Le Wineck-Schlossberg selon Frédéric Bernhard
LE WINECK-SCHLOSSBERG…
Pour la seconde étape de mon voyage sur la route des vins d’Alsace j’ai décidé de mettre le cap au sud et de passer dans le Haut-Rhin pour une petite halte à Katzenthal à la découverte de son Grand Cru le Wineck-Schlossberg
Bien des choses ont déjà été écrites sur ces terroirs et un angle d’approche original et intéressant est à priori difficile à définir…mais je vais quand même essayer de relever le défi.
Je vous propose de me suivre dans mes ballades personnelles avec un peu de théorie (le socle nécessaire à une bonne compréhension), des documents photographiques et surtout des rencontres avec les vignerons qui travaillent dans ces parcelles classées.
Bon, ça je l’avais déjà dit…mais c’est pour les nouveaux.
Le grand cru Wineck-Schlossberg se trouve sur les bans communaux de Katzenthal et d’Ammerschwihr (pour une toute petite partie)
Au pied des collines vosgiennes, Katzenthal et son château.
La légende veut que le Wineck ait été, à l'aube du Moyen Age, le repaire d'un baron franc appelé Kaze qui aurait transmit son nom à la petite vallée de Katzenthal.
Les historiens situeraient plutôt l’origine du nom de ce village au XII° siècle : le premier habitant venu s’installer dans ce vallon se nommait Chazzo et l’endroit prit le nom de Chassindale. Puis, comme très souvent, avec le jeu conjugué des altérations linguistiques et de l’étymologie populaire le « vallon de Chazzo » s’est transformé en « vallon aux chats », traduction littérale actuelle de Katzenthal.
Le blason de Katzenthal : une croix sur un quartier de lune, mais pas de chats…
Ce village qui compte environ 500 habitants a été reconstruit presque intégralement après la deuxième guerre mondiale : les terribles combats de la poche de Colmar avaient détruit 90% des habitations. Il se situe à quelques kilomètres de Colmar, adossé au massif vosgien entre Ammerschwihr et Niedermorschwihr.
Inutile de vous préciser que le site est magnifique…
Katzenthal et son clocher reconstruit après la dernière guerre, au second plan le château et le coteau du Wineck-Schlossberg.
Le coteau du Wineck-Schlossberg s’étend à flanc de la colline qui domine le côté nord du village. Les parcelles classées occupent une superficie totale de 27,40 hectares entre 270 et 420 mètres d’altitude et bénéficient d’une exposition sud-sud-est.
Sur le plan géologique ce Grand Cru fait partie de la petite famille des granitiques alsaciens (il y en a 9 en tout). La vigne est plantée sur les flancs du massif vosgien à l’ouest de la ligne de faille qui sépare les terroirs granitiques des autres terroirs alsaciens plus calcaires. Le sous-sol est composé presque exclusivement de granit de Turckheim à 2 micas fortement désagrégé.
Des pieds de vigne sur des parcelles du haut du coteau : le granit est omniprésent dans la maigre couche de terre arable.
Cette terre bien drainée qui retient bien la chaleur est évidemment parfaitement adaptée à la production de raisins de qualité, mais ce qui caractérise vraiment le Wineck-Schlossberg c’est son micro-climat particulier.
N’oublions pas que le terroir prend en compte d’autres éléments que la géologie : pour le Wineck-Schlossberg c’est bien la situation géographique particulière qui lui confère une identité bien spécifique. Par rapport à ses illustres voisins proches issus de la même famille (comme le Sommerberg, le Schlossberg, le Kaefferkopf ou le Brand), ce Grand Cru se trouve dans un secteur protégé des vents dominants par 3 collines : ici la vigne fleurit plus tôt qu'ailleurs et les conditions climatiques un peu moins tourmentées permettent au raisin d'atteindre une maturité exceptionnelle dès le début de l'automne.
Sur le plan historique, les premières traces écrites évoquant le vin de Katzenthal datent de plus de 750 ans, on y apprend qu’en ce temps là, les vins du Cuttenthal étaient connus et recherchés.
Le nom Schlossberg apparaît pour la première fois dans des documents écrits datés de 1706 pour évoquer les parcelles situées sur ce coteau.
Une autre particularité vient du fait que l’histoire de ce grand cru est intimement lié à celle de son château, une ruine féodale avec un impressionnant donjon haut de 21 mètres, qui trône au milieu des vignes.
