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Le Rosacker selon Jérôme Mader
LE ROSACKER…
Si dans le Bas-Rhin je commence à entrevoir la fin de mon parcours parmi les Grands Crus alsaciens (encore 2 étapes), il reste encore pléthore de terroirs classés à étudier dans le département du Haut-Rhin et le choix d’une nouvelle destination est toujours aussi compliqué pour moi.
Ceci dit, il y a quelques terroirs haut-rhinois qui m’intriguent vraiment et parmi ceux-là, le célèbre Rosacker tient évidemment une place de choix : en effet, quel amateur de vins n’aurait pas envie d’en apprendre plus sur ce coteau où naît le riesling sec le plus cher d’Alsace !
Un point d’information dans la partie centrale du Grand Cru.
J’ai rencontré Jacky Sipp à plusieurs reprises durant ces dernières années et à chaque fois j’ai été séduit tant par la qualité de son riesling Rosacker – irréprochable et souvent plus séduisant que celui de l’illustre Clos – que par la façon simple et directe avec laquelle ce vigneron parlait de son travail et de son vin.
Je lui ai donc proposé de m’accompagner dans mon travail sur ce Grand Cru de Hunawihr mais il m’a conseillé de m’adresser à Jérôme Mader « un jeune vigneron qui s’intéresse beaucoup à ce terroir et qui saura en parler mieux que moi ».
Hoppla, c’est reparti !
Bien des choses ont déjà été écrites sur ces terroirs et un angle d’approche original et intéressant est à priori difficile à définir…mais je vais quand même essayer de relever le défi.
Je vous propose de me suivre dans mes ballades personnelles avec un peu de théorie (le socle nécessaire à une bonne compréhension), des documents photographiques et surtout des rencontres avec les vignerons qui travaillent dans ces parcelles classées.
Bon, ça je l’avais déjà dit…mais c’est pour les nouveaux.
Le Grand Cru Rosacker se trouve sur le ban communal de Hunawihr, un petit village légèrement décroché de la Route des Vins d’Alsace bâti sur les flancs d’un étroit vallon au pied du massif vosgien.
Hunawihr et sa célèbre église fortifiée.
D’après la légende, l’origine de Hunawihr remonterait au VIIe siècle avec un nom qui évoque Hunna, la fille de Hunno, un seigneur Etichonide de la famille de Sainte Odile. Hunna était une pieuse femme qui s’occupait des pauvres en ne dédaignant pas de laver leurs vêtements. Une fontaine aux eaux abondantes est dédiée à celle que les villageois avaient baptisée « la sainte lavandière »…un titre prémonitoire puisque Hunna fut canonisée en 1520 par le pape Léon X.
L’ancien lavoir devant la fontaine d’où Sainte Hune aurait fait couler du vin une année de mauvaise vendange.
L’historien M.P. Urban (« La Grande Encyclopédie des lieux d’Alsace »), juge cette hypothèse comme probable tout en nous nous proposant une version plus étymologique : « en l’absence de toute référence aux Huns (all. Hunne) ainsi qu’au gigantisme fréquent dans les légendes (all. Hüne = géant) le mot latin unda (eau agitée, onde, flot) présenterait une étymologie acceptable ».
Formé à partir du préfixe « unda » et du suffixe « villare » (un grand classique !) le nom du village évolue dans l’histoire : de Hunivilare ou Hunewilre (en 1122), à Hunawilr en 1291 puis Hunenwihr en 1576 avant d’apparaître dans de nombreux écrits allemands sous sa forme presque définitive : Hunaweier qu’une ultime mutation dialectale transforma en Hunawihrl.
Le blason de Hunawihr : un fond azur, une bande argentée et trois cloches rouges.
Même si la légende locale prétend que ce village a été cédé par Hunna et son époux à l’abbaye de Saint Dié dès le VIIe siècle, l’histoire officielle nous apprend que c’est plutôt vers 1114 que l’Empereur du Saint Empire Romain Germanique Henri V a rattaché Hunawihr à cette abbaye.
