Cheval Blanc et Yquem à l'U.G.V. : le grand vin selon Pierre Lurton

Cela faisait longtemps que je n’avais plus participé à une soirée vinique organisée par l’U.G.V. mais lorsque mon amie Irina m’a contacté pour me proposer de l’accompagner à cette dégustation consacrée au Château Cheval Blanc, je me suis laissé tenter…
Certes, cela va faire quelques années que je ne suis plus très réceptif au charme des vins de Bordeaux et je sais que la sortie de Strasbourg par l’autoroute va être très problématique (comme tous les jours) mais la perspective de pouvoir enfin goûter quelques millésimes de ce célèbre cru de Saint Emilion a fait céder mes dernières résistances.
Ce n’est pas tous les jours qu’on a l’occasion de rencontrer un vin qui fait fantasmer toute la planète œnophile…hoppla c’est parti !

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Derniers préparatifs dans la salle du Tanzmatten de Sélestat…

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…pendant que les participants commencent à s’installer.

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Formation habituelle en début de séance avec le président et le vice-président de l’U.G.V. entourant l’invité…

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…et un auditoire d’œnophiles très attentifs.


L’intervenant qui a accepté d’animer cette grande dégustation n’est autre que Pierre-Olivier Clouet, l’actuel Directeur Technique du Château Cheval Blanc et du Château d’Yquem…excusez du peu

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Orateur volubile et compétent, Pierre-Olivier Clouet nous présente sa vision du grand vin.

Petit résumé de la présentation de Pierre-Olivier Clouet.

Avec 6200 hectares et 850 exploitants, Saint Emilion représente la « plus grosse appellation communale du vignoble français ».
Si presque tous les grands châteaux de Saint Emilion sont implantés sur un vaste plateau calcaire, le Château Cheval Blanc se distingue par une situation particulière puisque ses vignes qui jouxtent le terroir de Pomerol se trouvent à 4 kilomètres au nord de ce plateau.
Avec un terroir d’argiles, de graves et de sables et un encépagement qui fait une large place au cabernet franc, Cheval Blanc se distingue des autres crus de cette appellation dont les vins sont marqués par une présence dominante de merlot et une minéralité calcaire.

Même si des documents relatent la présence de vignes cultivées sur ce secteur dès le XV° siècle, l’histoire de Cheval Blanc commence vraiment en 1832 : « avant c’était une métairie de la Seigneurie de Figeac ».
La superficie initiale de ce domaine était de 7 hectares situés sur le lieu-dit « Cheval Blanc » mais sous l’impulsion de Jean-Jacques Ducasse, le premier propriétaire qui a racheté progressivement toutes les parcelles de vignes autour de château, le domaine s’est agrandi et vingt ans plus tard, en 1852, le patrimoine viticole de Cheval Blanc comptait 37 hectares « et ce parcellaire est toujours le même aujourd’hui ».
Par la suite, c’est Jean Laussac-Fourcaud (le gendre de Jean-Jacques Ducasse) qui décidera de replanter peu à peu les différentes parcelles de Cheval Blanc en adaptant l’encépagement au terroir : ce sera 50% de merlot et 50% de cabernet franc…une intuition géniale qui donnera son identité à ce vin et le fera entrer dans le cercle très fermé des Grands Crus les plus célèbres et les plus recherchés du vignoble girondin.
Le Château Cheval Blanc est resté domaine familial durant 180 ans, jusqu’en 1998, date à laquelle, la famille Fourcaud-Laussac a décidé de vendre leur domaine à Bernard Arnaud et Albert Frère, deux financiers passionnés de vin.
Malgré ce changement de propriétaire, Pierre Lurton, qui dirige Cheval Blanc depuis 1991 est resté à la tête de ce domaine qu’il continue de faire progresser : son dernier projet, un nouveau chai à l’esthétique futuriste conçu par l’architecte Christian Portzamparc et inauguré en 2011.