Le Wineck vu du village et vu du sommet de la colline.
Edifié vers le milieu du XIII° siècle il porte un nom qui souligne la pérennité d’un lieu dédié à la viticulture depuis longtemps : le Wineck, ce qui peut se traduire par « coin du vin ». Très rapidement l’existence du vignoble devient indissociable de celle des chevaliers qui détiennent et occupent le château, témoignant de cette étroite relation qui existait alors entre la puissance des gens de pouvoir et la possession des meilleurs vignobles. Par la suite, le château fut rapidement abandonné (il est signalé en ruine au début du XVI° siècle), faute d’intérêt stratégique suffisant, mais le lien entre le Wineck et son coteau était solidement établi. Pour montrer leur fierté de posséder le seul grand cru de la région avec un château au milieu des vignes, les vignerons de Katzenthal ont installé, dans le fossé creusé dans le roc sous le donjon, une vinothèque destinée à conserver vivante la mémoire des meilleurs millésimes.
Le Wineck, une « ruine » qui ne se porte pas si mal que ça…
…grâce à l’association des Amis du Wineck qui a fait un gros travail de restauration.
Au niveau de la viticulture, l’encépagement privilégie largement le riesling : le roi des cépages alsaciens s’y plaît particulièrement en y prenant la vivacité et la fraîcheur propres aux terroirs granitiques tout en y rajoutant l’élégance et la sérénité issues de ce climat particulièrement protégé. Le gewurztraminer, qui occupe 20% de la surface, se retrouve surtout dans les parcelles un peu moins arides et produit des vins friands, fruités qui se laissent facilement approcher dans leur jeunesse.
Le travail dans la vigne est difficile : la raideur des pentes du Wineck-Schlossberg rend toute mécanisation problématique et, très souvent, dans ce climat serein et apaisé où la vigne se plaît le vigneron sue sang et eau pour y travailler.
L’extrême ouest du coteau.
Des vignes sur le Wineck-Schlossberg le 24 avril…vous avez dit précoce !
En ce qui concerne la vinification il y a deux écoles qui s’affrontent.
D’un côté, les tenants de la tradition qui revendiquent le droit de laisser s’exprimer naturellement la typicité de ce terroir, en produisant des vins plaisants à boire jeunes. D’un autre côté, une jeune génération plus ambitieuse et désireuse de valoriser pleinement les potentialités de ce Grand Cru, en contrôlant davantage les rendements et en prolongeant les élevages sur lies. Leur ambition serait de parvenir à conserver cette grâce juvénile aux vins jeunes tout en leur donnant les moyens d’exprimer la profondeur de leur terroir avec l’âge.
Quadrature du cercle ou vin de rêve ? Un beau challenge en tous cas !
…SELON FREDERIC BERNHARD
Le domaine Bernhard se situe au centre du bourg sur l’artère principale qui traverse Katzenthal pour buter contre le massif vosgien (le village est un cul-de-sac)
Le village vu du Wineck-Schlossberg, avec la maison Bernhard en jaune
C’est une exploitation familiale de 10 hectares avec des parcelles sur 6 Grands Crus (Wineck-Schlossberg, Schlossberg, Kaefferkopf, Mambourg, Fürstentum et Florimont). Les Bernhard sont vignerons à Katzenthal depuis plus de 2 siècles. Leur production est dominée par le riesling (25%), le gewurztraminer (25%) et le pinot gris (20%), le dernier tiers est partagé entre tous les autres cépages alsaciens.
Frédéric Bernhard me reçoit dans le caveau de dégustation du domaine et se prête avec beaucoup de patience et d’à-propos au jeu des questions-réponses sur le sujet du jour.
Comment définir ce terroir ?
La jeune génération des vignerons de Katzenthal se concerte régulièrement pour débattre de la question de l’identité de ce Grand Cru.
Ils ont retenu 3 mots clés pour définir le Wineck-Schlossberg :
GRANIT – SOLAIRE – PRECOCITE.
Pour être un peu plus complet, Frédéric précise que le sous-sol granitique du Wineck-Schlossberg est un peu plus argileux que celui de ses illustres voisins Sommerberg et Schlossberg et que les parcelles nord qui jouxtent le Kaefferkopf sont un peu plus gréseuses.
