Le Gloeckelberg selon Xavier Baril

LE GLOECKELBERG…

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L’étude des Grands Crus bas-rhinois s’étant terminée en 2018 avec mon travail sur le Praelatenberg, j’ai donc décidé de poursuivre ma trajectoire nord-sud en m’arrêtant du côté de Rodern pour m’intéresser au plus septentrional des terroirs classés du Haut-Rhin : le Gloeckelberg.
Ce Grand Cru que même un amateur confirmé des vins d’Alsace ne connaît pas forcément, est défendu depuis 2009 par le domaine Fernand Engel établi dans le village de Rorschwihr et c’est avec Xavier Baril, le manager général de cette grande maison du vignoble alsacien, que je vais avoir le plaisir de parler de ce terroir.

Hoppla, c’est reparti !

Bien des choses ont déjà été écrites sur ces terroirs et un angle d’approche original et intéressant est à priori difficile à définir…mais je vais quand même essayer de relever le défi.
Je vous propose de me suivre dans mes ballades personnelles avec un peu de théorie (le socle nécessaire à une bonne compréhension), des documents photographiques et surtout des rencontres avec les vignerons qui travaillent dans ces parcelles classées.
Bon, ça je l’avais déjà dit…mais c’est pour les nouveaux.


La plus grande partie du Grand Cru Gloeckelberg est délimitée sur le ban communal de Rodern, un petit village viticole qui se trouve légèrement en retrait de la route des vins d'Alsace, au pied du château du Haut-Koenigsbourg.

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Rodern au printemps 2020…

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…et le château du Haut Koenigsbourg vu du vignoble de Rodern

Situé à égale distance (2 km) de Saint Hippolyte au nord et Rorschwihr au sud, Rodern est traversé par l’Eckenbach, un petit ruisseau qui séparait autrefois la Basse Alsace et la Haute Alsace et qu’on a d’ailleurs rebaptisé Landgraben (qu’on peut traduire par « fossé des régions ») pour cette raison.
Cette frontière a perduré jusqu’à la Révolution Française.

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Le lit du Landgraben devant les premières parcelles de vigne de Rodern

Pour ce qui est de l’origine du nom de ce village, il y n’y a, à ce jour, qu’une seule hypothèse qui semble crédible puisqu’elle s’appuie sur des documents écrits datant du XIII° siècle, une période durant laquelle selon Jean Pfiffelmann cette région a connu « des campagnes de défrichement qui ont donné son nom à ce village ».
Le toponyme Rodern serait donc issu du verbe en vieil allemand « roden » (ou « rodern ») qui peut se traduire par « défricher » ou « essarter ».

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Le blason du village de Rodern : d'or à la roue de voiture de sable à six rais

Le site de Rodern fut d'abord occupé pendant l'ère néolithique puis il a fait partie d'un territoire où vivaient deux peuples celtes – les Séquanes et les Triboques – et c'est le ruisseau de l'Eckenbach (celui qui marquait la frontière entre Basse Alsace et Haute Alsace), qui faisait alors office de frontière entre ces deux peuples.

Même si Médard Barth (« Der Rebbau des Elsass » - 1958) nous apprend que le site de Rodern a été évoqué pour la première fois dans un document établi sur l’ordre de l’évêque de Bâle qui avait demandé un recensement des paroisses viticoles de son diocèse, Jean Pfiffelmann pense qu’en ce temps là le site de Rodern n’était occupé « que par une ou deux cours collongères » et qu’il faut attendre 1298 pour trouver un texte qui mentionne Rodern comme un village : cet acte daté de 1298 établissait le partage des villages du secteur de Ribeauvillé entre les seigneurs de Ribeaupierre.
Rodern faisait alors partie de la seigneurie de Bergheim mais dès l'année 1313, la seigneurie fut transférée à la maison d'Autriche dont les représentants ont contrôlé cette région jusqu'à la guerre de Trente Ans.
De toutes les guerres et invasions qu’a connu ce petit village, la Guerre de Trente Ans fut la plus meurtrière et c’est ainsi qu’en 1650, Rodern ne comptait plus qu’une trentaine d’habitants et quelques maisons.
Grâce à un apport humain important venant de Picardie, du pays de Bade, du Tyrol et de la Suisse, la région fut reconstruite dans un temps record et Rodern se repeupla rapidement.
Les Ribeaupierre qui avaient repris possession de Rodern et des villages voisins après le Traité de Westphalie, ont offert des avantages matériels considérables aux nouveaux arrivants (bois et terres octroyées gratuitement, exonérations d’impôts)…le prix à payer pour la reconstruction.
Rodern devint une municipalité à part entière à la Révolution.

