Vins et musique klezmer au domaine Lissner - La vérité est amère

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Le sacré cœur du Horn veille toujours sur les vignes de l’Altenberg de Wolxheim.

Inaugurée l’année passée par une très belle soirée jazz, la série de rencontres thématiques autour du vin et de la musique imaginée par la famille Schloegel avec un nouvel évènement musico-vinique organisé dans le grand caveau du domaine Lissner…mais cette fois ci le thème semble un peu plus complexe puisque Bruno et Théo ont choisi de nous faire ressentir et apprécier l’amertume dans les vins.

Pour assurer l’ambiance musicale, les vignerons ont invité le groupe « Klezmhear », un quintet de virtuoses spécialisé dans le répertoire klezmer…comme son nom le laissait deviner !
Bon, je ne suis pas un grand fan des amers dans mon alimentation…mais avec un programme musical qui va surement me faire voyager et un duo Schloegel toujours prêt à se mettre en quatre pour nous faire vivre de beaux moments de culture et de convivialité, je sais d’ores et déjà que je vais passer une très bonne soirée.
Hoppla c’est parti pour « goûter la musique et écouter les vins » !

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Le vignoble de Wolxheim en mars...

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...avec une vue sur la cathédrale de Strasbourg...

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....et sur la maison Lissner/Schloegel.

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Toujours aussi esthétique et lumineux, l’espace de dégustation du domaine Lissner...

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...prêt pour accueillir les convives.


Avant le concert, nous sommes invités à déguster deux préparations culinaires apéritives accompagnées par quelques vins du domaine.

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Les petites gourmandises apéritives…

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…et les trois cuvées sélectionnées pour les accompagner.

Les deux assiettes sont accompagnées par 3 vins :

Sylvaner Horn 2016 : nez vif et bien ouvert, notes de bourgeon de cassis, d’écorce et de résine, matière ample, structure large tenue par une belle salinité et une légère présence tannique, finale épanouie qui développe un sillage aromatique complexe sur le citron frais, le poivre blanc et quelques touches de fruits exotiques.
Ce sylvaner élevé en demi-muids nous offre une interprétation tout à fait inhabituelle de ce cépage et nous récite son terroir avec beaucoup d’emphase : la matière est dense, la présence minérale intense et l’expression aromatique d’une incroyable complexité. MIAM !

Pinot Gris 2016 : olfaction qui s’ouvre sur des notes fermentaires (levure de bière, pâte à pain fraîche) avant de développer une palette aromatique plus raffinée sur les fruits secs et les fleurs blanches, matière svelte et bien déliée en bouche, finale sapide.
Voilà un pinot gris que j’ai déjà goûté à 3 reprises ces derniers temps et qui ne m’a jamais laissé la même impression : fruité, gourmand et légèrement perlant la première fois, serré, dense et marqué par une forte amertume la deuxième fois (au club AOC), ce pinot gris s’est montré plus accessible ce soir avec une matière juteuse plutôt légère et un équilibre très souple…ce vin serait-il un peu versatile ou cherche-t-il encore son identité ?

Pinot Noir 2016 : nez marqué par une réduction intense et tenace, fruité discret mais prometteur qui se montre après une longue oxygénation, jus riche et très gourmand, toucher caressant, finale bien glissante.
Né sur un terroir de loess, ce pinot noir a mis beaucoup de temps à s’ouvrir mais sa présence en bouche pleine de fruit et d’énergie est tout à fait convaincante…voilà un vin qui aurait eu besoin d’un passage en carafe pour révéler tout son talent.

Petit bonus :
Pinot Noir 2017 en cours d’élevage et tiré sur fût : nez mûr et expressif, notes de fruits noirs (quetsch, myrtille) sur un fond de cacao amer, matière épaisse et solidement tramée en bouche, texture soyeuse, finale longue et tonique.
Provenant d’une vieille vigne sur un terroir de loess située près du village de Wolxheim, ces pinots noirs récoltés en surmaturité ont permis aux Schloegel d’élaborer cette cuvée charnue et profonde (et vinifié « nature ») qui semble bien partie pour devenir une très grande bouteille. MIAM !