Pour rentrer encore un peu plus dans le détail, il faut noter que la configuration de ce Grand Cru est vraiment spécifique : en plus de sa situation protégée du vent, la nature de son relief très accidenté fait que ce coteau offre des expositions extrêmement variées entre sud-est et sud-ouest ainsi qu’une différence d’altitude non-négligeable entre les parcelles près du village et celles du sommet.
Le coteau vu de la route vers Niedermorschwihr, ça penche de partout…
Ces conditions particulières obligent le vigneron à surveiller attentivement toutes ses parcelles pour contrôler au plus près les niveaux de maturité. En revanche, cette diversité permet d’effectuer une forme de régulation qualitative d’un millésime à l’autre : il n’est pas étonnant de constater que la plupart des domaines de Katzenthal possèdent depuis toujours des parcelles précoces et des parcelles plus tardives sur le Wineck-Schlossberg.
Quels sont les cépages les mieux adaptés ?
Là, aucune hésitation, pour le Wineck-Schlossberg, c’est le riesling : ce cépage occupe 80% du Grand Cru. Chez les Bernhard, il y règne en monarque absolu, sur 100% de la surface.
« Un sol très pauvre, du granit et du riesling, c’est une association naturelle ».
Les gewurztraminers se retrouvent dans le secteur plus gréseux vers le Kaefferkopf.
Quels caractères spécifiques ce terroir transmet-il aux vins ?
Les rieslings sont aériens avec de beaux arômes floraux, un fruité délicat (agrumes) et une minéralité importante (notes de silex, de pierre chaude…). Des analyses scientifiques révèlent que ce terroir de granit très décomposé marque la composition chimique de ces vins en les enrichissant de nombreux sels minéraux comme la silice, le manganèse, le fer…
En vieillissant les rieslings du Wineck-Schlossberg gardent très souvent le fruité de leur jeunesse - « pas de notes de pétrole sur ce terroir » - mais il se complexifient en bouche en affirmant davantage leur côté salin et pierreux.
Quelles perspectives pour ce terroir ?
Frédéric Bernhard est optimiste quant au possibilités de développement de ce cru, surtout parce que les jeunes vignerons de Katzenthal ont pris pour habitude de s’associer pour partager des réflexions, des expériences ou des opérations de communication vers l’international (récemment dans le Valais suisse, par exemple).
Pour le Wineck-Schlossberg, ils sont unanimes pour affirmer que ce Grand Cru doit produire des vins secs, fruités et aromatiques. Pour ceci, ils savent qu’il est impératif de ne ramasser que des raisins sains et parfaitement mûrs.
En ce qui concerne les vinifications, la tendance est à l’allongement de la durée d’élevage sur lies : « avant, tout le monde soutirait au mois de janvier, aujourd’hui la plupart des domaines soutirent au mois de juin et certains autres attendent la fin août, comme nous ».
L’image du château est emblématique pour le cru mais il reste encore bien des pistes à explorer à ce sujet pour augmenter son impact au niveau de la communication ; notamment en renouant des liens plus directs avec l’Association des Amis du Wineck, afin de remettre en avant l’idée de cette oenothèque si particulière.
Les vins du domaine : quelle conception ?
Frédéric, qui assiste son père Jean-Marc depuis 10 ans, a des idées bien claires sur la manière de concevoir ses vins :
- il prône une viticulture respectueuse de l’environnement, avec une démarche bio sur la plupart des vignes en coteau
- il pratique l’enherbement pour des raisons surtout pratiques (travail simplifié et limitation de l’érosion) un rang sur deux pour 80% des vignes ; le reste est enherbé à 100% ou entièrement labouré selon la nature de la parcelle. Sur le Wineck-Schlossberg la concurrence hydrique très rude entre végétaux l’a conduit opter pour des plants semés (trèfle ou fétuque), un peu moins gourmands en eau.
- les vendanges se déroulent dans la seconde moitié du mois d’octobre selon la maturité des baies. Sur le Wineck-Schlossberg, les rieslings sont rentrés avec des densités de 1095 à 1100 maximum, afin de pouvoir les vinifier en vin sec.
- les fermentations se font de façon naturelle, avec des levures indigènes et sans intrants. Elles se déroulent à leur rythme et sont menées à bout. Les malos se font parfois mais « on ne les sent pas parce qu’un vin issu d’une vendange mûre ne contient que très peu d’acide malique »
- les élevages se font en foudre pour les rieslings, les pinots gris et les pinots noirs, les autres cépages sont en cuves inox thermorégulées.