Aujourd’hui, Rodern est un petit village viticole qui compte de nombreuses maisons anciennes traditionnelles, certaines à colombages (des XVI° et XVIII° siècles) qui encadrent des ruelles où il fait bon flâner.

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Les maisons à colombages au centre du village…

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…et des maisons datant du XVIII° siècle avec une toiture à la Mansard.

Sur une terrasse soutenue par d’épaisses murailles à contreforts, l’église Saint Georges dresse son clocher carré en grès des Vosges, dont la base date du XIII°siècle. Son chœur voûté de style gothique tardif (XVI°siècle) conserve à l’intérieur une chaire et un autel de style baroque ainsi qu’un orgue de tribune conçu par Valentin Ringenbach, un célèbre facteur d’orge d’Ammerschwihr.

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L’église Saint Georges de Rodern

Rodern est considéré comme le berceau du pinot noir en Alsace, un cépage que l’on fête chaque année lors d’une grande fête du vin en juillet et qui a donné son nom à la rue principale du village.


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La rue principale de Rodern…

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…prolongée par celle qui nous mène vers notre sujet d’étude.


Le Grand Cru Gloeckelberg occupe une superficie de 23,40 hectares sur un coteau en forme de cuvette allongée exposée sud/sud-est.
La superficie du Gloeckelberg représente plus de 1/3 du ban communal de Rodern.

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Une parcelle dans la partie centrale du Gloeckelberg qui domine le village de Rodern.

La limite haute du Gloeckelberg se situe à une altitude de 370 mètres : dans ce secteur proche de la forêt vosgienne, les parcelles de vignes sont plantées sur des pentes assez fortes. En descendant vers le point bas – à 250 mètres d’altitude – les pentes s’adoucissent en créant un effet d'entonnoir qui assure une bonne circulation de l'air.

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La légende prétend que le « Kleckelberg » était un lieu où se rassemblaient des sorcières mais nul ne sait si le nom Gloeckelberg qu’on peut traduire par « Mont des clochettes » est lié à cette légende.

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Des vignes en terrasse dans la partie haute du Gloeckelberg

Protégé par le massif du Brezouard qui culmine à 1228 mètres, le coteau du Gloeckelberg offre à la vigne un climat sec et chaud (pluviosité de 600 à 700 mm par an) qui favorise une très bonne maturation des raisins.

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La limite est du Gloeckelberg avec le Haut Koenigsbourg au loin.

Sur le plan géologique ce Grand Cru est classé par Serge Dubs (« Les Grands Crus d’Alsace » - 2002) dans la famille des terroirs granitiques avec une roche mère constituée de granite dit porphyroblastique de Thannenkirch, reconnaissable à de grands cristaux de feldspaths potassiques, mêlés à ses autres principaux constituants minéraux que sont le quartz et le mica.
Le document de référence du CIVA (« Les unités de paysage et les sols du vignoble alsacien »), confirme que le sol du Gloeckelberg est d’une grande unité géologique avec ses « sols bruns acides sableux sur granite à gros cristaux et un amont schisteux et gréseux ».

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Le socle granitique du Gloeckelberg qui apparaît au niveau d’une coupe géologique naturelle découverte sur les bords du Landgraben.


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Un pied de vigne dans le haut du Gloeckelberg : pierres et sables granitiques…

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…et un pied de vigne dans le secteur bas : granit et grès.

Au niveau physique, ce sol d’arène granitique, granulaire et sableux, est très drainant et se réchauffe rapidement sous les rayons de soleil : c’est un terroir précoce où la vigne peut souffrir de stress hydrique pendant les millésimes secs et chauds.