Au XIIIe siècle Hunawihr faisait partie de la Seigneurie de Riquewihr, propriété des évêques de Strasbourg qui l’avaient donnée en fief aux seigneurs de Horbourg. Vers 1324, les contes de Horbourg vendirent leurs biens à leur cousin, le conte Ulrich de Wurtenberg. En 1397, le conte Eberhard II de Wurtenberg épousa l’héritière du comté de Montbéliard, ce qui lui permit de devenir propriétaires de la Seigneurie de Riquewihr. C’est ainsi que la puissante famille de Wurtenberg-Montbéliard régna sur cette cité viticole jusqu’à la Révolution Française.
Hunawihr et les trois châteaux des seigneurs de Ribeaupierre.
En 1520 l’église du village fut érigée en lieu de pèlerinage dédié à Sainte Hune : les reliques de la saintes conservées dans la crypte de cet édifice religieux attirèrent de nombreux jusqu’à la Réforme, où les habitants du village passèrent au protestantisme (à partir de 1534).
Après le traité de Westphalie qui garantissait notamment la liberté religieuse en Alsace, les catholiques revinrent s’installer à Hunawihr et le « simultaneum » fut instauré pour l’église du village en 1687…et cette situation perdure jusqu’à nos jours.
L’église fortifiée de Hunawihr
Comme beaucoup d’autres villages en terre alsacienne, Hunawihr connut des périodes de conflits comme la guerre des Rustauds au XVIe siècle ou la guerre de Trente Ans au XVIIe siècle sans oublier des tensions entre catholiques et protestants qui ont émaillé le XVIIIe siècle de bon nombre de bagarres assez violentes.
Ces rivalités confessionnelles ont continué d’animer le village au XIXe et au XXe siècle comme nous le raconte Claude Muller dans un article de L’est agricole et viticole (février 2006) : il a fallu attendre « le lendemain de la Seconde Guerre Mondiale pour que les conflits s’atténuent quelque peu ».
Les deux grandes guerres du XXe siècle ont fait subir de dramatiques pertes humaines à de nombreuses familles du village sans pour autant créer des dommages trop importants au niveau des constructions : l’amateur de maisons traditionnelles trouvera quelques belles demeures de l’époque Renaissance avec colombages et linteaux de portes sculptés.
Une maison vigneronne traditionnelle bien rénovée…
…d’autres mériteraient quelques travaux de mise en valeur mais le potentiel est là.
Coincé entre Riquewihr et Ribeauvillé, deux puissants pôles d’attraction pour les touristes de passage en Alsace, Hunawihr a gardé un côté authentique et discret qui ne manque pas de charme.
Bien évidemment c’est l’église fortifiée Saint Jacques le Majeur, datant du XIVe siècle qui constitue le principal centre d’intérêt pour les amateurs d’histoire et de vieilles pierres mais les rues du village réserveront quelques belles surprises au promeneur comme deux fontaines remarquables (l’une du XIVe et l’autre du XVIIe siècle), la mairie établie dans l’ancienne halle au blé édifiée en 1517 et quelques très belles demeures vigneronnes.
La mairie de Hunawihr
Une grande fontaine devant le restaurant Suzel
Les randonneurs pourront profiter des sentiers balisés par le Club Vosgien pour marcher vers le col du Seelacker ou vers les ruines du Bilstein.
Dans le parc animalier du village, les enfants seront ravis d’aller voir loutres et cigognes mais aussi des centaines de papillons exotiques vivant en liberté dans une serre au milieu d’une végétation luxuriante.
Avec sa tradition viticole séculaire, Hunawihr constitue bien entendu une étape de choix pour l’œnophile désireux de parfaire sa culture vinique alsacienne : après une promenade sur le sentier viticole, des maisons réputées avec des noms comme Sipp-Mack, Mallo, Mittnacht, Schwach ou Mader offrent de quoi faire frétiller les papilles de tout connaisseur de vin d’Alsace…attention itinéraire piégé !
Sur le sentier viticole de Hunawihr
Le Grand Cru Rosacker s’étend sur une superficie de 26,18 hectares sur un coteau à pente moyenne exposé à l’est et au sud-est. Les parcelles de ce Grand Cru se situent à une altitude comprise entre 255 et 345 mètres et la totalité de leur superficie est incluse dans le ban viticole de Hunawihr.
Le bas du Rosacker, à la sortie du village de Hunawihr.
