Le fonctionnement des terroirs selon Lydia et Claude Bourguignon

Si toutes les séances de l’U.G.V. auxquelles j’ai pu participer m’ont semblé vraiment indispensables pour le développement de ma culture vinique celle de ce soir est sûrement la plus importante à mes yeux : pouvoir écouter Claude et Lydia Bourguignon nous parler de vins et de terroirs est un privilège pour tout amateur désireux de comprendre un peu mieux les éléments qui interviennent dans la genèse d’un grand vin.

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Les conférenciers son installés et la thématique de la soirée est affichée.

Ce soir nous allons donc essayer d'identifier des liens subtils qui se tissent entre les vins et leurs terroirs d’origine. Pour illustrer leurs hypothèses, nos conférenciers ont sélectionné une série de crus qu’ils commenteront avec l’aide de Caroline Furstoss, élue « sommelière de l’année » en 2014 et Romain Iltis, « meilleur sommelier de France » en 2012, deux défenseurs émérites des grands vins d’Alsace…voilà un casting vraiment exceptionnel pour une soirée mémorable !

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Romain Iltis et Caroline Furstoss encadrés par le président et le vice-président de l’UGV

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Claude et Lydia Bourguignon…

Ce couple de scientifiques, fondateurs du Laboratoire d’Analyse Microbiologique des Sols (L.A.M.S.) travaille depuis plus de 25 ans à la sauvegarde de la qualité des sols. Ils dénoncent les pratiques déraisonnables – voire irresponsables – d’une agriculture intensive qui dégrade la biomasse et la richesse des sols en micro-organismes.

Même si le sujet de la vie des sols est à n’en pas douter un enjeu fondamental pour l’agriculture du XXI° siècle, nous allons quand même nous recentrer sur le thème de cette soirée…un peu plus léger mais tout aussi passionnant : le lien entre le goût du vin et le lieu.

« Un terroir c’est un sol, un matériel végétal et un vigneron » et pour concevoir un grand vin, le vigneron aura besoin d’un sol vivant et d’un matériel végétal de qualité et adapté au sol.
Dans un exposé solidement étayé pas des connaissances scientifiques, Claude et Lydia Bourguignon nous font partager ce qu’ils ont pu découvrir et comprendre du fonctionnement des sols durant leurs nombreux voyages dans les vignobles du monde. Toutes ces expériences les ont confortés dans l’idée que la biologie des sols avait une vraie influence sur le goût des vins.

Avant de commenter les vins du soir, j’ai envie de vous livrer quelques réflexions qui m’ont particulièrement marqué :
- « La vigne prélève 94% de sa matière sèche dans l’atmosphère à travers 4 atomes (carbone, hydrogène, oxygène et azote)...et 6% de sa matière sèche dans le sol mais à travers 24 atomes ».
- Les molécules minérales et les micro-organismes sont stockés entre les feuillets des argiles qu’on trouve dans le sol : « le rôle de ces argiles dont la surface interne peut varier de 30 m²/g à 800 m²/g est fondamental ».
- Ce sont les éléments vivants du sol (du ver de terre à la bactérie) qui aèrent le sol et apportent l’oxygène nécessaire aux réactions chimiques : « l’action des microbes rend les éléments du sol assimilables par la vigne ».
- Dans le vin on trouve des molécules minérales libres et « ces molécules minérales modifient la perception du sucre et de l’alcool dans une vin ».
Cette corrélation entre la nature du lieu et le goût du vin commence à être expliquée par « les interactions qui se produisent entre molécules organiques et molécules minérales ».
- En revanche l’influence constatée de la texture du sol sur le toucher de bouche d’un vin ne peut pas être expliqué scientifiquement à l’heure actuelle et pourtant Lydia Bourguignon est convaincue que « la granulométrie du sol se perçoit en bouche ».
Par exemple les vins nés sur des sols argileux sont plutôt « collants », ceux nés sur des sols limoneux sont plutôt « poudreux » et ceux nés sur des sols sableux sont toujours très « sautillants ».

Et si on allait vérifier tout ça en buvant un coup !!!