Sur le plan historique, si le lieu-dit « Kleckelberg » a été repéré dans des documents datant du VIII° siècle, la renommée des vins nés sur ce coteau date du XIV° siècle : les nombreuses chartes, conservées dans les archives régionales, témoignent du prestige que les grands de ce monde attachaient, autrefois, aux vins du Glœckelberg. En 1338, les frères Jean et Rodolphe de Reichenberg, chevaliers de l'ordre de Malte, avaient des possessions dans le lieu-dit. Quelques années plus tard, vers 1343, le Gloeckelberg était la propriété de l'œuvre Notre Dame et de l'Eglise Saint Thomas de Strasbourg ainsi que du couvent Sainte Catherine de Colmar. A cette époque la Cour de Hongrie percevait une rente « de trois mesures et demi de vin » sur la production du vignoble de Rodern.
Aujourd’hui encore les vins de Rodern et du Gloeckelberg continuent de bénéficier d’une reconnaissance qui dépasse largement les frontières hexagonales puisqu’on les retrouve sur les tables de la Cour des Pays Bas et du Danemark.

Ce terroir a été classé Grand Cru par le décret du 23 novembre 1983.

Au niveau de la viticulture, le Gloeckelberg est considéré comme le terroir de prédilection du pinot gris et du pinot noir.
Sensible au stress hydrique et à l’érosion, le coteau du Gloeckelberg demande au vignerons de mettre en œuvre des pratiques culturales exigeantes : densité de plantation élevée (5000 pieds/ha au minimum), travail du sol et enherbement, taille courte en Guyot simple pour contrôler les rendements…
Pour préserver l'environnement et la biodiversité sur le Gloeckelberg les vignerons de Rodern ont choisi la technique de la confusion sexuelle pour protéger l'ensemble du ban viticole des vers de la grappe tout en encourageant la plantation d'arbres entre les parcelles de vigne.
Ma promenade sur le coteau du Gloeckelberg a effectivement confirmé que l’herbe était bien présente dans les rangs de vignes mais j’ai également pu constater que l’usage de désherbants était encore largement répandu…hélas !

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L’herbe est très présente sur le Gloeckelberg mais sur cette parcelle le cavaillon est désherbé chimiquement…

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…et sur celle-ci c’est le rang entier.

En montant vers la forêt, on trouve pas mal de parcelles entourées de clôtures car si la technique de confusion sexuelle protège la vigne des « petites bêtes », elle ne peut rien contre les sangliers qui adorent le raisin mûr.

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Une parcelle bien protégée sur le haut du Gloeckelberg.

A l’heure actuelle, sur l’ensemble des vins qui revendiquent l’appellation Grand Cru sur le Gloeckelberg, on compte 61% de pinot gris, 35% de gewurztraminer et 4% de riesling.

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Il n’y a pas que du raisin sur le Gloeckelberg…ici nous avons un magnifique griottier qui pousse devant une parcelle à mi-coteau…

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…et au pied du Grand Cru un cerisier chargé de fruits mûrs que j’ai pu déguster après ma promenade. MIAM !

Les vins du Gloeckelberg sont opulents et structurés par une acidité fine et persistante. Les marqueurs aromatiques dominants sont ceux des fruits confits, du coing, de la figue, de l'ananas bien mûr, associés à des notes de fleurs blanches (bouillon blanc, acacia) et à des nuances fumées.
Comme tous les Grands Crus, le Gloeckelberg génère des vins de grande garde même si leur caractère riche et gourmand les rend accessibles dès leur plus jeune âge.
Pour ce qui est du pinot gris – cépage-roi du Gloeckelberg Serge Dubs nous apprend qu’après 4 à 5 ans de vieillissement les arômes fruités du vin (reine-claude, mirabelle) laissent la place à des notes de réglisse, de tabac, de bois de cèdre et de fumée.

Grâce à l’action militante des vignerons locaux, le Gloeckelberg pourrait intégrer le pinot noir dans la liste des cépages autorisés pour l’appellation Grand Cru.
Pour l’heure il n’y a que 3 dossiers sélectionnés par l’INAO (Kirchberg de Barr, Hengst et Vorbourg) mais lorsqu’on connait la réputation des vins rouges de Rodern et de Saint Hippolyte on ne peut être qu’optimiste pour la suite…

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…SELON XAVIER BARIL

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Comme le domaine Fernand Engel ouvre ses portes dès 8 heures du matin, Xavier Baril, le manager général de cette grande exploitation familiale, a fixé notre rendez-vous entre 8H30 et 9H, histoire d’avoir tout le temps qu’il faut pour traiter notre sujet du jour.