Le nom Rosacker est composé par l’association du préfixe « Ros », en référence aux églantiers qui bordaient jadis les vignes sur cette colline et du suffixe allemand « Acker », terme qui peut se traduire par « champ ».
Rosacker : le champ des rosiers sauvages...joli non !
Les haies d’aubépines qui bordent un grand nombre de parcelles sur le Rosacker
Situé au centre du champ de fracture de Ribeauvillé, sur une colline protégée par le massif du Bonhomme qui culmine à plus de 1000 mètres, le coteau du Rosacker a une pente dont la déclivité augmente au fur et à mesure qu’on se rapproche des parcelles du haut.
Une vigne relativement pentue sur la partie haute du Rosacker…
…une autre aux pentes plus douces dans sa partie basse.
Comme la plupart des autres Grands Crus alsaciens, le Rosacker bénéficie d’une exposition et d’une implantation propices à une bonne maturation des raisins : protection des Vosges pour limiter les précipitations et orientation favorable pour profiter au maximum de l’ensoleillement…classique !
La délimitation du Rosacker.
Sur le plan géologique Serge Dubs (« Les Grands Crus d’Alsace » 2002) et le C.I.V.A. (Conseil Interprofessionnel des Vins d’Alsace) placent le Rosacker dans la petite famille des terroirs calcaires. Les Grands Crus de ce type sont rares puisqu’on n’en dénombre que 4 dans le vignoble alsacien : Steinklotz, Bruderthal, Steinert et Rosacker.
Un pied de vigne dans le secteur central du Rosacker.
Même s’ils contiennent un peu de marne les sols du Rosacker sont largement dominés par des éléments calcaires. Le document du CIVA (« Les unités de paysage et les sols du vignoble alsacien ») les définit plus précisément : ce sont des « sols bruns calcaires caillouteux sur calcaires du Muschelkalk et de la Lettenkohle ».
Une coupe géologique naturelle dans la partie nord du Rosacker
Au niveau physique, les sols du Rosacker présentent une texture assez lourde mais sont aérés par des cailloutis calcaires dolomitiques et par quelques éboulis siliceux de grès vosgien.
L’aspect physique du sol du Grand Cru
Comme nous le rappelle Victor Canales, l’histoire du village et celle du Grand Cru sont très liées : Hunawihr « porte dans son acte de naissance sa parenté vigneronne ».
Mentionnés pour leur qualité exceptionnelle dès 1483, les vins nés sur le coteau du Rosacker ont alimenté les réserves de cave des ordres religieux et des nobles qui se sont succédé à la tête de ce village depuis le Moyen-âge.
Cette histoire prestigieuse a fait prendre conscience de la valeur de ce coteau aux vignerons locaux qui n’ont jamais cessé de travailler pour faire reconnaître la qualité des vins de Rosacker.
Depuis plus de 200 ans, la famille Trimbach exploite une parcelle de 1,67 hectares située au cœur du Rosacker, pour y produire un riesling d’anthologie : le Clos Sainte Hune. Vendues à des prix incroyables – pour un blanc d’Alsace sec du moins – les 8000 bouteilles annuelles de ce vin mythique et convoité peuvent être considérées comme les témoins de l’excellence de ce grand terroir…même si son nom n’apparaît toujours pas sur l’étiquette.
Une partie des vignes du Clos Sainte Hune en hiver.
Au niveau de la viticulture, l’encépagement est très largement dominé par le riesling qui occupe une superficie revendiquée de 12 hectares sur ce coteau. Le gewurztraminer (3 ha revendiqués) et le pinot gris (2 ha revendiqués) complètent le panel mais leur importance reste marginale.
Conscients du privilège de travailler un terroir que Serge Dubs qualifie comme « l’un des plus beaux terroir-climat du vignoble alsacien » les vignerons qui exploitent des parcelles sur ce Grand Cru se sont largement engagés dans la voie de la qualité.
L’enherbement naturel est très fréquent sur le Rosacker : ici une parcelle du secteur haut…
…et là des vignes situées à la limite nord du Grand Cru.
Premiers labours d’hiver en ce début novembre.