Le domaine met en bouteilles 100% de sa production et en exporte 20%, principalement dans des pays européens (Danemark, Grande Bretagne, Italie, Belgique) et aux Etats Unis.
Et dans le verre ça donne quoi ?
Sylvaner Vignoble de Katzenthal 2007 : des arômes élégants sur un registre très floral et une belle pureté en bouche.
Issu de vieilles vignes, ce sylvaner situe parfaitement le niveau d’exigence des vins de ce domaine.
Pinot blanc 2007 : un nez très aérien de fruits blancs, une bouche légère mais bien équilibrée et une finale avec une fine amertume.
Une alternative un peu plus ronde que le sylvaner mais toujours avec le même niveau qualitatif.
Muscat 2008 : un nez très flatteur de raisin frais et de sureau, une bouche redoutable de suavité et de fraîcheur avec quelques 12 g de S.R. équilibrée par une acidité puissante.
Un muscat somptueux, qui ne se contente pas d’être aromatique mais qui possède une réelle profondeur en bouche. Un coup de cœur absolu !
Riesling Vieilles Vignes 2007 : un nez précis et délicatement citronné, une belle vivacité et un équilibre idéal.
Un riesling très pur récolté sur des parcelles de plus de 40 ans, classique mais parfaitement réalisé.
Riesling Grand Cru Wineck-Schlossberg 2007 : un nez très aérien de fleurs blanches et une bouche finement marquée par le terroir avec des notes pierreuses et une finale fraîche sur le pomelo.
Un cas d’école : déjà terriblement séduisant mais doté d’un beau potentiel. Le plus dur va être de le laisser vieillir…
Riesling Grand Cru Wineck-Schlossberg 2008 (en cours d’élevage sur lies) : le nez est encore un peu perturbé par des arômes fermentaires mais la bouche est ample, délicatement citronnée et dotée d’une minéralité puissante.
Une très belle cuvée sans aucun doute, avec une matière concentrée et noble.
Riesling Grand Cru Schlossberg 2007 : une palette classique nettement sur les agrumes et une bouche ample et sphérique.
Un riesling sec mais avec une personnalité plus extravertie.
Gewurztraminer Grand Cru Kaefferkopf 2007 : un nez bien défini avec des notes de fruits très mûrs et d’épices douces ; la bouche est ample, opulente, marquée par la surmaturité tout en restant digeste.
Un gewurztraminer classique, version solaire mais sans lourdeur.
Gewurztraminer Grand Cru Mambourg 2006 : un nez riche et très fin alliant des arômes de fleurs et d’épices douces, la bouche est gourmande avec des notes d’écorce d’agrumes, l’équilibre entre S.R. et trame acide frise la perfection, la finale est agréablement saline.
Je n’ai pas pu m’empêcher de regoûter ce vin qui avait déjà séduit les dégustateurs de la soirée AOC consacrée au gewurztraminer : confirmation, c’est un grand !
A noter les prix très sages : les GC entre10 et 13 euros, c’est cadeau…
Pour conclure, un petit bilan sur cette seconde expérience de visite approfondie d’un terroir Grand Cru (attention je risque de me répéter…) :
- Une fois de plus, j’ai pu vérifier que la convivialité et la disponibilité des vignerons alsaciens ne sont pas une légende. Encore mille mercis à Frédéric pour son accueil.
- J’ ai renforcé ma conviction qu’une bonne compréhension d’un vin passe évidemment par la dégustation mais s’enrichit considérablement si on fait la démarche d’aller sur place, sentir l’énergie des terroirs où il naît et rencontrer les gens qui le conçoivent…je ne boirai plus jamais des Wineck-Schlossberg comme avant !
- Le Wineck-Schlossberg est vraiment l’archétype du terroir granitique propice à l’élaboration de grands rieslings fins et minéraux. Le cépage est magnifié dans le registre de la pureté et de l’élégance absolue.
- Avec des domaines ambitieux comme celui de J.M. Bernhard mais aussi des frères Klee et autres Spannagel on peut résolument optimiste sur l’avenir du vignoble de Katzenthal.
Juste pour le plaisir : au pied des rangs de vigne, des fleurs de printemps.
Première publication de cet article : 2009
Ajouter un commentaire