L'Engelberg selon Mélanie Pfister
L’ENGELBERG…
Pour ceux qui auraient raté la première partie de cette visite de l’Engelberg, n’hésitez pas à vous rendre ICI : vous pourrez y retrouver les informations générales sur ce Grand Cru ainsi que le point de vue d’un autre vigneron, Jean-Marie Bechtold.
…SELON MELANIE PFISTER
Comme Jean Marie Bechtold, André Pfister, le papa de Mélanie, est un ardent défenseur de l’Engelberg et il n’est pas illégitime d’affirmer que sans l’énergie déployée par ces 2 vignerons au cours des dernières décennies ce Grand Cru ne serait pas reconnu aujourd’hui comme l’un des meilleurs terroirs du Bas-Rhin.
Après un cursus de formation riche et complet, Mélanie Pfister a rejoint le domaine familial en 2006 pour venir travailler avec son père. L’avis de cette jeune vigneronne issue d’une famille dont la tradition viticole remonte à l’Ancien Régime me semblait indispensable pour compléter mon approche de l’Engelberg. Il faut dire aussi que lorsque son emploi du temps le lui permet, elle nous fait le plaisir de se joindre à notre groupe de dégustateurs lors des soirées de l’A.O.C.
La visite était donc doublement indispensable !
Nous débutons le tour du propriétaire en saluant André Pfister qui surveille les deux alambics en pleine distillation de marc de gewurztraminer et de marc de muscat puis nous visitons les imposants locaux professionnels du domaine : espace de réception de la vendange, pressoir, cuverie, stockage…jusqu’à la dernière étape, le magnifique caveau de dégustation alliant subtilement modernité et tradition…assez représentatif de l’esprit du domaine en fait.
Tout est prêt pour recevoir dignement les amateurs de vin.
C’est devant un verre de riesling Silberberg 2008 que nous démarrons notre entretien.
Ouh la la ! Déguster, noter des commentaires, poser des questions, noter des réponses… comme elle il va la jeunette ! Se rend-t-elle bien compte que les quelques neurones valides qui me restent, accusent un demi-siècle bien tapé ?
Enfin, je vais essayer…
Comment définir ce terroir ?
L’Engelberg doit une grande partie de son originalité au Scharachberg dont il occupe une partie du versant sud. Dès la sortie de Strasbourg cette colline posée au milieu d’un large champ de fracture attire le regard. C’est l’un des hauts lieux vibratoires de cette région « on y ressent de puissantes forces telluriques ». La végétation y est particulièrement riche et diversifiée même si le sous-sol riche en calcaire oolithique a très rapidement été repéré pour ses qualités hautement propices à la culture de la vigne.
Quels sont les cépages les mieux adaptés ?
Le riesling et le gewurztraminer sont les cépages qui se plaisent sur les pentes de l’Engelberg « le riesling vers le carrière et vers l’ouest où le sol est plus léger et le gewurztraminer vers l’ouest où les terrains sont un peu plus argileux ».
Quels caractères spécifiques ce terroir transmet-il aux vins ?
L’Engelberg produit des vins raffinés « des vins de dentelle » qui jouent sur le registre de la finesse sans jamais devenir évanescents. Au niveau aromatique ce terroir permet de magnifier le cépage tout en conférant à ses vins une structure acide rectiligne et profonde « même les gewurztraminers restent d’une extrême fraîcheur sur l’Engelberg ».
En vieillissant, la puissance minérale du terroir se manifeste « mais toujours avec une grande finesse…on ne retrouve que très rarement des notes d’hydrocarbure ou de caoutchouc dans de vieux Engelberg »
Quelles perspectives pour ce terroir ?
La question ne pouvait pas mieux tomber « ce soir (c’était le 4 février) je succède à Jean-Marie Bechtold à la Présidence de la gestion locale ». Comme nous l’avons déjà évoqué, il reste encore du chemin à parcourir pour faire reconnaître l’Engelberg à sa juste valeur. Mélanie évoque 3 projets qui lui tiennent particulièrement à cœur :
- la création d’une œnothèque dans les caves sous l’ancien presbytère.
- la réflexion pour définir rapidement (pour fin mars) « le lien au terroir pour l’Engelberg » afin de répondre aux nouvelles normes européennes.
- la mobilisation des viticulteurs, notamment des coopérateurs, pour qu’ils rentrent dans le syndicat du Grand Cru : « on est trop peu nombreux à revendiquer cette appellation, il faut absolument convaincre plus de vignerons de faire de l’Engelberg ».
Les vins du domaine : quelle conception ?