Les vins du Rosacker sont avant tout des vins de grande garde : parfois un peu rudes et austères dans leur jeunesse de vielles vignes, ils vieillissent avec bonheur et gagnent en complexité et en profondeur.
Les rieslings jeunes peuvent surprendre par leur ligne acide ferme et véloce initialement très déliée se solidifie grâce à la minéralité du terroir qui se révèle.
Avec l’âge ces vins affinent leur structure et leur expression aromatique qui révèle de belles notes minérales (pierre à fusil, terpènes, truffe blanche).
Les gewurztraminers jouent la carte de l’élégance : leur typicité se révèle sur le plan aromatique avec une palette exotique et florale très discrète souvent dominée par des nuances épicées assez intenses.
Les pinots gris montrent beaucoup de générosité et de richesse avec des arômes caractéristiques de fleurs (giroflée) et de fumée.
Reconnu depuis fort longtemps pour la grande qualité des vins qui y naissent, le Rosacker a fait partie de la première série de Grands Crus alsaciens officiellement institués par le décret du 23 novembre 1983…Normal !
Une parcelle au cœur du Rosacker
…SELON JERÔME MADER
Accompagné de l’ami Cyril, sommelier de la maison Arthur Metz et membre de notre club oenophile, nous retrouvons Jérôme Mader qui nous attend dans la maison familiale située au centre du village de Hunawihr, au numéro 13 de la grand rue, pour être précis.
Bienvenue au domaine Mader
Malgré le froid et la brume, Jérôme nous propose de nous emmener en promenade sur le Rosacker pour commencer l’étude de ce Grand Cru in-situ…c’est parti pour une visite hivernale dans le vignoble de Hunawihr.
Première halte sur le lieu-dit « Berg » situé dans la partie haute du Rosacker…
Ce jeune vigneron connaît parfaitement ce coteau classé qu’il nous fait découvrir du sud au nord et du bas en haut tout en nous expliquant la logique de la délimitation de ce Grand Cru sans oublier de détailler les différents lieux-dits qui le constituent.
…seconde étape sur le « Heitzberg » un lieu-dit du Rosacker où le domaine Mader possède une parcelle de rieslings.
De retour au domaine, nous passons un moment au caveau pour aborder les premières questions de mon enquête sur le Rosacker avant de monter à l’étage, où il fait un peu plus chaud, pour poursuivre notre discussion et procéder à la dégustation de quelques flacons sélectionnés par Jérôme.
Le caveau de dégustation du domaine Mader
Comment définiriez-vous ce terroir ?
« Le Rosacker est un terroir calcaire adossé au massif vosgien »…et c’est cette proximité avec la montagne qui est l’un des caractères remarquables du Grand Cru « les autres terroirs calcaires alsaciens sont plus largement décrochés du massif vosgien ».
« Le Rosacker est un terroir tardif », conséquence naturelle d’une double influence : « il y a le substrat calcaire qui favorise des maturations lentes » et la situation géographique proche du massif des Vosges « l’altitude des parcelles et l’ombre portée de la montagne apportent beaucoup de fraîcheur ».
D’ailleurs ce gradient d’altitude occasionne un décalage important au niveau de la maturation des raisins « En général, les parcelles du haut du Rosacker sont mûres 10 jours après celles du bas ». Dans le temps les parcelles du bas étaient les plus recherchés mais à l’heure actuelle les vignerons sont contents d’avoir également des vignes dans les secteurs hauts.
« La limite haute du Rosacker est définie par le changement de structure du sol » : en effet lorsqu’on monte vers la forêt on arrive à une limite où on trouve de plus en plus d’éboulis siliceux (grès et quartz) et « on perd le caractère calcaire typique de ce Grand Cru ».
Dans la partie nord du Rosacker, une haie marque la limite haute du Grand Cru.
Le Rosacker est un terroir facile à travailler, « il n’y a pas de pentes spectaculaires sur ce coteau » et très fiable, « le Rosacker est une valeur sûre, c’est un terroir qui atténue les excès de certains millésimes ».
Les sols du Rosacker sont profonds, gardent une température relativement constante et bénéficient d’une alimentation hydrique régulière : « dans ces conditions, la vigne ne subit pas d’à-coups physiologiques durant sa maturation ». Les raisins mûrissent lentement et arrivent à maturité en conservant un très bon état sanitaire : « le botrytis n’est pas dans l’A.D.N. du Rosacker ».
