PERIPLE SUDISTE 2013
C’est toujours avec le même plaisir que je m’engage dans la troisième édition de mon périple annuel dans les vignobles du sud car, en plus du retour prochain de l’été et des beaux jours, il annonce toujours des rencontres humaines enrichissantes et de belles découvertes viniques.
Le programme 2013 est particulièrement dense puisque, en 5 journées je vais me promener tour à tour près de la colline de l’Hermitage, dans le Roussillon, dans le Languedoc, en Provence et en Ardèche…qui m’aime me suive !
Journée « studieuse » au pied du Canigou
Domaine Gauby à Calce
Après une première journée mémorable au printemps 2012, j’attendais avec impatience cette nouvelle rencontre avec maître Jaffuel, organisateur passionné et méticuleux d’escapades œnophiles dans les vignobles de sa région qu’il arpente régulièrement pour y dénicher les terroirs remarquables et les grands vignerons qui les servent.
Pour aujourd’hui il a décidé de mettre le cap au sud en direction du Roussillon, un vignoble que je n’ai plus visité depuis près de 15 ans mais dont j’ai gardé en mémoire le souvenir ébloui de sites grandioses et de vins denses et chaleureux.
Yves Cortey, DCien (yvesc) et professeur d’E.P.S. (décidemment !) a été invité par Dany pour nous accompagner dans notre petite excursion…j’ai comme l’impression qu’on va parler un peu de vin aujourd’hui. C’est reparti pour un jour !
Paysage typique du Roussillon avec le village de Latour de France à l’arrière plan et les châteaux Cathares sur les crêtes montagneuses au loin.
A 10 heures tapantes nous arrivons à Calce où Lionel Gauby nous attend pour nous faire découvrir ce domaine viticole emblématique de la Catalogne française.
Arrivée au domaine Gauby et vue sur les neiges du Canigou
Le petit « royaume » des Gauby comprend une centaine d’hectares de terres avec près de 200 parcelles de vignes (environ 40 hectares) entre garrigue et bosquets.
Vignes, garrigue et bosquets…une alternance de biotopes recherchée et patiemment entretenue par la famille Gauby.
Lionel Gauby nous fait faire un tour très complet de cette grande propriété très vallonnée, en profitant de quelques haltes pour nous montrer des points de vue remarquables sur le paysage tout en nous expliquant avec beaucoup de simplicité et de conviction sa façon de concevoir son travail de vigneron.
Lionel Gauby avec son auditoire particulièrement attentif sur une parcelle de carignans plus que centenaires (115 ans).
Le domaine est en viticulture biologique depuis 1996 et en bio-dynamie depuis le début de ce siècle. Les rangs sont enherbés avec des plantes légumineuses semées (vesse, moutarde, luzerne…) : « avec les herbes dures, la concurrence est trop forte pour la vigne, de plus, l’enracinement profond de certaines plantes comme la moutarde apporte de la vie dans le sol sur une très grande profondeur ».
Une touffe de thym d’une taille respectable témoigne de l’intensité de l’énergie qui se dégage des sols dans cet environnement très « vivant ».
Sur ces terroirs très complexes avec des sols pauvres et arides à base marno-calcaire, le rendement constitue le problème principal de chaque millésime : la barrière des 20 hl/ha est souvent difficile à dépasser dans ce vignoble escarpé « un vrai challenge pour chaque nouveau millésime ».
Une parcelle de carignans…et toujours le Canigou à l’arrière plan.
Dans ces conditions culturales difficiles, le tapis végétal a un rôle complexe dans l’équilibre de chaque parcelle : protéger le sol du soleil et de l’érosion excessive, apporter de la vie organique tout en évitant de trop stresser la vigne. Pour répondre à ces exigences, l’herbe n’est pas fauchée mais couchée à l’aide d’un rouleau (type Rolofaca) « les végétaux couchés ne pompent plus l’eau du sol et forment une couche protectrice pour éviter le dessèchement du sol ».