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L’entrée du caveau du domaine Engel

Ma récente visite à Rodern, m’ayant permis de faire une longue promenade dans les vignes, nous décidons de rester sur place pour mettre en œuvre mon protocole habituel en consacrant cette demi-journée à la découverte du domaine et à au jeu des questions-réponses sur le Grand Cru Gloeckelberg.

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L’espace d’accueil et de dégustation du domaine Fernand Engel.

Notre rencontre commence par une découverte des espaces professionnels du domaine et par des échanges passionnants avec Xavier Baril sur sa conception du métier de vigneron dans le cadre de cette grande structure.
Au bout d’une bonne heure de visite, nous nous retrouvons dans un petit salon à côté de la grande salle de dégustation pour revenir sur le thème principal de cette matinée.

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Tout est prêt pour notre entrevue.


Comment définiriez-vous ce terroir ?

Pour Xavier Baril, le Goeckelberg ne devrait pas s’appeler la montagne des clochettes mais plutôt « la montagne des aigles » car les courants ascendants produits par la configuration particulière de ce terroir attirent régulièrement les rapaces du château de Kintzheim (« La volerie des aigles ») « qui viennent danser au dessus du Gloeckelberg ».
Sans nier l’importance de la nature granitique du sol pour qualifier le terroir de ce Grand Cru, Xavier Baril estime que c’est surtout son microclimat particulier qui définit l’identité profonde du Gloeckelberg : « il occupe le versant sud/sud-est d’un amphithéâtre fermé par le Silberberg au sud, la colline du Haut Koenigsbourg au nord et le massif du Taennchel à l’ouest ».
Cette configuration particulière génère des ascendances thermiques qui produisent un phénomène « d’évapo-transpiration au niveau du sol ».
C’est un climat chaud et sec où les raisins mûrissent très facilement : « c’est un terroir qui produit facilement des raisins surmûris par passerillage et quelquefois, mais plus rarement, par botrytisation ».
Au domaine Engel, les raisins du Gloeckelberg sont rentrés le plus tôt possible « mais toujours lorsqu’ils ont atteint leur maturité phénolique »…ce qui donne souvent des jus très riches « nos pinots gris sont souvent à 16° potentiels » et rend quasi impossible, l’élaboration de vins secs.
« Le Gloeckelberg est l’un des grands terroirs à liquoreux de notre vignoble ».

Depuis 2009, le domaine Engel exploite 2 parcelles de pinot gris (53 ares) et 2 parcelles de gewurztraminer (78 ares) sur le lieu-dit Kert situé dans la partie basse du Gloeckelberg avec « un sol assez profond à base d’éboulis granitiques ».
C’est un terroir qui demande beaucoup d’attention – « les sols du Gloeckelberg doivent être suivis de très près » – en particulier pour ce qui concerne la gestion de l’herbe : sur ce sujet Xavier Baril avoue qu’il n’a pas encore de certitude sur la manière la plus adaptée de travailler les sols de ce Grand Cru en particulier pour ce qui concerne la gestion de l’herbe : « le labour permet de limiter la concurrence mais favorise l’évapo-transpiration… ».

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Le lieu-dit Kert sur le Gloeckelberg

Sur le Gloeckelberg, les rendements sont assez modestes : « 30 à 40 hectolitres par hectares…mais avec un effet millésime très marquant ».


Quels sont les cépages les mieux adaptés ?

En ce qui concerne cette question, la réponse de Xavier Baril confirme les conclusions issues de ma recherche documentaire : « le Gloeckelberg est le terroir de prédilection du pinot gris et du gewurztraminer » mais sans oublier que « c’est aussi un vrai terroir à vin rouge ».
Malheureusement, le manque d’ambition des producteurs actuels a fait que le Gloeckelberg « a raté le train de la reconnaissance du pinot noir en Grand Cru » et le domaine Engel qui est locataire des parcelles sur ce coteau classé, ne peut pas envisager une replantation en rouge pour le moment…c’est bien dommage mais je sens que Xavier Baril n’a pas dit son dernier mot sur ce sujet.


Quels caractères spécifiques ce terroir transmet-il aux vins ?