Le lieu-dit Heitzberg situé près du village et exposé au sud constitue une petite exception sur le Grand Cru « c’est un secteur plus venté où le calcaire remonte plus haut dans la pente » et grâce au contraste entre la chaleur due à son exposition et à la fraîcheur provoquée par les vents du soir qui viennent de la montagne, il n’est pas rare de voir apparaître de la pourriture noble sur les raisins.
Un pied de riesling dans le sol très calcaire du Heitzberg.
Comme nous l’avons dit plus haut, le Rosacker est un terroir régulier et qualitatif « il n’y a pas de mauvais millésimes sur le Rosacker » mais pour équilibrer l’acidité et la puissante minéralité générées par le sol calcaire de ce Grand Cru, il faut absolument vinifier des raisins bien mûrs « je pense que pour des rieslings, une richesse naturelle de 13° minimum est nécessaire pour réussir un bon vin ».
Quels sont les cépages les mieux adaptés ?
Fidèle à sa réputation de terroir facile, le Rosacker permet à tous les cépages de s’épanouir, mais comme souvent « c’est avec le riesling qu’on réalise les vins les plus intéressants ».
Les gewurztraminers y réussissent très bien également mais ils vont générer des vins « qui vont jouer plus sur le registre de la délicatesse que sur celui de l’exubérance ».
Les deux rois du Rosacker en vente actuellement au domaine Mader.
Quels caractères spécifiques ce terroir transmet-il aux vins ?
Historiquement le Rosacker était connu pour produire des vins stricts et austères : « d’ailleurs les anciens préféraient souvent les vins du Muhlforst » (un coteau voisin du Rosacker et exposé au sud).
Une partie du coteau du Muhlforst…un autre terroir qualitatif de Hunawihr
Cette image un peu tronquée des crus du Rosacker est entretenue par le caractère du célèbre Clos Sainte Hune : « mais il ne faut pas oublier que le style de ce riesling est également influencé par le travail des Trimbach et que le Clos St Hune est un terroir sensiblement plus chaud et sec que le reste du Rosacker ».
Pour Jérôme Mader les vins du Rosacker sont « très puissants mais sans excès de richesse » car ce terroir permet de « pousser très loin les maturités des raisins sans que les jus ne perdent cette acidité intense et structurante qui va équilibrer les vins ».
Dans les millésimes froids, le risque de produire des vins trop austères est réel mais le Rosacker est un terroir qui permet au vigneron de laisser le temps aux raisins d’atteindre leur maturité optimale ce qui fait dire à Jérôme Mader que « l’austérité n’est pas un trait caractéristique du Rosacker ».
Comme souvent, la question des marqueurs aromatiques laisse notre interlocuteur un peu dubitatif « la palette des vins de ce Grand Cru est autant influencée par le millésime que par le terroir »…maintenant s’il fallait relever quelques constantes sur le Rosacker on parlera surtout de « finesse et de délicatesse avec peu d’arômes exotiques intenses mais des notes d’agrumes très frais et de fleurs ainsi que des arômes végétaux nobles ».
Vue de la partie centrale du Rosacker
Réservés dans leur jeunesse et peu expansifs après quelques années de garde les vins de ce Grand Cru ne jouent pas la carte de la facilité pour séduire le consommateur « le Rosacker reste un terroir d’initié » qui affirme son identité « surtout dans la structure des vins »…qu’on se le dise !
Y-a-t’il dans votre mémoire de dégustateur des vins qui vous ont aidé à vous faire une image de ce que devait être ce Grand Cru ?
Jérôme Mader aime particulièrement les vins blancs « secs mais pas austères » comme les rieslings Schlossberg du domaine Weinbach, les rieslings de Jean Boxler où les rieslings Muenchberg d’André Ostertag.
Sur des terroirs plus profonds et sédimentaires il aime les Kirchberg de Ribeauvillé de Jean Sipp et de Henry Fuchs et les Geisberg de Kientzler.
Il apprécie également la « précision des vins de granit » du domaine Schoenheitz.
