Portes Ouvertes au domaine Deiss à Bergheim - 2013
Malgré un agenda vinique extrêmement chargé depuis mon voyage dans les vignobles du sud (j’ai presque une dizaine d’articles en chantier…pfff !), j’ai tout de même choisi de me rendre à la journée « Portes Ouvertes » au domaine Marcel Deiss de Bergheim : un œnophile alsacien ne peut décemment pas décliner une invitation pour découvrir le travail de ces vignerons qui sont installés depuis de longues années au sommet de la hiérarchie du vignoble alsacien.
Hoppla on y retourne !
L’entrée du domaine Marcel Deiss à Bergheim
Dans les différentes salles de l’espace d’accueil du domaine se presse une foule des grands jours, mais grâce à une organisation millimétrée et un programme riche et varié la circulation entre les différents « ateliers » est parfaitement fluide.
Un premier espace de dégustation bien rempli…
La visite de cave se fait sous la direction de Mathieu Deiss, un guide attentionné et pédagogue qui délivre avec beaucoup d’aisance un discours simple, pragmatique, et parfois militant lorsqu’il aborde les conceptions théoriques qui fondent les pratiques viticoles et œnologiques du domaine.
Mathieu Deiss avec son groupe devant l’entrée de la cave.
Une impressionnante collection de charrues pour le travail des sols
Dans leurs 220 parcelles couvrant une superficie totale de 27 hectares, les Deiss mettent en œuvre une viticulture biodynamique en portant une attention particulière au travail des sols. Ces pratiques demandent une présence humaine de chaque instant dans les vignes « nous avons un dizaine d’employés qui se consacrent presque exclusivement à l’entretien des vignes ».
Dans l’espace de réception de vendange se trouvent 3 pressoirs : « lorsque les fruits arrivent, ils doivent être pressés au plus vite, il ne faut pas leur laisser le temps de s’oxyder ». Cette démarche permet d’éviter la protection chimique de la vendange par adjonction de soufre.
L’espace de réception de vendange avec 3 pressoirs.
Dans la cave du domaine Deiss, le bois règne en maître incontesté avec des vieux foudres (entre 50 et 100 ans) magnifiquement entretenus et quelques barriques.
Ces contenants sont utilisés pour effectuer des élevages longs sur lies fines : « cela permet de stabiliser naturellement les vins sans être obligé d’ajouter du SO2 ».
Un « sulfitage de sécurité » très léger est effectué à la mise.
Les superbes voûtes de la cave du domaine Deiss…
…et une partie des vieux foudres.
A côté des cuves de la cave technique on trouve des barriques utilisées pour certaines cuvées (Schoffweg et Mambourg) et pour une partie des pinots gris.
Une fois remonté à la surface, il est grand temps de passer aux travaux pratiques en partant à la découverte des différentes cuvées du domaine : en présentant tous les vins de la gamme actuelle à la dégustation la famille Deiss offre à l’œnophile une occasion unique de se faire une idée concrète et complète de la qualité de leur production. La classe !
Premier « atelier » : les « vins de fruit ».
Pinot d’Alsace 2011 : le nez est précis et pur sur les fruits blancs, la bouche possède un très joli volume avec une matière charnue, assez vineuse et une minéralité surprenante de profondeur en finale.
Muscat 2010 : le nez est élégant et vif avec une palette très florale (sureau, muguet), la bouche est très aérienne avec une finale franche et bien tonique.
Riesling 2011 : le nez discret déploie une aromatique très classique sur les agrumes frais, en bouche la matière est bien concentrée avec un côté très grenu mais l’équilibre est sec, de fins amers donnent un côté très sapide à la finale.
Pinot Gris 2010 : le nez est fin et distingué avec de belles notes florales (acacia), en bouche une structure acide fine mais solide tient une matière assez généreuse pour trouver une belle balance, qui donne un côté frais et léger à la finale.
Avec leurs expressions aromatiques délicates et précises et leurs équilibres élégants et digestes en bouche, ces quatre « vins de fruit », conçus pour laisser libre parole aux cépages, nous donnent une furieuse envie d’aller découvrir la suite de la gamme.
A titre personnel, j’ai été particulièrement marqué par la personnalité du pinot blanc : gourmand mais avec une belle profondeur minérale…premier MIAM !
Les vins rouges du domaine seront la seconde étape de mon voyage gustatif parmi les vins du domaine Deiss :
Rouge de Saint Hippolyte 2009 : le nez possède un fruité charmeur (framboise, cerise burlat), la bouche est souple, avenante et très digeste.
Burlenberg 2008 : le nez s’ouvre sur des notes d’élevage raffiné avant de livrer une palette riche et complexe sur la cerise, le noyau et un fine touche lactée, en bouche l’attaque est bien vive, le milieu très gourmand avec un joli gras précède une finale soutenue par une solide trame tannique.
Burlenberg 2005 : le nez est expressif sur les fruits rouges très mûrs et une fine palette épicée, la bouche très vive à l’attaque développe une matière charnue mais la finale garde un côté un peu austère avec des tanins virulents et une pointe minérale qui s’affirme.