Les vins du Gloeckelberg sont de petites friandises qui associent « gourmandise, croquant et suavité ».
Ils séduisent dès leur prime jeunesse avec des jus concentrés et de beaux arômes de « fruits bien mûrs et de sucre d’orge » mais malgré un faible niveau d’acidité (des PH autour de 3,7-3,8) « ils vieillissent très bien et enrichissent leur palette aromatique par des notes de caramel ».
Cette longévité peut paraître étonnante mais selon Xavier Baril, l’élaboration d’un vin qui résiste au temps dépend beaucoup de la qualité du travail du vigneron : « pour faire un vin de garde il faut une bonne compréhension du terroir et une grande exigence technique ».


Y-a-t’il dans votre mémoire de dégustateur des vins qui vous ont aidé à vous faire une image de ce que devait être ce Grand Cru ?

Cette question qui peut mettre certains vignerons dans l’embarras, a permis à Xavier Baril d’expliquer comment s’est construit son goût pour les grands vins.
Formé en Anjou, il a très vite été séduit par les grands chenins, liquoreux comme les Coteaux du Layon de Claude Papin« des vins qui montrent une parfaite gestion du botrytis » – ou secs comme les Savennières de Mme Laroche ou d’Eric Morgeat« des vins qui révèlent une vraie culture des schistes ».
Au cours de ses études d’œnologie, il a organisé des séquences dégustations pour ses condisciples : des expériences qui lui ont permis de découvrir les grands vins des autres régions, une pratique qu’il perpétue aujourd’hui avec son personnel, notamment ses deux maîtres de chai, à qui il propose régulièrement de découvrir quelques belles bouteilles à l’aveugle.
« Une bonne culture du vin est indispensable pour progresser ».

Pour Xavier Baril, l’image du grand vin « s’est forgée progressivement à partir d’influences multiples » comme les chenins ligériens, les cuvées bourguignonnes de Thibaut Ligier Belair ou les Corton-Charlemagne du domaine Bonneau du Matray, les Grands Crus de Bordeaux dégustés en compagnie de Pierre Casamayor, les Châteauneuf du Pape des années 90 du Clos des Papes ou les créations viniques de Robert Plageoles.
Cette palette très éclectique a été complétée par une étude approfondie des grands cépages alsaciens et de leurs différentes interprétations dans notre région mais aussi en Allemagne et en Autriche.


Comment voyez-vous l’avenir de ce terroir ?

Xavier Baril apprécie la démarche initiée par Olivier Humbrecht qui invite les vignerons désireux de faire reconnaître leur Grand Cru « à se parler pour définir des objectifs communs et des produits cibles pour aller ensemble dans la même direction ».
Défendu par une Gestion Locale de qualité, le Gloeckelberg est exploité par des vignerons « pleins de bonne volonté, qui travaillent avec beaucoup de courage…même si nous ne sommes pas toujours de très bons communicants ».
Mais tous ont pris conscience de la valeur de ce beau terroir et sont motivés pour évoluer vers une viticulture plus vertueuse « la route vers le bio est engagée…grâce notamment aux exigences de la Cave de Ribeauvillé qui demande à ses apporteurs de raisin de travailler le plus proprement possible ».
Xavier Baril évoque l’idée d’un « challenge collectif » qui consisterait à créer sur le Gloeckelberg le même mouvement que sur le Praelatenberg « où seuls 3 vignerons ne sont pas en culture biologique à l’heure actuelle ».

On ne peut que souhaiter que ce projet aboutisse !

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Dernière vue sur le Gloeckelberg avant de retourner en cave.


Les vins du domaine : quelle conception ?

Riche de sa grande expérience de dégustateur, Xavier Baril cherche à produire des vins dont les caractères marquants sont « la finesse et l’élégance ».
Il est convaincu que pour faire du bon vin « il faut de l’envie, une très bonne formation et une infrastructure performante » mais pour assurer la prospérité d’un domaine le vigneron doit aussi savoir « anticiper les évolutions du goût de la clientèle ».
Si aujourd’hui les cuvées de V.T. et de S.G.N. bénéficient toujours d’une très bonne réputation, la demande pour ces vins moelleux est en nette diminution. C’est pour ça que le domaine Engel a choisi de développer sa production de crémant bio – notamment en format demi bouteilles (100 000 cols produits chaque année) – et de pinot noir, tout en complétant leur offre vinique avec de nouvelles créations comme la gamme « Renaissance » ou la cuvée « Natur XVIII ».