Pour la suite de la soirée nous entrons vraiment dans le vif du sujet avec la dégustation thématique de 9 vins accompagnée par des morceaux choisis interprétés par le quintet « Klezmhear ».

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Bruno Schloegel présente le thème de la soirée aux convives…

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…et le groupe Klezmhear accompagne une première série de vins…

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…avec le leader-clarinettiste Benjamin Mayer qui nous fait voyager par ses vertigineuses envolées musicales.


Premier thème : 3 vins pour sentir l’intensité de l’amertume :

Muscat Grand Cru Altenberg de Wolxheim 2015 : nez intense et évolutif, notes de zestes d’agrumes, de kumquat et d’herbes aromatiques sur un fond délicatement épicé, matière assez volumineuse qui enrobe une acidité discrète, structure tenue par les amers et la salinité.
Pinot Gris 2015 : nez très discret, notes de céréales avec une fine touche florale, jus riche et structure ample, acidité large et salinité puissante, amertume très fondue.
Riesling Wolxheim 2009 : nez ouvert et loquace, nuances balsamiques raffinées complétées par des notes épicées et vanillées, matière dense, équilibre très sec, finale vive et citronnée, amers persistants mais un peu rugueux.

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La vigne de muscat que Bruno Schloegel a plantée en haute densité sur le Grand Cru commence à laisser parler son terroir : le jus est concentré et la trame minérale se révèle avec beaucoup de force…c’est vraiment de l’Altenberg interprété par le muscat !
Le pinot gris semble un peu plus lisse et plus rond avec son maillage minéral qui structure solidement sa matière généreuse.
Né sur un terroir très calcaire, le riesling « Wolxheim » présente l’équilibre le plus austère de la série : ses amers caractéristiques des millésimes solaires qui font souffrir la vigne et obligent les grains à se protéger par une peau plus épaisse, sont mis en relief par une arête acide assez saillante.


Deuxième thème : 3 vins pour sentir la temporalité de l’amertume :

Gewurztraminer Grand Cru Altenberg de Wolxheim 2016 : nez intense et tonique, notes d’agrumes frais sur un fond crayeux, attaque souple et suave, jus dense qui s’affirme progressivement, finale sapide avec un sillage zesté relevé par de beaux amers minéraux.
Gewurztraminer Grand Cru Altenberg de Wolxheim 2015 : olfaction étrange - voire « suspecte » – avec des notes lactées et levurées assez disgracieuses, bouche plus avenante, matière riche, expression douce sur le miel et la poire au sirop, belle salinité mais finale marquée par un retour des nuances aromatiques bizarroïdes.
Gewurztraminer Grand Cru Altenberg de Wolxheim V.T. 2011 : nez classique, mûr et bien en place, palette fruitée et épicée, matière suave, équilibre moelleux, finale désaltérante rafraîchie par des amers nobles.

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Ces trois gewurztraminers sélectionnés pour nous faire ressentir les effets du temps sur l’amertume ont révélé des profils tellement différents qu’il m’a été très difficile (pour ne pas dire impossible) de faire des comparaisons.
J’ai beaucoup aimé le 2016, certes un peu atypique sur le plan aromatique mais avec une belle profondeur et un potentiel gastronomique remarquable.
Le 2015 n’était visiblement pas dans de très bonnes dispositions et a déstabilisé bien des dégustateurs par son expression peu engageante qui a failli nous faire oublier d’apprécier sa matière pleine et équilibrée.
Plus classique dans son aromatique et dans sa structure le 2011 est une V.T. séduisante et digeste avec des amers minéraux de grande qualité. MIAM !