Mélanie représente la 8° génération de Pfister cultivant la vigne sur les terroirs de Dahlenheim. L’histoire du domaine remonte à la fin du XVIII° siècle mais c’est André Pfister qui a choisi d’abandonner la polyculture pour se consacrer uniquement au métier de vigneron. Autodidacte passionné, il construit la structure actuelle du domaine tout en expérimentant des méthodes culturales novatrices :
- il choisit très tôt la viticulture intégrée et raisonnée
- il expérimente l’enherbement naturel maîtrisé et l’engrais vert avant tout le monde
Pour perfectionner sa maîtrise des vinifications il se dote dès le début des années 80 d’une cuverie thermorégulée.
Au niveau de la viticulture, Mélanie a décidé de garder la ligne de conduite de son père : « la lutte raisonnée me laisse le choix… car sur nos parcelles le bio reste un pari risqué ». Les traitements se limitent au strict minimum « nous avons donné des échantillons pour une recherche de pesticides dans les vins et les analyses se sont révélées négatives ».
Le domaine s’étend sur 10 hectares, avec des parcelles situées sur les coteaux autour de Dahlenhem :
- 1 ha sur l’Engelberg, uniquement dans la partie est.
- 3 ha sur le Silberberg, tout près de l’Altenberg de Woxheim.
- une parcelle de gewurztraminer sur l’Obere Hund, un coteau pentu vers Soultz les Bains.
Les maturités sont contrôlées par l’analyse et surtout par la dégustation régulière des baies « le taux de sucre n’est pas le seul critère pour déterminer le niveau de maturité ».
La maison Pfister recherche des vins secs et choisit ses dates de vendanges pour obtenir des jus mûrs mais pas trop riches.
Les vinifications se font avec un minimum d’interventions :
- après un pressurage très doux les fermentations se font en cuve inox thermorégulée.
- les levurages sont rares « ils sont parfois nécessaires dans certains millésimes »
- les vins restent sur leurs lies jusqu’au printemps et les mises se font juste avant la récolte suivante.
Le domaine Pfister vend ses vins à une solide base de clients particuliers et auprès de restaurateurs locaux. Le marché international est surtout européen.
Et dans le verre ça donne quoi ?
Riesling Silberberg 2008 : le nez est franc et direct sur la pomme verte, la bouche est droite avec des arômes très purs d’agrumes frais, la finale est ample et tendue.
Un riesling sec, frais et délicieusement fruité.
Riesling GC Engelberg 2007 : le nez est discret et raffiné avec de belles notes florales, la bouche est riche et citronnée avec un équilibre sec (malgré 7 g de SR), la finale est d’une grande longueur.
Une charpente solide et un registre aromatique tout en finesse... un paradoxe certes, mais surtout un grand vin en devenir.
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Riesling GC Engelberg 2006 : le nez est précis et élégant, toujours sur un registre floral, la matière en bouche est riche, le cépage interprète sa partition avec quelques notes terpéniques discrètes et une acidité longue et vibrante.
Le premier millésime vinifié par Mélanie : à l’instar de son père qui a fait son premier vin en 1972, cette jeune vigneronne a dû affronter les affres d’une année terrible pour la vigne. Le résultat final est superbe…un riesling d’une grande pureté. Chapeau bas !
Riesling GC Engelberg 2001 : le nez est riche et très complexe (bergamote, orange, herbes aromatiques, épices), la bouche est mature avec une acidité posée et détendue, une structure large et une belle salinité en finale.
Un riesling plein, savoureux, épanoui…9 ans est peut-être l’âge de raison pour un Engelberg ?
Riesling GC Engelberg 1995 : le nez est fin et d’une belle complexité avec des aromes floraux très suaves et des notes d’herbes aromatiques. L’attaque en bouche est souple, le vin prend son temps pour exprimer sa structure ample, large et pleine de saveurs (infusion d’herbes aromatiques), la finale est fraîche et bien minérale..
Un vin élégant et bien équilibré qui se trouve sur son plateau de maturité…et qui semble pouvoir y rester un certain temps encore.
Gewurztraminer GC Engelberg 2007 : le nez est fin et complexe avec un palette marquée par les herbes aromatiques et les épices (muscade et poivre blanc), la bouche est grasse mais sans aucune lourdeur avec une finale longue et épicée.
Un gewurztraminer jeune mais déjà fortement typé par son terroir : svelte et racé.
Gewurztraminer GC Engelberg 2006 : le nez est plus discret mais toujours d’une grande finesse avec un registre aromatique proche du 2007, la bouche ronde et détendue possède une texture bien glissante, la finale est longue avec une salinité perceptible.
Le nez est en retrait mais le terroir exprime pleinement sa puissante minéralité en bouche.
Gewurztraminer GC Engelberg 2000 : le nez d’une finesse rare est fait de petites touches aromatiques… une toile expressionniste ! La bouche toute en élégance et en distinction a su garder sa légèreté et son côté glissant. La finale est longue mais toujours très fraîche.
Un vin un peu paradoxal avec une palette dont la complexité pousse à la méditation mais dont la structure gourmande appelle plutôt de copieuses libations.