Pour commencer cette dégustation, Claude et Lydia Bourguignon ont choisi de nous proposer deux chasselas suisses nés sur les coteaux qui bordent le Lac Léman près de Lausanne. « Le chasselas est un cépage sans trop de personnalité mais qui se laisse facilement imprégner par le terroir ».

La Côte Morges Grand Cru Champanel-Chasselas 2014 – Domaine H. Cruchon
La robe de ce vin étonne un peu par sa clarté – on croirait presque de l’eau – mais le nez se montre particulièrement avenant avec une palette subtile et délicatement florale. La bouche est charnue avec un très joli gras et une finale finement acidulée, rehaussée par de beaux amers minéraux.

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La Côte Morges Grand Cru Les Pétoleyres-Chasselas 2014 – Domaine H. Cruchon
Le nez plus discret mais d’une belle pureté délivre quelques fragrances de citron vert très raffinées, en bouche la matière est plus longiligne avec un toucher très granuleux mais l’équilibre est plutôt vif avec une acidité bien traçante. La finale marquée par une amertume noble et salivante semble un peu plus courte.

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Conformément à ce qui était annoncé ces deux chasselas ne sont pas très loquaces sur le plan aromatique mais révèlent de très belles présences minérales en bouche. La cuvée Champanel est issue d’une parcelle sur une moraine de fond avec un sol très riche en calcium « ce qui explique la sensation de gras en bouche ». La cuvée Les Peytoleyres née sur une moraine de surface est un peu moins sociable mais développe une minéralité plus profonde et plus racée.


Les deux blancs suivants nous emmènent sur les bords de la Loire entre Montlouis et Vouvray :

Montlouis Les Bournais 2014 – Domaine F. Chidaine
Le nez est très flatteur avec un fruité élégant (notes de poire et de coing frais) et une fine touche d’élevage. Après une attaque très vive, la matière ample et juteuse se pose en bouche mais une acidité très pointue donne beaucoup d’énergie à l’ensemble. La finale tendue et saline laisse persister un long sillage aromatique sur les agrumes.

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Vouvray Clos Baudoin 2014 – Domaine F. Chidaine
Le nez beaucoup plus secret aura besoin d’un peu de temps avant de laisser entrevoir quelques belles fragrances fruitées (fruits blancs) et florales. La bouche dense et épaisse nous fait sentir une présence finement tannique. La finale laisse apparaître quelques arômes végétaux nobles soutenus par de beaux amers minéraux.

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Ces deux chenins sont vraiment splendides et pourtant leurs présences en bouche ont des caractères tout à fait différents : lorsqu’on étudie le tableau d’analyse des sols établis par nos conférenciers (tableau placé en fin d’article) on se rend vite compte que le sol de Vouvray présente des caractéristiques minérales plus riches et plus complexes que celui de Montlouis « Vouvray est le seul vignoble qui fait du vin blanc sur des argiles avec une aussi grande surface interne ».
Personnellement, j’ai vraiment apprécié ce Montlouis qui associe un charme très spontané et une vraie profondeur. Le Vouvray ne se livre pas aussi facilement mais impressionne par sa force minérale vraiment exceptionnelle.


La transition entre blancs et rouges se fera avec un pinot noir né sur le Grand Cru Vorbourg :

Pinot Noir Vorbourg Clos Saint Landelin 2012 – Domaine Muré
Le nez est somptueux avec une expression aromatique complexe et envoûtante, notes de fruits rouges très mûrs, épices douces et fine touche lactée. La matière est sphérique avec un jus concentré et des tanins veloutés qui laissent une belle impression de sensualité. La finale fait ressortir une minéralité très tactile qui rend la fin de bouche sapide et digeste.

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Ce pinot noir alsacien est né sur une parcelle où les argiles présentent une surface interne relativement faible : « avec 271 m²/g on se situe à la limite inférieure pour élaborer des vins rouges, un peu comme sur le terroir de Volnay ».
En sachant cela on est moins étonné de trouver cette sensation d’élégance absolue dans ce vin vraiment sublime.
J’ai l’impression que les crus bourguignons prévus pour la suite vont devoir se surpasser pour s’affirmer face à cette pépite locale !