Troisième thème : 3 vins pour découvrir de nouvelles sensations :

Pinot Noir Barriques 2015 : nez qui s’ouvre sur des notes de résine, d’écorce et de cacao amer avant de délivre de beaux arômes de cerise confite et d’épices (poivre noir, genièvre), matière puissante tenue par une trame tannique serrée mais bien mature, finale fraîche et digeste avec un sillage très « forestier » (écorce broyée, résine).
Gewurztraminer Grand Cru Altenberg de Wolxheim 2014 : nez un peu étrange avec des notes d’herbe séchée et de fruits sec torréfiés, matière riche et dense, acidité large, finale salivante avec des amers intenses rehaussés par une belle salinité.
Pinot Gris « J » 2012 : expression aromatique intense et presque exclusivement dédiée à la réglisse (les rouleaux de mon enfance) avec quelques nuances de tabac blond et de muscade, matière ample, équilibre sec mais sensation de rondeur en bouche, développement aromatique sur les fruits secs, amers doux et sillage réglissé/épicé en finale.

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La triplette finale nous présente les Schoelgel dans leur exercice favori : surprendre le dégustateur.
La cuvée de pinot noir est probablement la moins originale des 3 même si elle peut étonner par la nature de sa palette aromatique. En tous cas, ce vin m’a marqué par sa présence harmonieuse en bouche avec une matière mûre et consistante tenue par une structure ferme mais très élégante.
Le gewurztraminer est nettement plus déroutant avec ses arômes de fruits secs grillés/torréfiés et son maillage minéral d’une force incroyable...comme pour le muscat dégusté dans la première triplette, c’est la voix de l’Altenberg qui couvre largement celle du cépage.
Avec son arôme entêtant de rouleau de réglisse (celui avec le bonbon coloré au centre) cette cuvée « J » a réveillé un joli souvenir sucré de mon enfance avant de m’impressionner par la force de sa présence saline.
Elevé durant 2 ans sous voile, ce pinot gris V.T. a un peu divisé les dégustateurs autour de notre table…mais moi j’ai beaucoup apprécié. MIAM !


Pour conclure :

Les Schloegel sont des vignerons passionnés qui défendent leurs convictions avec une constance et une cohérence qui forcent le respect. Ils mettent en œuvre des pratiques viticoles et œnologiques les plus naturelles possibles pour laisser à chaque terroir la liberté de s’exprimer avec une parfaite authenticité.
Jamais à court d’idées novatrices et toujours prêts à se lancer dans de nouvelles expériences, ils ont pris la bonne habitude d’organiser ces rencontres musico-viniques pour partager des instants de culture et de convivialité sur des thèmes qui leur tiennent à cœur.
Ce soir, ces vignerons ont tenté de redonner leur place à l’amertume dans le vin, une saveur un peu oubliée dans notre alimentation moderne et qu’on ne sait plus vraiment apprécier : grâce à une belle sélection de bouteilles nous avons pu nous rendre compte que dans des vins travaillés de façon naturelle les amers s’exprimaient de façon plurielle pour enrichir et complexifier leurs structures et leurs goûts.
Le choix de la musique klezmer pour nous mettre dans une ambiance propice ne devait rien au hasard puisque comme l’écrit Bruno Schloegel c’est « une musique entre mélancolie optimiste et soif du lendemain » qui illustre « la diversité et la persistance des amers de la vie ».

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Bruno Schloegel et le groupe « Klezmhear » à la fin du concert

Lorsque je débouche une bouteille signée Lissner, je suis sûr d’une chose, c’est que je vais être surpris…et les vins servis ce soir n’ont pas dérogé à cette règle : je n’aime pas toujours, je suis souvent déstabilisé mais je ne peux que m’incliner devant le travail de ces vignerons qui suivent leurs idées sans céder aux pressions des instances officielles et leurs mesures normatives…Chapeau bas !!!
Parmi les 12 cuvées dégustées ce soir, je retiendrai en premier lieu le sylvaner 2016, un vin profond et minéral qui sublime littéralement ce cépage.
J’ai également été séduit par le muscat Grand Cru 2015, un vin que j’apprécie généralement pour son fruité et que j’ai découvert ce soir en tant que révélateur de terroir.
Pour terminer je voudrais également évoquer la cuvée de pinot gris 2012, un vin complètement atypique – limite provocateur – mais dont l’aromatique a su parler à mon âme d’enfant…un doux moment de nostalgie que j’ai savouré avec bonheur.

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Merci à Bruno et à Théo pour cette belle soirée !

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