« L’enjeu actuel de Cheval Blanc et le défi à relever dans les années qui viennent consiste à placer au bon endroit le curseur entre tradition et modernité ».
La vigne est travaillée pour que chaque pied produise les plus beaux raisins possible en permettant à chaque grappe d’arriver à son optimum de maturité pour les vendanges.
« Il y a 3 types de maturité pour le raisin : la maturité aromatique qui qualifie l’état du fruit, la maturité technologique qui qualifie l’équilibre entre alcool et acidité, la maturité phénolique qui qualifie la qualité des tanins ».
Les analyses œnologiques qui ne renseignent que sur le niveau de maturité technologique ne sont pas suffisantes pour déterminer l’état du raisin, c’est pour cette raison qu’à Cheval Blanc lorsque les vendanges approchent « on passe régulièrement dans les vignes et on mange du raisin »…c’est le verdict des papilles qui va être déterminant dans le choix de la date de vendange.
« A Cheval Blanc nous récoltons des raisins à juste maturité, ni verts ni cuits ».
Avec une matière première de qualité, le suivi du vin est facile « nous travaillons de façon traditionnelle avec un minimum d’interventions œnologiques ».
Avec le cuvage du nouveau chai qui compte 52 cuves en béton et 9 volumes différents, les 45 parcelles de Cheval Blanc peuvent être gérées de façon autonome : « le vin de chaque parcelle est comme un soliste qui travaille sa partition seul avant d’intégrer l’orchestre symphonique dans l’assemblage final ».
Les élevages se font toujours en barriques neuves et 70% de la production va être sélectionnée pour le grand vin du château, les 30% restants vont constituer « Petit Cheval », le second vin de Cheval Blanc… « sauf en 2015, où toute la vendange a été utilisée pour faire le grand vin ».

Le terroir de Cheval Blanc est très complexe mais on peut quand même y repérer 3 grandes familles de sols :
- les sols sableux (20%) qui donnent des vins « aériens, frais et directs avec des tanins délicats »
- les sols graveleux (40%) qui engendrent des vins « complexes sur le plan aromatique avec des tanins fermes mais peu épais »
- les sols argileux (40%) qui engendrent des vins « amples et gras avec des tanins larges et enveloppants ».
L’autre élément important du terroir de Cheval Blanc est le climat « l’influence océanique entraîne d’importantes variations climatiques d’une année à l’autre »…à tel point que Pierre-Olivier Clouet affirme que « dans cette région, c’est le millésime qui est le vrai interprète du terroir ».

L’encépagement actuel du vignoble de Cheval Blanc comprend 49% de cabernet franc, 47% de merlot et 4% de cabernet sauvignon. L’âge moyen des vignes est de 42 ans et un quart de la superficie est laissée en jachère « pour laisser les sols se restructurer » avant de replanter les différentes parcelles « avec des plants issus d’une sélection massale issue des vieilles vignes du domaine ».


Après ce long exposé, très intéressant et bien mené par un intervenant particulièrement à l’aise dans cet exercice, nous sommes impatients de vérifier si ces grands vins signés par Pierre Lurton et Pierre-Olivier Clouet tiennent vraiment leurs promesses…


Saint Emilion Grand Cru Château Quinault l’Enclos 2011
L’expression aromatique bien ouverte développe une palette très agréable sur les fruits rouges frais et les fleurs sur un fond finement réglissé. En bouche on découvre une matière élégante avec des tanins très qualitatifs qui donnent une belle sensualité à la texture. La finale laisse persister de beaux amers et un sillage très raffiné sur la craie et le poivre blanc.
(70% merlot + 15% cabernet franc + 10% cabernet sauvignon + 5% malbec).

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Né sur un sol à dominante graveleuse dans un millésime assez chaud ce Saint Emilion signé par Pierre Lurton et son équipe constitue une mise en bouche tout à fait réussie pour nous donner vraiment envie de découvrir la suite de cette série.
C’est un vin épanoui et facile d’accès qui a encore de belles années devant lui et que l’amateur pourra encaver pour quelques dizaines d’euros…pour tout dire je serais presque tenté !


Saint Emilion Grand Cru Le Petit Cheval 2011
La robe est dense et foncée et l’expression aromatique assez discrète nous laisse deviner des notes de fruits rouges complétées par une pointe végétale bien fraîche (chlorophylle). Après une attaque plutôt souple, le vin se pose en bouche avec une matière large et charnue qui enrobe des tanins plutôt vifs. La finale développe une minéralité « salivante » ainsi qu’un beau sillage fruité et poivré.
(64% merlot + 36% cabernet franc).