On poursuit notre voyage gustatif avec des interprétations bourguignonnes du pinot noir :

Vosne Romanée 1° Cru Les Brûlées 2013 – Domaine B. Clavelier
Le nez s’ouvre avec des notes de torréfaction (café moulu) et de belles nuances minérales (poudre à canon et silex) mais la bouche révèle progressivement un fruité rouge et frais. La matière très longiligne s’enroule autour d’une arête acide fine et tendue et la trame tannique serrée mais tout à fait civilisée assure la robustesse de la charpente.

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Vosne Romanée 1° Cru Aux Beaux Monts 2013 – Domaine B. Clavelier
L’expression aromatique se montre un peu timide à l’ouverture avec une présence minérale bien marquée mais de belles notes de fruits rouges viennent rapidement adoucir et complexifier la palette. En bouche, la matière se pose avec beaucoup d’autorité, ample, épaisse, charnue et solidement structurée par des tanins bien présents mais d’une finesse extrême. La finale fraîche et bien tendue vibre d’une profonde minéralité et laisse persister un sillage délicatement épicé.

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Ce très beau duo bourguignon nous permet de prendre conscience de l’importance des argiles dans la typicité tactile d’un vin : Brulées est un terroir de calcaires à chailles, très durs (proche du silex), qui donne un côté tendu et étiré au vin alors que Beaux Monts plus riche en argiles qualitatifs apporte du volume et de la concentration à la matière.
Moins expressifs que le pinot noir du Clos Saint Landelin ces aristocrates bourguignons jouent la carte de l’élégance et du raffinement et nous rappellent que c’est sûrement dans cette région qu’on a le mieux compris comment il fallait travailler ce cépage pour qu’il donne le meilleur de lui-même.


La dernière doublette de rouges nous emmène en Italie :

Barolo Bricco Delle Viole 2009 – Domaine Vajra
Le nez intense et flatteur propose une palette sur les fruits rouges confits, la figue fraîche et la pêche de vigne. Après une attaque toute en douceur, la matière monte en puissance et envahit la bouche avec une chair dense et des tannins très serrés mais soyeux. La finale s’étire et laisse s’exprimer un beau caractère minéral avec des amers nobles et un sillage tannique qui serre un peu.

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Barolo Luigi Baudana 2010 – Domaine Vajra
Le nez est ouvert et résolument sudiste avec des notes de cacao amer et d’épices sur un fond finement torréfié. En bouche, la matière ample et sphérique est structurée par une belle trame tannique et une acidité vivifiante. La finale longuement aromatique s’accompagne d’une délicate amertume.

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« On trouve une concentration d’éléments minéraux vraiment exceptionnelle dans les sols des grands vignobles italiens »…notamment du magnésium dont la présence pourrait expliquer cette amertume caractéristique qui me dérange toujours un peu dans les grands vins italiens (tableau en fin d’article).
Les vignes du domaine Vajra, travaillées en biodynamie depuis de longues années, sont enracinées profondément dans ce sol fortement minéralisé et permettent la genèse de vins à forte personnalité comme ces deux très beaux Barolo qui m’ont presque réconciliés avec les crus transalpins.


Et pour finir une petite douceur :

Sauternes Château Lafaurie Peyraguet 2005 – S.C. du Château à Bommes
Le nez est complexe et très délicat avec une palette raffinée sur les fruits exotiques bien mûrs, les épices douces (vanille, cannelle, cardamome) et une fine touche grillée. La bouche est suave et d’une grande élégance avec une chair juteuse, un moelleux très digeste et une finale longue et cristalline.

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Déguster un grand Sauternes arrivé à maturité est une expérience mémorable qui me fait regretter d’avoir perdu l’habitude de consommer ce style de vin…il faut que je me reprenne !!!
Dans ce vignoble avec des sols si particuliers (beaucoup de sable et des argiles avec le plus faible niveau de surface interne) et un climat difficile (beaucoup d’humidité), faire du vin relève de l’exploit – voire parfois du miracle – et pourtant les vignerons locaux continuent à exercer leur métier avec conviction et passion pour nous régaler avec ces bouteilles magnifiques dont F. Dard disait qu’elles contenaient « de la lumière à boire ».