Les 65 hectares domaine Engel sont travaillés en viticulture biologique depuis près de 20 ans et à l’heure actuelle les vignes sont conduites selon les principes de la biodynamie mais la validation officielle n’est pas demandée pour l’heure parce que les dosages de SO2 dans les vins sont légèrement supérieurs à ceux autorisés par la charte : « notre production compte encore beaucoup de cuvées avec des sucres résiduels et c’est difficile de stabiliser ce type de vin avec des valeurs de SO2 inférieures à 100 mg/l ». Dans un souci de clarté de son offre vinique, le domaine n’a pas souhaité s’engager dans un processus qui n’accorderait le label « biodynamie » qu’à la moitié des cuvées qu’il met sur le marché.

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Un alambic pour préparer des distillats et une cuve remplie de purin d’ortie…j’ai mis le nez dedans, pouah, c’est du vrai !

Pour mettre en œuvre ces pratiques exigeantes sur une telle superficie, le domaine Engel emploie une vingtaine de personnes qui disposent d’outils performants pour travailler les sols et prendre soin des vignes.

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Le hangar avec le matériel pour la viticulture…

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…et une partie de la « collection » de tracteurs.

Les vendanges sont principalement manuelles – avec une cinquantaine de vendangeurs qui viennent compléter l’équipe du domaine pour quelques semaines – mais en cas de besoin le domaine Engel dispose d’une machine à vendanger qui va être utilisée sur quelques parcelles «  sur 2 ou 3 hectares en général…mais peut-être un peu plus cette année ».

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Les 4 pressoirs du domaine qui tournent à plein régime en période de vendanges

En cave, les pressurages sont doux et chaque parcelle est vinifiée à part avant de profiter d’un élevage sur lies totales en cuves inox thermo-régulées.
Au domaine Engel, le travail du vin se fait exclusivement en cuves inox « un contenant qui permet une maximum d’hygiène et de précision et qui ne marque pas les vins ».
La durée des élevages dépend du style de vin : les vins secs sont élevés durant 15 à 18 mois alors que les cuvées liquoreuses sont filtrées au printemps et mises en bouteilles pour l’été.

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Le cuvage du domaine Engel…

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…avec Jérôme, l’un des deux maîtres de chai qui prépare la mise en bouteilles des cuvées du millésime 2019.

Grâce à des procédés techniques novateurs, le domaine peut élaborer ses vins avec un minimum d’intrants.

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Un appareil pour gérer le niveau d’oxygène dans les cuves durant l’élevage des vins…

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…et une chaîne d’embouteillage sous azote pour garantir une mise en bouteille sans contact avec de l’oxygène.

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Opération d’étiquetage du crémant chardonnay bio en demi-bouteilles pour une expédition en Suède.

Sur plus de 160 parcelles de vignes répartis sur 8 villages le domaine Engel propose une large gamme de vins d’Alsace dont une grande partie était vendue au caveau avant que, sous l’impulsion de Xavier Baril et son épouse, la politique commerciale du domaine n’évolue pour développer des marchés à l’export et vers la grande distribution : « un travail de 10 ans sur notre image, notre communication et notre gamme de vin »…et un changement qui a permis à cette grande exploitation viticole de continuer à prospérer en élargissant considérablement sa clientèle.
Aujourd’hui le domaine Engel exporte près de 50% de sa production avec des marchés importants en Scandinavie, au Japon (depuis 2 ans) et même en Inde.
On trouve aussi une partie de leur gamme sur « Vinatis », un grand site de vente de vin en ligne.

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Les vins du domaine Engel…

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…et le maître des lieux dans le grand salon de dégustation.

Et dans le verre ça donne quoi ?

Les premiers vins issus du millésime 2019 ont été dégustés en cave et servis par Jérôme, le maître de chai du domaine :

Pinot gris Gloeckelberg : expression olfactive discrète, matière riche (58 g de SR) équilibrée par une acidité vive et filante, finale gourmande et bien sapide.
Avec sa belle robe lumineuse et son équilibre d’une parfaite gourmandise, ce pinot gris 2019 est prêt pour la mise qui est prévue dans les jours prochains.
Même si on le sent encore un peu sur la retenue au plan aromatique, ce vin plein de fruit et d’énergie me semble particulièrement bien en place et nous promet quelques belles émotions gustatives dans les années à venir.

