleux, finale très concentrée mais un peu pesante.
Ce gewurztraminer massif et puissant qui donne la pleine mesure de ce grand terroir de Wintzenheim, montre une fougue et une énergie intacte malgré son âge respectable (26 ans quand même !).
Il n’en reste pas moins que ce vin n’a pas pleinement convaincu ce soir avec son côté « too much » qui le rend un peu indigeste…une bouteille à revoir dans 20 ans !

Gewurztraminer Grand Cru Florimont 1990 – Domaine R. Meyer à Katzenthal : peu flatteur à l’ouverture (notes de pot de cornichon) le nez devient nettement plus agréable après oxygénation en révélant une fine palette florale, bouche agréable mais sans grande profondeur, finale légère et suave mais longueur modeste.
Issu d’un très grand millésime et d’un terroir classé, ce gewurztraminer joue la carte de la délicatesse et de l’élégance…mais il faut bien reconnaître qu’on pouvait attendre un peu plus d’un Grand Cru né en 1990 !

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Pinot Gris Herrenweg 1989 – Domaine Barmès-Buecher à Wettolsheim : olfaction qui s’ouvre sur d’intenses notes de réduction avant de livrer une palette d’arômes complexe et raffinée, céréales, malt, tourbe et tabac brun, tenue impeccable en bouche, puissance et fraîcheur qui s’équilibrent parfaitement, finale longue et sapide, sillage aromatique long avec des notes de caramel et fine touche grillée.
Passé un premier contact olfactif qui peut décourager l’amateur impatient, ce pinot gris né sur ce fameux terroir de graves, de sables et de limons révèle une personnalité d’une richesse et d’une complexité incomparables.…je crois que nous tenons là la bouteille de la soirée. MIAM !

Riesling Clos Saint Landelin 1977 – Domaine Muré à Rouffach : nez frais et bien défini, notes zestées évoluant vers un fruité plus mûr sur les agrumes, matière épaisse avec un joli gras et une acidité large bien en place, finale fraîche et digeste, sillage très raffiné sur l’orange amère et la menthe verte.
Issu d’un millésime extrêmement compliqué – avec des raisins qui ont eu beaucoup de mal à mûrir – ce riesling étonnant de gourmandise démontre que le Clos Saint Landelin est un terroir à part dans le vignoble alsacien : avec son exposition plein sud et ses terrasses aménagées pour pouvoir travailler la vigne malgré la pente, ce coteau offre aux raisins des conditions très favorables pour arriver à pleine maturité.

Riesling Schoenenberg 1977 – Domaine R. Schmidt à Riquewihr : nez discret et un peu fatigué, notes de réduction et petites touches minérales en fond, vif et tendu en bouche, équilibre droit, très austère, finale rustique malgré un sillage bien marqué par le terroir (poudre de craie, plâtre).
Avec ce riesling produit par un négociant de Riquewihr et provenant du coteau du Schoenenbourg (pas encore classé à l’époque) nous sentons de façon évidente que tous les raisins n’ont pas réussi à mûrir en 1977…c’est un vin qui présente assez peu d’attrait mais qui rend le précédent encore plus admirable !

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Gewurztraminer Schlossberg 1976 – Domaine A. Blanck à Kientzheim : nez discret et bien frais, notes de menthe et de poivre blanc, matière ample mais équilibre plutôt léger, joli développement aromatique sur l’orange amère, finale très aérienne, sillage mentholé et épicé.
Ce gewurztraminer né durant une année caniculaire sur ce coteau granitique qui domine Kaysersberg assume fièrement sa quarantaine en s’exprimant avec finesse et complexité…mais j’ai l’impression qu’on était en droit d’attendre un peu plus de consistance et de profondeur de la part d’un vin issu de ce grand terroir alsacien

Gewurztraminer Kaefferkopf 1971 – Domaine Sick-Dreyer à Ammerschwihr : nez complexe et racé, palette complexe, notes d’ananas frais, de fleurs et d’épices douces, bouche épanouie avec une matière très opulente mais une finale qui manque de tonus.
Ce terroir réputé depuis très longtemps mais qui a tardé à entrer dans la famille des Grands Crus a engendré un gewurztraminer mûr et gourmand qui s’exprime encore avec une spontanéité et une frivolité assez surprenantes pour un vin de 45 ans…même si son manque d’énergie en finale nous donne à penser que ses meilleures années sont derrière lui.