Les dernières bouteilles mémorables dégustées furent la cuvée de riesling Schistes 2013 élaborée par le domaine Schoffit sur le Rangen et la cuvée de pinot gris A360P 2008 d’Ostertag pour sa parfaite maîtrise de l’élevage en fûts…étonnant lorsqu’on sait que les vins blancs du domaine Mader ne passent pas en bois.
Malgré une nette prédilection pour les grands vins de notre région, Jérôme Mader goûte de mieux en mieux les chardonnays bourguignons : « surtout depuis ces dernières années avec des vins qui se sont épurés et affinés, grâce à une meilleure maîtrise des élevages en barriques »…l’univers esthétique de Jérôme s’ouvre mais les convictions demeurent !
Comment voyez-vous l’avenir de ce terroir ?
Actuel responsable de la gestion locale du Rosacker, Jérôme Mader est très confiant quant à l’avenir de ce Grand Cru : « D’après les chiffres du CIVA, plus de 80% de la surface du Rosacker est revendiquée en Grand Cru, ce qui fait du Rosacker Cru l’un des Grands Crus les mieux valorisés en Alsace ». La cave coopérative de Hunawihr qui diffuse largement les bouteilles de ce Grand Cru est l’un des acteurs importants de cette réussite même si leur politique tarifaire suscite la polémique « les 2/3 de la superficie du Rosacker sont exploités par des coopérateurs ».
Ceci étant, les vignerons indépendants se portent bien à Hunawihr : « Tous les vignerons du village qui mettent en bouteilles commercialisent très bien leurs vins aujourd’hui ».
Profitant de la notoriété internationale du Clos Sainte Hune et des capacités de distribution d’une cave coopérative reconnue, les vignerons de Hunawihr sont dans des conditions très favorables pour faire connaître et reconnaître la qualité de leur production.
Les jeunes vignerons du secteur se retrouvent régulièrement pour déguster des vins et échanger des idées sur leurs pratiques « des rencontres indispensables pour progresser » mais la motivation pour entreprendre des opérations de communication plus importantes fait souvent défaut…la rançon du succès en quelque sorte !
Les vins du domaine : quelle conception ?
Le domaine Mader exploite aujourd’hui près de 10 hectares de vignes répartis sur 4 villages : Hunawihr, Riquewihr, Ribeauvillé et Kientzheim. Le domaine vinifie 2 Grands Crus – 0,8 hectares sur le Rosacker et 0,5 hectares sur le Schlossberg – mais valorise aussi le terroir du Muhlforst de Hunawihr.
Affichée dans le caveau du domaine cette photo permet de visualiser les parcelles du domaine…désolé pour la qualité, j’ai fait ce que j’ai pu !
Le domaine est géré par Anne et Jean-Luc Mader depuis 1981 et leur fils Jérôme les a rejoints en 2005, à la fin de sa formation en œnologie.
Au niveau de la vigne, ces vignerons ont choisi de mettre en œuvre des pratiques de viticulture biologique en 2007 et ont obtenu la certification Ecocert en 2010.
Les vignes sont enherbées et le travail du sol est adapté à chaque parcelle pour gérer l’apport hydrique le plus précisément possible : tonte, labour superficiel un rang sur deux ou pour tous les rangs… « De toutes façons, avec ces épisodes de sècheresse de plus en plus fréquents et de plus en plus longs, le travail du sol devra être de plus en plus soutenu ».
Les vendanges sont manuelles et les raisins sont pressés entiers et assez rapidement, 3 heures en général. Après des débourbages serrés, les jus ne sont pas sulfités et partent en cuves où ils effectuent leurs fermentations (alcooliques et malo-lactiques) sous l’effet exclusif de levures indigènes « les malos se font naturellement sur tous nos vins…souvent en même temps que les fermentations alcooliques ».
Les vins sont élevés sur lies fines en cuves durant 8 à 9 mois avant la mise en bouteilles.
Le cuvier « historique » rénové du domaine Mader avec des contenants en acier émaillé toujours utilisés aujourd’hui…
…et l’extension moderne avec des cuves en inox.
Le domaine Mader commercialise un volume de 50 à 55000 bouteilles décliné à travers une gamme traditionnelle de vins d’Alsace complétée par quelques cuvées parcellaires sur le lieu-dit Muhlforst et sur les Grands Crus Rosacker et Schlossberg.