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Le pinot gris Gloeckelberg 2019

Gewurztraminer Gloeckelberg 1 : nez encore bien fermé, matière longiligne tenue poar une ligne acide bien marquée, amers salivants en finale.
Gewurztraminer Gloeckelberg 2 : aromatique ouverte et riche, palette complexe sur les fruits exotiques, bouche volumineuse avec un jus concentré tenu par une acidité bien droite, finale longue et digeste.
Gewurztraminer Gloeckelberg assemblage 1 + 2 : expression aromatique plus discrète mais d’une complexité prometteuse, bouche dense et longiligne, finale appétante avec de beaux amers nobles.
Ces cuvées proviennent de 2 parcelles sur le Grand Cru : une jeune vigne qui a généré le vin demi sec dégusté en premier et une vigne plus ancienne à l’origine du second vin plus expressif et résolument moelleux.
L’assemblage qui va constituer la cuvée de Gewurztraminer Grand Cru 2019 du domaine constitue un compromis plein d’harmonie entre ces deux cuvées qui révèlent des caractères fort différents mais finalement bien complémentaires.

Gewurztraminer Altenberg de Bergheim : olfaction discrète, bouche puissante avec une matière consistante, un joli gras, une acidité très large et une fine présence tannique en finale.
Ce petit prélèvement sur une cuve voisine nous a éloigné un peu de notre sujet principal tout en nous permettant de sentir une vraie différence structurelle sur ces vins issus de terroirs très différents et de vérifier que ce Grand Cru de Bergheim a permis au domaine Engel de concevoir un grand vin en 2019.

La suite de la dégustation se passe dans le salon ou Xavier Baril me propose de déguster quelques cuvées de Gloeckelberg en bouteille :

Pinot gris Gloeckelberg 2017 : nez encore discret mais d’une belle pureté, ligne acide centrée et bien aiguisé qui structure un jus gras et riche pour réaliser un équilibre très gourmand, finale digeste relevée par quelques amers nobles.
Pinot gris Gloeckelberg 2016 : nez charmeur et délicat avec de beaux arômes de sucre d’orge et d’abricot frais, matière consistante en bouche avec une acidité lisse et droite et une fine présence tannique, équilibre confortable mais finale fraîche et sapide avec un beau retour fruité et épicé.
Avec leurs jus très riches (78 g de SR pour le 2017 et 60 g de SR pour le 2016), ces pinots gris séduisent par leur gourmandise tout en montrant une parfaite buvabilité grâce à cette belle ligne acide qui apporte beaucoup d’énergie et de fraîcheur à la finale.

Gewurztraminer Gloeckelberg 2016 : expression olfactive encore un peu retenue qui laisse deviner une palette complexe sur la banane et le fruit de la passion, bouche ample et concentrée mais équilibre très digeste, ligne acide vive et persistante qui donne beaucoup de tonus à la finale.
Gewurztraminer Gloeckelberg 2015 : nez ouvert et loquace sur les agrumes bien mûrs et la vanille sur un fond légèrement torréfié, bouche volumineuse et bien liquoreuse, finale longue avec des notes de caramel et de fines nuances grillées.
Comme les pinots gris, ces deux gewurztraminers du Gloeckelberg développent des matières riches et concentrées (90 g de SR pour le 2016 et 85 g de SR pour le 2015) et comme pour les pinots gris cette sucrosité est très bien intégrée.
Si la version 2015 est encore un peu marquée par la chaleur du millésime et demandera encore un peu de patience (ou un carafage) pour se révéler pleinement, le 2016 est une vraie petite bombinette gourmande qui se livre avec une belle spontanéité dès aujourd’hui.

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Les deux références de Gloeckelberg actuellement en vente au domaine Engel.

Pour compléter cette dégustation, Xavier Baril me propose de découvrir deux cuvées de crémant et deux cuvées de la gamme « Renaissance » :

Crémant Brut Chardonnay : nez très engageant sur les fruits blancs et la brioche vanillée, bouche bien fraîche avec une mousse vive et stimulante, finale salivante.
(jus de 2018 – dosage : 4 g/l)
Crémant Dosage Zéro-Blanc de noirs : nez délicat sur les petits fruits rouges acidulés, matière très vineuse en bouche, équilibre droit et sec, mousse bien crémeuse, finale très tonique.
(jus de 2016 – dosage : 0 g/l)
Victime de son succès grandissant dans la production du domaine, la cuvée 100% chardonnay a été mise sur le marché un peu plus tôt que prévu mais le résultat final reste très convaincant : c’est un joli crémant sec qui pourra être servi aussi bien à l’apéritif que pour accompagner un repas.
Avec son caractère très vineux, la cuvée de pinot noir qui provient d’une parcelle sur le Silberberg, est résolument conçu pour la gastronomie.