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Après cette séquence très studieuse, Christian nous invite à le suivre dans la cave du château pour visiter la grande œnothèque où sont conservées plusieurs milliers de bouteilles de vin d’Alsace.

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La cave du château de Kientzheim avec la prestigieuse collection Mequillet

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Le groupe de dégustateurs dans la cave.

Pour finir cette soirée en beauté le maître de séance propose que des convives choisissent quelques bouteilles dans cette belle collection de trésors liquides.
La séquence est sympathique et conviviale…et les notes un peu moins précises :

Muscat Schoenenberg 1979 – Domaine R. Jung à Riquewihr : nez frais et mentholé, sur un fond légèrement « poussiéreux », frais et léger en bouche.

Riesling 1975 – Domaine Josmeyer à Wintzenheim : encore jeune, olfaction nette mais discrète, équilibre très sec, finale austère.

Pinot Noir Rouge de Turkheim 1989 – Domaine Hurst à Turkheim : nez évolué mais agréable, notes de tabac et de quetsche bien mûre, léger et gourmand en bouche, finale un peu rustique.

Gewurztraminer 1983 – Domaine Schoenheitz à Wihr au Val  : nez complexe, matière riche, équilibre digeste, finale propre et bien salivante, sillage délicatement épicé.

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Quatuor final dégusté en « off » dans la cave du château de Kientzheim


Pour conclure :

Pour illustrer le thème de cette dégustation « Christian Beyer avait sélectionné une belle série de flacons pour nous faire remonter dans le temps jusqu’au millésime 1971 : « avant ce millésime, les étiquettes des vins d’Alsace ne mentionnaient que rarement des indications sur les terroirs d’origine ».

Une fois encore nous avons pu vérifier combien les grands vins d’Alsace bien nés et bien vinifiés savaient se tenir dans le temps…surtout lorsqu’ils sont conservés dans une cave comme celle du château de Kientzheim : ces vénérables flacons emballés individuellement dans des sachets destinés à protéger leurs étiquettes sont régulièrement goûtés et rebouchés – j’ai d’ailleurs participé à l’une de ces séances de rebouchage il y a quelques années.
Les vignerons qui confient une partie de leur production à la Confrérie peuvent être rassurés…leurs trésors sont conservés dans des conditions vraiment exceptionnelles.

Dans ce panel qui proposait des bouteilles de 20 à 45 ans d’âge, nous n’avons trouvé que des vins encore bien vivants même si certains d’entre eux avaient visiblement  passé leur apogée depuis quelques années.

A titre personnel, mon coup de cœur ira au pinot gris 1989 du domaine Barmès-Buecher, un vin vraiment exceptionnel qui a obtenu un vrai plébiscite ce soir. J’ai été le premier surpris de constater que la meilleure bouteille de cette série est issue d’un terroir non-classé mais je pense que la qualité du millésime 1989 a été déterminante dans cette réussite.
J’ai également été séduit par l’élégance absolue du gewurztraminer Furstentum 1992 du domaine Weinbach : c’est un vin qui semble arrivé sur son plateau de maturité optimale et qui donne l’impression de pouvoir y rester encore très longtemps.
Je terminerai en citant la bouteille la plus étonnante de cette sélection : il s’agit du riesling 1977 du Clos Saint Landelin…un très beau vin issu d’un millésime ingrat qui montre la force du terroir du Clos Saint Landelin.

Les noms des domaines qui ont produit ces trois petites merveilles – Barmès-Buecher, Weinbach et Muré – parlent forcément à tout amateur de vins d’Alsace et nous rappellent également qu’un grand terroir n’existe pleinement que lorsqu’il est servi par de grands vignerons.

Mille mercis à Christian de m’avoir invité à participer à cette soirée riche en enseignements et en émotions.

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Le château du Kientzheim…un écrin de luxe pour les trésors du vignoble alsacien


NB. Désolé pour la piètre qualité des mes photos d'intérieur mais mon appatreil photo m'a laissé en rade dès le début de la dégustation...donc photos avec mon vieux téléphone.
     Si vous voulez voir de meilleures photos et lire d'autres commentaires, allez voir sur le blog à Stéphane : CLIC

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