Cette production est vendue en grande partie à l’export « 75% de nos vins partent chaque année à l’étranger, principalement en Australie (30% de la production) et aux Etats Unis ».
Et dans le verre ça donne quoi ?
La dégustation nous ramène vers notre thème principal avec une série de 6 rieslings choisis par Jérôme dans une oenothèque familiale dont il regrette un peu la modestie « garder des vins, n’était pas dans la tradition familiale…ce qui était vendu n’était plus à vendre ! ».
Nous n’aurons donc que très peu de vieux millésimes dans cette sélection, mais je suis sûr qu’on va quand même se régaler…en plus je n’aime plus trop les vieux vins !
Le riesling Rosacker est réalisé à partir d’un assemblage de deux parcelles vinifiées séparément, l’une se trouvant sur le Heitzberg (exposé au sud) et l’autre dans le secteur nord du lieu-dit Rosacker (exposé est/sud-est).
Le gewurztraminer est issu de deux parcelles situées dans la partie haute du Grand Cru.
Riesling Rosacker 2015 : robe trouble, olfaction bien expressive, notes de fruits blancs et de fleurs, touche vanillée, matière juteuse et gourmande en bouche, arômes d’agrumes frais, finale équilibrée, finement acidulée.
Le premier riesling de cette série vient de terminer sa fermentation (il y a 2 jours) et a été prélevé sur les 2 cuves qui contiennent les jus des 2 parcelles.
Les arômes commencent à se définir, la matière montre une richesse très gourmande – surement liée au millésime – mais le terroir commence déjà à parler en imposant sa belle trame acide. Prometteur !
Riesling Rosacker 2014 : nez timide qui livre de discrets arômes d’agrumes frais, matière ample en bouche, acidité mûre mais bien tendue, toucher gras, finale sapide avec une belle salinité et un sillage qui évoque la pureté de l’eau de roche.
Riesling Muhlforst 2014 : nez flatteur et engageant, fruité complexe et bien mûr, matière généreuse, volume sphérique, présence tannique sensible, finale intense mais digeste avec des amers nobles.
Cette doublette de 2014 nous a été proposée par Jérôme pour nous faire sentir la différence entre ces deux terroirs voisins de Hunawihr : le Rosacker longiligne, pur et élégant s’exprime avec la discrétion et la race propre aux très grands rieslings sur calcaire alors que le Muhlforst épanoui et expressif construit un équilibre dynamique autour de son ossature minérale et tannique.
Riesling Rosacker 2013 : nez magnifique, ouvert et complexe avec une palette d’une complexité incroyable, notes de carambole, citron vert, badiane, mangue fraîche…, matière concentrée, très belle expression fruitée, colonne acide puissante, finale tendue, légèrement tannique, retour aromatique sur le pamplemousse.
Ce riesling que j’ai pu déguster sur 2 jours (j’avais emporté la bouteille chez moi) symbolise ce qu’un grand terroir peut produire dans un grand millésime…« le dernier très beau millésime en Alsace » d’après Jérôme Mader.
Doté d’une énergie encore un peu sauvage, Rosacker plein de fougue et de générosité m’a vraiment impressionné. C’est un très grand vin !
Riesling Rosacker 2012 : olfaction complexe et raffinée, notes poudrées, expressions végétales nobles (aspérule, fougère), touche minérale (silex), matière fuselée en demi corps, silhouette longiligne, toucher de bouche assez gras, finale digeste équilibrée par une belle présence saline.
Après 3 années de garde, ce vin commence sa phase de maturité en laissant la parole au terroir : on sent le riesling qui s’efface peu à peu pour laisser s’exprimer le Rosacker.
C’est un vin droit (0 g de SR) et harmonieux qui séduit par sa complexité aromatique et sa tenue presque aristocratique en bouche. MIAM !
Riesling Rosacker 2004 : nez pur et délicat, palette sur le miel de fleurs et l’amande fraîche, tenue en bouche très élégante, équilibre frais et fine présence tannique, finale sapide et long sillage minéral et mentholé.