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Tableau récapitulatif de l’analyse des sols

 

Cette nouvelle session de l’U.G.V. qui était particulièrement attendue par un grand nombre de passionnés de vin – la salle des Tisserands de Châtenois était pleine ce soir – a bien évidemment tenu toutes ses promesses.

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Le couple Bourguignon a fait salle comble…la preuve par l’image !

Je connaissais déjà un peu le couple Bourguignon à travers la lecture d’articles ou le visionnage de videos diffusées sur le net, mais j’ai été vraiment impressionné par leur prestation durant cette conférence : ces deux scientifiques dont l'expertise dans l'étude du fonctionnement des sols est reconnue dans le monde entier, nous ont emmenés dans l'univers de l’infiniment petit pour nous aider à décrypter les mystères des grands vins.
Grâce à des explications claires et à 10 vins choisis avec beaucoup de pertinence, Lydia et Claude Bourguignon ont réussi à nous faire comprendre et ressentir les effets gustatifs de la minéralité dans le vin.
Leur érudition et leur profonde humanité m’ont captivé durant près de 3 heures…Merci à eux pour ces beaux moments de culture vinique !

Les vins proposés ce soir étaient tous remarquablement bien travaillés et nous ont permis d’apprécier leurs qualités exceptionnelles avant de nous donner l’occasion de vérifier les hypothèses avancées par nos conférenciers. Apprendre avec un verre à la main…j’en ai rêvé l’U.G.V. l’a fait !
S’il fallait isoler un coup de cœur dans cette série de très haute tenue, je choisirai le pinot noir du domaine Muré, un grand vin rouge qui prouve qu’à l’heure où les crus bourguignons sont de plus en plus rares et de plus en plus chers, l’Alsace a une vraie carte maîtresse à jouer avec ce cépage.
Qu’on se le dise !

Pour conclure j’ai envie de citer Claude Bourguignon qui relève le potentiel encore sous exploité des terroirs alsaciens « Nous avons voyagé dans les vignobles du monde entier et nulle part nous avons trouvé des sols avec une aussi grande diversité géologique qu’en Alsace (…) Vous avez la chance de pouvoir exploiter des terroirs d’une richesse et d’une complexité uniques et vous continuez à parler de cépage »…à méditer !!!

Merci à tous ceux qui ont œuvré pour nous permettre de vivre ces beaux moments de formation et de gourmandise.

 

Commentaires

  • MICHEL LEPAISANT-TAVERNIER

    1 MICHEL LEPAISANT-TAVERNIER Le 14/04/2016

    Claude et Lydia Bourguignon avait déjà abordé de façon brillante, la minéralité dans le vin. Je résumerai leurs propos de la manière suivante: "Il n’y a pas de sel dans le vin, la sensation est dans le terroir qui nous transmet la mémoire du lieu. C’est la mémoire de l’eau, l’onde énergétique. C’est la mémoire de la mer d’il y a 30 millions d’années.
    Cette dimension ne s’analysera jamais, donc ne sera jamais normé. C’est de l’énergie, pas de la matière. Et dans le mode du vin, cela n’existe pas pour les biologistes".
    Bravo également pour le choix du Pinot noir de chez Muré et les commentaires élogieux pour ce magnifique vin.
    J'aime également l'ouverture faites à l'Alsace. Un terroir, un cépages!
    Enfin, amoureux des vins de belles structures ayant une belle minéralité et une grande buvabilité, je vous invite à découvrir les cuvées monocépages de Sébastien Agelet, Domaine de Mena en Côtes Catalane. Existe-t-il un rapport entre leur minéralité et le terroir. J'en suis personnellement convaincu.
    Merci pour cette bel article. Un moment de lecture passionnant
    Michel
    pierre_radmacher

    pierre_radmacher Le 30/04/2016

    Merci pour ce beau message.
  • Michel O

    2 Michel O Le 14/04/2016

    J'y étais, mais je n'aurais su retranscrire aussi fidèlement.
    Très beau CR ... Comme à votre habitude !

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