Vue de plus près, une parcelle avec un inter-cep labouré et de l’herbe ente les rangs
Après cette longue promenade dans ces paysages majestueux autour du village de Calce, nous retournons en direction de la maison Gauby pour poursuivre notre parcours initiatique en découvrant comment ce travail exigeant à la vigne se prolonge en cave…deuxième acte de l’élaboration des grands vins du domaine.
Pratiques et dotées d’une grande inertie thermique les cuves béton sont largement utilisées au domaine Gauby.
Pour les élevages c’est le bois qui est privilégié avec des barriques et des foudres…au premier plan, de surprenantes cuves pyramidales dont les dimensions ont été calculées sur la base du nombre d’or.
Pour illustrer ses propos sur sa conception du vin, Lionel Gauby nous convie à une série de travaux pratiques, verre en main. Nous débutons la dégustation par deux premières cuvées de blanc 2012, qui arrivent au terme de leur phase d’élevage :
Les Calcinaires – VDP des Côtes Catalanes blanc 2012 : le nez est fin avec des notes de menthe verte et d’agrumes mûrs, la bouche est tonique et gourmande avec une finale très saline.
Prélevé sur cuve, ce blanc issu de muscat, macabeu et chardonnay nous donne un premier aperçu sur le style des vins du domaine : équilibrés, complexes et profondément minéraux.
Une ligne directrice que je retrouverai avec grand plaisir dans la majeure partie des cuvées dégustées par la suite. MIAM !
Vieilles Vignes – VDP des Côtes Catalanes blanc 2012 : le nez est plus discret et marqué par des notes d’élevage et de CO2, la bouche est puissante et très concentrée avec une finale dense et riche qui laisse une sensation finement tannique avec quelques amers très nobles.
Issu d’un assemblage de macabeu, grenache blanc et gris, carignan blanc et chardonnay encore en cours d’élevage (65% en barriques), ce vin montre un côté un peu brouillé au plan de l’aromatique mais révèle une tenue de très grande classe en bouche.
Nous enchainons avec les 3 cuvées rouges les plus célèbres du domaine :
Les Calcinaires – Côtes du Roussillon Villages rouge 2012 : le nez est discret avec une palette fruitée très fraîche (pêche de vigne, bigarreau), en bouche le fruit reste très pur sur une matière concentrée et grenue avec des tanins très fins mais bien présents.
Assemblage de 4 cépages emblématiques de la région (grenache, carignan, syrah, mourvèdre) récoltés sur des parcelles argilo-calcaires et schisteuses cette cuvée est encore en cours d’élevage (12 mois, cuve et barriques pour 25%) mais séduit déjà par sa belle complexité aromatique et sa matière charnue et gourmande.
Vieilles Vignes – Côtes du Roussillon Villages rouge 2011 : le nez est fin et complexe avec des notes de fruits rouges et une minéralité déjà bien marquée, la bouche dense et charnue délivre de beaux arômes de groseille, la finale est très sapide avec un sillage aromatique floral fin et délicat.
Cet assemblage de grenache, syrah et carignan récoltés sur des terroirs calcaires et schisteux est encore en cours d’élevage (24 mois en barriques – sans SO2) mais révèle déjà une aromatique très complète et une matière concentrée équilibrée par une belle présence minérale.
Muntada – Côtes du Roussillon Villages rouge 2011 : le nez est joliment expressif avec des notes très racées d’orange sanguine et d’eucalyptus, la bouche est ample, sphérique avec un grain tannique caressant et un équilibre impeccable, la finale est précise, salivante et très longuement aromatique (orange et épices douces)
Issu d’un assemblage de grenache, carignan et syrah récoltés sur des terroirs marno-calcaires cette cuvée dégustée en cours d’élevage (30 mois en foudres et barriques) marque les esprits par la perfection de son équilibre et la puissance de son énergie vitale…Claque magistrale !