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Avec sa densité et sa structure tannique très qualitative, le second vin de Cheval Blanc marque une vraie montée en gamme mais demandera encore quelques années de patience pour donner la pleine mesure de son talent.
C’est un vin où on sent une maîtrise parfaite à chaque étape de sa conception…l’exigence d’un grand nom de Saint Emilion et (hélas) déjà le prix dissuasif qui va avec !!!


Saint Emilion Grand Cru Classé Château Cheval Blanc 2011
L’olfaction est encore très discrète mais à l’aération elle révèle une palette complexe avec des notes florales (pivoine, violette) sur un fond légèrement empyreumatique (pain grillé, fumé léger). La bouche développe une matière pleine et séveuse avec une expression aromatique qui gagne en intensité et une trame tannique bien soyeuse. La finale très large laisse persister un long sillage sur la réglisse et les amers nobles.
(47% merlot + 52% cabernet franc + 1% cabernet sauvignon).

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La série des « cuvées star » commence par un vin très accessible qui montre néanmoins sa classe supérieure en offrant une vraie impression de plénitude en bouche : le jus est concentré mais parfaitement équilibré et le boisé dosé avec une grande précision…c’est un vin qui commence à parler mais qui est loin d’avoir dit son dernier mot.


Saint Emilion Grand Cru Classé Château Cheval Blanc 2010
Plus expressif au nez, ce vin propose une aromatique dominée par des notes végétales (figue verte, herbes condimentaires). La présence en bouche est assez austère avec une matière dense tenue par un maillage tannique serré mais assez mature. La finale est plus avenante avec une belle fraîcheur minérale soutenue par un retour aromatique délicatement mentholé.
(50% merlot + 48% cabernet franc + 2% cabernet sauvignon).

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Un peu déroutant par son esthétique très monacale ce vin issu d’un millésime de légende ne m’a pas vraiment convaincu ce soir. Le cabernet franc libère ses arômes végétaux qui ne me séduisent que très rarement et la présence en bouche est encore bien trop anguleuse pour moi.
J’ai senti un vin puissant, corsé et taillé pour une très longue garde mais je crois qu’à l’heure actuelle ce Cheval Blanc 2010 n’a pas vraiment envie de se livrer au dégustateur. Dommage !


Saint Emilion Grand Cru Classé Château Cheval Blanc 2009
Le nez séduit d’emblée par son côté charmeur et très ouvert en développant une palette mûre et complexe sur les fruits noirs et les épices douces relevés par de fines touches balsamiques. En bouche, le jus très généreux est structuré par une acidité large et une charpente tannique fine et gourmande. La finale est longue et très tactile avec un long sillage fruité accompagné par de délicates nuances réglissées et minérales (terre humide).
(42,5% merlot + 55,9% cabernet franc + 1,6% cabernet sauvignon).

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Ce vin bien marqué par le côté riche de ce millésime solaire se livre avec beaucoup de spontanéité aujourd’hui en développant une matière voluptueuse et très bien structurée.
Voilà une très belle bouteille que j’ai été très heureux de rencontrer et dont j’aurai bien stocké quelques exemplaires dans ma cave…si les prix primeurs avaient été un peu plus raisonnables. SNIFF !!


Saint Emilion Grand Cru Classé Château Cheval Blanc 2000
Le nez est bien ouvert et flatte les sens par une palette aromatique complexe et raffinée sur les fruits rouges frais et les fleurs des prés sur un fond discrètement mentholé .La bouche développe une matière longiligne tenue par une acidité fine mais structurante et soutenue par des tanins parfaitement fondus. La finale très  élégante nous régale par un sillage long et racé sur le bois de réglisse et le tabac blond.
(53% merlot + 47% cabernet franc).

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Après plus de 15 ans de garde, ce vin qui semble être entré dans sa phase de maturité optimale révèle toute la complexité et la profondeur qu’on attend d’un grand cru de Saint Emilion. Là je ma régale vraiment…MIAM !