Comme toujours lorsque je déguste un 2004, je traque les marqueurs végétaux (gentiane, persil) qui ont « pollué » pas mal de vins nés cette année, mais avec ce riesling ma quête est restée vaine : dans mon verre je trouve un vin d’une grande finesse avec une palette classieuse et une très belle structure minérale…et qui semble encore capable de tenir de longues années avant de décliner.
Bravo !
Quintette majeure de rieslings Rosacker
Pour terminer notre rencontre studieuse sur une petite touche de douceur nous dégustons 2 gewurztraminers Rosacker :
Gewurztraminer Rosacker 2012 : nez très délicat, palette florale, matière svelte, expression aromatique d’une grande suavité, litchis et épices de Noël, acidité présente qui tient bien la structure et confère une grande digestibilité à la finale.
Même si ses paramètres analytiques annoncent un vin très puissant (13°5 et 48 g de SR), ce gewurztraminer brille avant tout par son élégance et sa buvabilité.
MIAM !
Gewurztraminer Rosacker 2007 : nez ouvert et flatteur, palette gourmande, cerise confite, bonbon acidulé, eau de rose, équilibre très élégant où richesse et acidité se sont fondues pour laisser une belle sensation d’harmonie, finale digeste et bien glissante.
Malgré son âge, ce gewurztraminer a gardé beaucoup d’exubérance sur le plan aromatique, mais sa présence en bouche noble et raffinée nous montre qu’il est entré dans sa phase d’âge mûr. Très beau vin !
Le duo de gewurztraminers du Rosacker
Pour conclure, un petit bilan sur cette nouvelle expérience de visite approfondie d’un terroir Grand Cru (attention je risque de me répéter…) :
- J’ai renforcé ma conviction qu’une bonne compréhension d’un vin passe évidemment par la dégustation mais s’enrichit considérablement si on fait la démarche d’aller sur place, sentir l’énergie des terroirs où il naît et rencontrer les gens qui le conçoivent…je ne boirai plus jamais des Rosacker comme avant !
- Le Rosacker est un terroir que les vignerons de Hunawihr défendent avec conviction depuis de longues années car ils ont très vite compris que ce coteau calcaire accroché à la montagne vosgienne était capable de générer des vins remarquables.
Un Rosacker bien né est un vin à forte personnalité qui demande de la patience et peut-être une certaine culture vinique pour se laisser apprécier à leur juste valeur : c’est « un terroir d’initiés » comme nous l’a rappelé notre guide du jour.
Même si les expressions aromatiques ne sont pas toujours très intenses (quoique…) la complexité de la palette olfactive et gustative est une constante sur chaque cuvée…et ceci dès le plus jeune âge.
Cependant il faut bien reconnaître que ce Grand Cru se distingue avant tout par sa tension acide et sa trame minérale qui structurent la matière fruitée en nous donnant une impression d’équilibre et d’énergie vitale tout à fait unique.
On trouve aussi de vrais rosiers sur le Rosacker.
- Jérôme Mader est un jeune vigneron qui connaît parfaitement la valeur de ses terroirs et se montre bien décidé à les magnifier par un travail exemplaire : en premier lieu dans ses vignes qu’il cultive en bio avec comme projet de passer en biodynamie – il va mettre ces procédés en œuvre sur une partie du domaine dès cette année – et en cave où il privilégie des pratiques qui limitent ses interventions au strict minimum.
Ses rieslings du Rosacker m’ont fait très forte impression avec leur chair juteuse et sensuelle tenue par une arête acide et saline remarquable de puissance et de maturité…une vibration minérale qui laisse sans voix !
Plus classiques mais d’une élégance rare, les gewurztraminers sont de petites friandises auxquelles on n’a vraiment pas envie de résister…et pourquoi le ferait-on !
Je n’ai pas eu le temps de déguster le reste de la gamme du domaine, mais après ce premier contact plus que convaincant une seconde visite me semble indispensable…à suivre !
- Mille mercis à Jérôme pour cette belle après-midi passée en sa compagnie.
Dernière vue sur Hunawihr avec les châteaux de Ribeauvillé au loin : une destination future avec pas moins de 3 grands crus à traiter...ma quête est loin d’être achevée !
Première publication de cet article : 2016
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