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Sylvaner Renaissance 2018 : nez frais et pur, bouche ample avec du gras et une acidité bien en place, équilibre sec, finale salivante avec un sillage persistant sur les fruits et le poivre blanc.
Pinot Gris Renaissance 2018 : nez très élégant avec de belles notes florales sur un fond grillé/fumé délicat, matière ample et consistante en bouche, équilibre tendu, finale puissante avec une présence saline très salivante.
Nées sur des terroirs réputés du village de Bergheim – Huebuhl pour le sylvaner et Saint Georges pour le pinot gris – ces deux cuvées de la gamme Renaissance nous ont offert un récital gustatif très convaincant…même si on a senti qu’elles n’avaient pas encore atteint leur niveau de maturité optimale.
Récolté avec un rendement minimal (45 hl/ha) le sylvaner révèle un vrai caractère de grand vin de terroir alors que le pinot gris affirme une puissance un peu hors norme (14,8° au compteur quand même !) tout en conservant une très grande sapidité grâce à une empreinte minérale bien marquée.
Arrivés récemment dans la gamme du domaine (2016 pour le pinot gris et 2015 pour le sylvaner), ces deux vins marquent une ouverture très intéressante vers de nouvelles interprétations des cépages et des terroirs alsaciens.

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L’étiquette de la ligne « Renaissance »…il faut lire la contre-étiquette pour voir ce qu’il y a dans la bouteille.


Pour conclure, un petit bilan sur cette nouvelle expérience de visite approfondie d’un terroir Grand Cru (attention je vais encore me répéter…)

J’ai renforcé ma conviction qu’une bonne compréhension d’un vin passe évidemment par la dégustation mais s’enrichit considérablement si on fait la démarche d’aller sur place, sentir l’énergie des terroirs où il naît et rencontrer les gens qui le conçoivent…je ne boirai plus jamais des Gloeckelberg comme avant !

Le Gloeckelberg est un terroir dont la qualité est reconnue depuis très longtemps puisque son histoire nous fait remonter jusqu’au XIV° siècle et probablement bien avant mais il s’avère qu’aujourd’hui, ce Grand Cru est probablement l’un des plus méconnus du vignoble alsacien…étonnant !
Et pourtant, ce terroir granitique qui a choisi le pinot gris comme interprète de choix, est en mesure de générer des vins qui méritent largement leur place dans la cave de tout amateur éclairé. Avec son climat chaud et son sol granitique, le coteau du Gloeckelberg est surement l’un des plus grands terroirs à vins moelleux et liquoreux de notre région : les jus sont riches et suaves avec des équilibres construits autour d’une ligne acide/minérale droite et acérée…des qualités remarquables qui vont donner à ces vins un pouvoir de séduction très précoce mais aussi la possibilité de bien se tenir dans le temps.

Xavier Baril a été un guide très intéressant sur ce Grand Cru qu’il ne connaissait pourtant pas depuis trop longtemps mais qu’il a particulièrement bien étudié pour cerner la typicité de son terroir et en comprendre son fonctionnement.
A l’instar de ma rencontre avec Pascal Batot, cette nouvelle visite dans une très grande structure viticole m’a permis de partager quelques moments d’échanges très formateurs avec un vigneron passionné et cultivé qui continue de faire progresser cette grande entreprise viticole tout en conservant des lignes directrices très vertueuses : c’est un domaine où le travail de chacun est considéré avec le plus grand respect et où les pratiques à la vigne comme en cave s’effectuent avec le souci permanent de préserver l’environnement.
Un bel exemple à suivre…chapeau !

Comme toujours, mon travail sur ce Grand Cru fut une expérience agréable et enrichissante qui m’a donné envie de poursuivre cette longue quête qui me permet de comprendre de mieux en mieux la complexité et la richesse du vignoble alsacien.

Mille mercis à Xavier Baril pour cette matinée instructive au domaine Fernand Engel.

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