Sauternes Château d’Yquem 2015
La robe d’un jaune d’or éclatant et l’olfaction intense et complexe nous emmène vers un monde où on devine que l’excès sera la norme et de raffinement une obligation. La palette évolue en permanence entre la bergamote, l’abricot confit, la vanille, la cannelle…et j’en oublie !
En bouche la matière est ample et concentrée avec une structure puissante tenue par une ligne acide/saline qui se met en place dès l’attaque. Les arômes d’agrumes confits et d’épices douces envahissent le palais et persistent longuement en finale.
 (75% sémillon + 25% sauvignon).

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« Pour réaliser Yquem Il faut maîtriser l’art de faire coexister les extrêmes » et cette bouteille sublime constitue une preuve magistrale de cette maîtrise. Bravo !
Yquem est surement le vin mythique dont j’ai dégusté le plus d’exemplaires jusqu’à aujourd’hui…j’avais même commencé une petite collection dans les années 90.
Hélas la politique tarifaire inflationniste qui a frappé cette catégorie de vins à partir des années 2000 m’a contraint à mettre fin à cette belle série…et avec ce grandissime 2015 que nous avons eu le bonheur de goûter ce soir mes regrets n’en sont que plus amers. MIAM énorme quand même !

 

Je n’avais plus fréquenté cette vénérable assemblée depuis quelques mois – la faute à des horaires et à un lieu d’implantation incompatibles avec mon emploi du temps – et j’ai été ravi de retrouver l’ambiance à la fois studieuse et conviviale qui fait des soirées de l’U.G.V. un rendez-vous indispensable pour tout amateur de grands vins.
Cette session exceptionnelle consacrée à un des plus grands vins du monde a tenu ses promesses tout en me laissant un petit goût de frustration voire même de révolte…

La prestation de Pierre-Olivier Clouet a été en tous points remarquable : disert, précis, pédagogue, il nous a invité dans le monde de Cheval Blanc avec beaucoup de sincérité et de simplicité tout en répondant sans « langue de bois » aux questions parfois épineuses des participants. Chapeau !!!

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Séquence de questions-réponses après la dégustation.

En ce qui concerne les vins, j’ai été impressionné par la constance qualitative des rouges signés par Pierre Lurton et son équipe mais mon sentiment à l’égard des crus bordelais reste pourtant très mitigé : certes je suis admiratif face à cette recherche de maîtrise absolue qu’on retrouve à chaque étape de la conception des vins mais j’ai vraiment du mal à ressentir d’émotion profonde lorsque je les déguste…comme nous l’a dit très justement Pierre-Olivier Clouet, « un grand bordeaux est construit comme une symphonie » mais, après de longues années d’expériences œnophiles, je suis devenu plus sensible au charme intimiste d’un trio entre un cépage, un terroir et un vigneron.

Mes coups de cœur du soir iront en premier lieu à Cheval Blanc 2000, un vin brillant et raffiné qu’on sent prêt à affronter les prochaines décennies avec une parfaite sérénité mais j’ai également beaucoup apprécié la finesse de Quinault L’Enclos 2011, un très beau Saint Emilion dont je mettrai volontiers quelques flacons en cave.
Bien évidemment, Yquem 2015 qui a terminé cette série en apothéose et qui représente plus que jamais ce qui se fait de mieux dans le monde des liquoreux, restera pour moi le plus grand vin de la soirée…mille mercis pour cet instant de bonheur absolu !


A l’image de mes commentaires après la soirée Pontet-Canet, mes coups de cœur seront suivi d’un coup de gueule contre la politique tarifaire mis en œuvre par ces grands domaines bordelais : lorsque je sens un tel décalage entre le coût de production et le prix de vente d’une bouteille, je sais qu’on quitte le monde du vin pour rentrer dans celui de la spéculation et de la finance…bien sûr, Cheval Blanc et Yquem n’ont pas attendu l’arrivée du duo Arnault/Frère pour voir leurs prix s’envoler mais je ne peux pas m’empêcher d’y voir un symbole !
En tous cas, bon vent à ces deux fleurons du vignoble français…mais ce sera sans moi !!!

Merci à tous ceux qui ont œuvré pour nous permettre de vivre ces beaux moments de formation et de gourmandise.

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