Grâce à la générosité du millésime 2009, le premier rouge de la série donne une version gourmande et fruitée du pinot noir.
Issus d’une complantation de pinot noir et de pinot beurot sur le terroir de calcaire oolithique à entroques du Burlenberg, ces deux vins rouges sont très différents du précédent. Charpentées, profondément marquées par leur base minérale, ces cuvées taillées pour la garde ont encore besoin de quelques années de vieillissement supplémentaires pour s’assouplir...des vins à attendre encore un peu ou à placer à table face à une préparation mitonnée et goûteuse comme un bœuf bourguignon.
Après cette petite parenthèse rouge nous retournons dans le monde des blancs avec la série de « vins de terroir », des cuvées issues de complantations sur des terroirs autour de Bergheim :
Langenberg 2009 : l’olfaction révèle un fruité bien mûr avec des notes d’agrumes confits agrémentées d’une touche finement miellée, la bouche possède un équilibre très gourmand avec une texture bien « glissante » relevée par une forte salinité qui donne un côté très sapide à la finale.
Digeste et facile d’accès cette cuvée provient d’un coteau granitique très pentu sur Saint Hippolyte. Malgré une matière généreuse, la minéralité si particulière aux granits alsaciens commence à se montrer en donnant une belle énergie à l’ensemble…deuxième MIAM !
Engelgarten 2010 : l’olfaction est précise et finement ciselée sur les agrumes frais et les zestes, la bouche est volumineuse avec une rondeur voluptueuse et une présence saline très marquée.
Issu d’une parcelle de graves près du village de Bergheim, ce vin facile, gourmand mais doté d’une grande profondeur possède un charme presque irrésistible. Encore jeune mais déjà très accessible, cet Engelgarten mériterait évidemment qu’on l’attende encore un peu…mais avec sa franchise et sa bonhommie actuelle il ne manquera pas de mettre l’amateur devant un cruel dilemme.
Rotenberg 2008 : le nez est complexe et assez pénétrant sur les fruits jaunes et les fleurs, la bouche est ample et opulente avec une minéralité déjà très affirmée qui se manifeste par un grain finement tannique et une grande sapidité en finale.
Issu d’un coteau calcaire assez riche en fer et exposé au sud, ce cru plein de chair et de minéralité montre une personnalité très abordable mais possède des ressources considérables qui lui permettront de tenir tête à des plats de haute gastronomie
Grasberg 2008 : le nez est discret avec des notes de pomelo et quelques nuances pierreuses déjà bien marquées, en bouche, après une attaque très pointue la matière s’épanouit voluptueusement et déploie une structure ample et sphérique avant de se resserrer en finale avec un retour minéral très profond.
Le Grasberg est un terroir calcaire assez pauvre situé au dessus du Grand Cru Altenberg qui oblige la vigne à plonger ses racines assez profondément dans le sol pour se nourrir. Cette marque minérale s’exprime très ouvertement sur cette cuvée riche mais solidement tendue qui n’est encore qu’au début de son évolution…Grand vin de garde !
Burg 2008 : le nez s’exprime sur un registre proche de celui du Grasberg mais avec une intensité supérieure, en bouche la matière est opulente avec un toucher gras et soyeux, la finale nette et très franche revient sur la belle minéralité ressentie à l’olfaction (notes de terre humide).
Avec sa base de marnes du Keuper, son exposition plein sud et sa situation proche du massif vosgien, le Burg est un terroir qui engendre des vins puissamment minéraux qui ont besoin de temps pour s’épanouir. Ce 2008 encore un peu réservé et mystérieux se goûte avec beaucoup d’agrément aujourd’hui mais on sent qu’il aura encore besoin de 3 à 4 années de garde supplémentaires pour s’exprimer pleinement.
Avant d’attaquer les « très grosses cylindrées » du domaine, je profite de la présence d’un atelier gastronomique pour me recaler un peu mes papilles. Henri Gagneux, le chef très créatif du restaurant La Palette à Wettolsheim, nous a préparé 3 bouchées originales et raffinées pour nous permettre de tester des associations avec 3 crus du domaine Deiss :
Duo 1 : verrine d’huitre et légumes à la grecque avec un Langenberg 2009 :
Grâce à sa grande salinité, le vin tient tête à ce plat aux saveurs maritimes intenses mais la finale avec ses notes iodées exacerbées ne me convient pas trop…mais bon je n’aime pas les huitres !
Duo 2 : sucette aux céréales et aux arachides avec un Schoffweg 2009 :
Face à cette bouchée aux arômes puissants et complexes (viande hachée, cumin, piment d’Espelette, macis…) le vin résiste parfaitement pour composer un accord assez « punchy » mais harmonieux.
Duo 3 : tartelette de tajine d’agneau aux fruits secs avec un Huebuhl 2008 :
Présenté sur une tartelette, l’agneau délicatement parfumé au raz-el-hanout et aux abricots secs compose un accord majeur avec le vin : les deux éléments entrent en résonnance et se grandissent mutuellement…Splendide !