Gewurztraminer GC Engelberg 1998 : la rose et la bergamote composent un nez de dentelle, la bouche est fluide, aérienne et élégante avec une finale fraîche sur des notes de guimauve et de bois de réglisse.
Une finesse peu commune se dégage de ce grand vin arrivé à pleine maturité… un nectar !
Pour terminer nous goûtons encore quelques références de la carte actuelle du domaine Pfister :
Cuvée 8 2007 : le nez est pur et très frais, l’olfaction révèle des notes de raisin frais et de citron, après une attaque en souplesse, le vin prend progressivement de l’ampleur en bouche pour révéler une structure équilibrée avec une acidité mure et une finale franche et sapide.
Cette cuvée marque l’arrivée de Mélanie au domaine - 2007 est le second millésime - et 8 symbolise la 8° génération de Pfister incarnée par cette jeune vigneronne. C’est lors de son stage au Château Cheval Blanc que Mélanie a eu l’idée de créer une cuvée haut de gamme issue d’un assemblage de cépages nobles. La proportion de riesling, pinot gris, gewurztraminer et muscat est secrète mais le résultat final est vraiment intéressant. Le vin se livre facilement avec un profil résolument gastronomique mais gageons que quelques années de garde révèleront la complexité de cette cuvée 8 et réserveront de très belles émotions au dégustateur patient…
La cuvée a 2 ans mais la signature est celle de l’aïeul…tout un symbole !
Riesling Silberberg SGN 2007 : le nez est magnifique d’élégance et de pureté, la palette est richement fleurie avec de belles notes de citron confit, la bouche possède un équilibre mûr et tonique, les notes d’herbes aromatiques envahissent le palais (sauge, origan), la finale est très longue tout en gardant une belle fraîcheur.
Une merveille d’équilibre et de finesse !
Muscat Les 3 Demoiselles SGN 2007 : le nez est intense, richement aromatique sur un registre floral, la bouche est puissante et opulente, les notes de raisin sec marquent une finale très longue.
Une matière très mûre (105 g) et une structure bien large : un muscat fort en gueule à manipuler avec précaution.
Pinot Gris Silberberg SGN 2007 : le nez est discret mais très agréable sur les fruits blancs légèrement caramélisés, la bouche possède un équilibre remarquable, la matière concentrée évoque la pulpe de raisin mûr mais une fraîcheur délicate apparaît progressivement pour accompagner la finale légère et digeste.
Malgré mon goût personnel pas trop en phase avec les pinots gris, je dois reconnaître que ce vin est grand… peut-être le plus grand de la série des SGN goûtés aujourd’hui !
Gewurztraminer Obere Hund SGN 2007 : le nez est discret avec des notes de botrytis assez présentes qui dominent la finesse des arômes de raisin mûr, la bouche est remarquable de densité et de concentration. La palette se complexifie et la finale est d’une longueur exponentielle.
Le nez est un peu fatigué (la bouteille était ouverte depuis assez longtemps) mais la bouche est celle d’un très beau vin sans aucun doute.
Pour conclure, un petit bilan sur cette septième expérience de visite approfondie d’un terroir Grand Cru (attention je risque de me répéter…) :
- Une fois de plus, j’ai pu vérifier que la convivialité et la disponibilité des vignerons et des vigneronnes alsaciens ne sont pas une légende. Encore mille mercis à Mélanie pour son accueil.
- J’ ai renforcé ma conviction qu’une bonne compréhension d’un vin passe évidemment par la dégustation mais s’enrichit considérablement si on fait la démarche d’aller sur place, sentir l’énergie des terroirs où il naît et rencontrer les gens qui le conçoivent…je ne boirai plus jamais des Engelberg comme avant !
- Les Pfister voient l’Engelberg comme un terroir capable de produire de très grands vins blancs secs, mais dont les potentialités ne sont pas encore exploitées pleinement. Gageons que la jeunesse et l’énergie de Mélanie sauront mobiliser les vignerons locaux pour qu’ils se remettent à croire en l’avenir de leur Grand Cru.
- la dégustation de riesling et de gewurztraminer d’âges différents nous a permis de comprendre un peu la subtilité de ce terroir : les vins qui y naissent sont élancés mais bien charpentés, l’élégance est une constante et la palette aromatique joue une partition tout en nuances et en complexité avec des notes finement florales comme leitmotiv…
- Mélanie Pfister est une jeune vigneronne dont le discours et les pratiques témoignent déjà d’une très belle maturité. Il faut dire qu’avec la richesse des expériences accumulées lors de son cursus de formation et les conseils avisés de son père, toujours présent à ses côtés, cette demoiselle bénéficie de conditions idéales pour réussir à hisser ses vins au plus haut niveau…
C’est bien évidemment tout le mal que nous lui souhaitons !
Vue sur le bas du Scharrachberg dans la partie ouest
Première publication de cet article : 2010
Commentaires
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- 1. Vanessa Le 16/06/2015
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