Après cet intermède goûteux et raffiné je retourne dans la salle de dégustation pour découvrir les très grandes cuvées du domaine Deiss :
Grand Cru Altenberg de Bergheim 2008 : le nez est fin et très complexe (fruits mûrs et fleurs), après une attaque assez souple, la matière s’épanouit et gagne en intensité et en volume pour atteindre une grande plénitude, la finale bien longue est marquée par une belle salinité.
Grand Cru Altenberg de Bergheim 2007 : le nez exprime une minéralité puissante et immédiate avec des notes de pierre, de craie et de zestes d’agrumes, la bouche est opulente avec un toucher très gras et une longue finale sur la mandarine et les fruits blancs très mûrs.
Décliné sur deux millésimes très différents, ce Grand Cru emblématique de Bergheim nous montre deux visages bien distincts : encore dominé par le fruit sur 2008 et déjà intensément minéral sur 2007.
Le terroir de prédilection de la famille Deiss avec sa base calcaire et son microclimat très solaire produit des crus généreux et expressifs qui se livrent avec beaucoup de facilité…on oublierait presque que ce sont avant tout de grands vins de garde.
Grand Cru Schoenenbourg 2009 : le nez est intense et ouvert sur les fruits jaunes très mûrs complétées par de petites notes d’herbes aromatiques, la bouche est charnue, concentrée mais sans aucune lourdeur sensible, la finale très longue laisse une impression de très grande profondeur.
Sur ce millésime solaire, le terroir marneux du Schoenenbourg a engendré un vin qui impressionne par son volume et sa structure. Opulent et sensuel ce Grand Cru commence à dévoiler son potentiel mais il va falloir encore attendre quelques années avant qu’il se livre pleinement. Très grande bouteille !
Grand Cru Mambourg 2009 : le nez est peu expansif avec un registre grillé et délicatement fruité où on devine aussi une petite touche de miel et d’herbes aromatiques, la bouche est dense et très tonique mais c’est la finale qui interpelle avec sa trame tannique longue et puissante.
Cette cuvée issue d’une parcelle plantée en haute densité (12700 pieds/ha) et conduite en vigne basse, sur le Grand Cru de Sigolsheim, dénote vraiment dans la gamme de crus que je viens de déguster. Avec sa matière concentrée, tendue et dotée d’une trame tannique vraiment impressionnante, ce vin exprime une minéralité profonde et virile…très loin de celle des autres Mambourg que j’ai eu l’occasion de déguster jusqu’ici.
Jean-Michel Deiss qui explique ses vins…un discours d’artisan, d’artiste et de scientifique qui éclaire parfaitement sa conception du vin d’Alsace.
Pour conclure :
- J’avoue, je suis toujours très enthousiaste, lorsqu’un grand domaine alsacien ouvre ses portes pour inviter les amateurs de vin à découvrir son travail et sa production.
A cette occasion, la famille Deiss et leurs collaborateurs n’ont vraiment pas économisé leurs efforts pour nous proposer une visite où se sont succédés des instants de gourmandise pure et des temps de formation durant lesquels ces vignerons militants nous ont fait partager leur conception du vin et leur amour des terroirs alsaciens.
- Au niveau de la viticulture, la mise en œuvre de pratiques exigeantes et respectueuses de l’environnement et une présence humaine quasi permanente dans les vignes permettent une récolte de fruits de très grande qualité qui portent en eux l’empreinte minérale de leur terroir d’origine.
A la cave, on entre dans un univers où règnent tradition, précision et simplicité : comme l’affirme Mathieu Deiss « avec des raisins de qualité irréprochable, le travail en cave est facile ».
- En ce qui concerne les vins, j’ai été frappé par l’énergie et la générosité qui se dégageait des différentes cuvées de leur gamme : la puissance, la densité et l’intensité de l’empreinte minérale qui constituent un véritable « leitmotiv » sur leurs crus « classés » se retrouvent même dans leurs vins génériques…goûtez leur « petit » pinot blanc pour vous en convaincre !
S’il fallait isoler quelques bouteilles marquantes de cette longue série je choisirais le Langenberg 2009 et l’Engelgarten 2010 pour leur force et leur salinité et le Schoenenbourg 2009 pour son expression à la fois jubilatoire et distinguée.
- Défenseur infatigable terroirs alsaciens Jean-Michel Deiss ne rechigne jamais à expliquer sa façon de concevoir son métier de vigneron : sa faconde et son immense culture en font un interlocuteur indispensable pour essayer de comprendre ce que doit être un grand vin d’Alsace.
Son fils Mathieu, que je rencontrai pour la première fois, m’a impressionné par la sagesse et la maturité qui émanait de son discours : voilà un jeune vigneron franc, direct et décidé qui n’aura aucun mal à perpétuer la tradition d’excellence du domaine Deiss.
- Mille mercis à tous ceux qui ont œuvré pour que cette journée soit une belle réussite.
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