Après cette première série de vins assemblés, Lionel Gauby nous emmène en promenade dans sa cave pour prélever des jus en cours d’élevage : cuvées monocépages ou assemblages prévisionnels de vins 2012 :
Grenache La Roque 2012 : le nez est pur et délicat sur les petits fruits rouges avec une touche d’agrumes, la bouche est élégante avec une trame tannique fine mais bien présente et un finale longue et sapide.
Le jus issu d’une parcelle de vieilles vignes de grenaches (80 ans) sur un sol de calcaires et de schistes s’affine encore dans un foudre. Il manifeste dès aujourd’hui sa forte personnalité mais aura encore besoin d’un peu de temps pour révéler sa nature gourmande.
Grenache 2012 : le nez est très discret mais en bouche la chair est généreuse et la structure bien vigoureuse avec une trame tannique dense et soyeuse.
Vineuse et robuste cette cuvée 100% grenache entrera probablement dans l’assemblage définitif de la Muntada…à voir !
La Muntada – assemblage provisoire 2012 : le nez est déjà bien expressif avec une palette très complexe où on reconnaît des arômes d’agrumes, des notes végétales nobles et une petite touche minérale, la bouche se pose avec élégance et puissance, la finale est très longue avec du fruit et une minéralité qui s’affirme.
Superbe en l’état et déjà particulièrement facile à approcher cette Muntada naissante est pleine de belles promesses. Voilà du provisoire qui va peut être devenir définitif, malgré la qualité de la cuvée précédente prévue pour compléter l’assemblage. Dilemme !
Vieilles Vignes rouge 2012 : l’aromatique est bine mûre sur les fruits noirs et les herbes de garrigue, en bouche la matière est riche, concentrée avec de beaux tannins et une finale longue mais encore un peu chaude.
Cette cuvée dégage une grande énergie, peut-être encore un peu sauvage, mais il lui reste encore plus d’un an de séjour en barrique pour se fondre, lisser son grain tannique et trouver son harmonie. Patience !
Coume Gineste rouge 2012 : le nez est ouvert et d’une étonnante complexité, on se régale avec des arômes de menthe fraîche, de pêche de vigne et de fleurs, en bouche la chair est opulente mais la silhouette reste élégante, la finale sapide et salivante laisse un sillage aromatique fin et persistant.
Si jeune et déjà si grand…quel vin !
Les schistes de ce vallon magique de Coume Gineste ont produit une cuvée qui n’a pas besoin de beaucoup de temps pour manifester sa classe exceptionnelle. Il ne me reste plus qu’à espérer pouvoir déguster un jour ce vin lorsque son élevage sera arrivé à son terme…petit appel du pied très intéressé !!!
L’entrée du vallon de Coume Gineste avec une parcelle de grenaches devant une parcelle de carignans
Coume Gineste blanc 2012 : après des notes de réduction fugaces, le nez délivre des arômes très purs d’eau de roche et de fleurs, la bouche est ample, sphérique avec une puissance minérale hors norme et un finale d’une longueur étonnante.
Cette cuvée issue d’un assemblage de grenaches gris et blancs (50/50) sur un terroir à dominante schisteuse est encore en cours d’élevage en barriques (neuves à 50%), mais comme son homonyme rouge, elle dévoile largement sa classe et son potentiel. Déjà superbe…et surement bien plus dans quelques années !
Coume Gineste blanc 2011 : le nez est ouvert avec un fruité bien mûr soutenu par des notes de craie humide et de pierre chaude, la bouche est riche mais très bien équilibrée, la finale signe le grand vin par sa présence saline et finement tannique, ses amers nobles et son sillage minéral persistant.
Avec un an de plus cette cuvée a gagné en raffinement et en complexité tout en développant un registre minéral de très belle facture. MIAM !
Une parcelle de grenaches gris
Muscat 2012 : le nez est intense et charmeur avec une palette exotique, finement épicée et agrémentée de notes de menthe verte et d’eucalyptus, la bouche présente un équilibre sec qui étonne un peu mais la matière est ample et la finale saline et tannique porte la marque d’un très beau terroir.
Cet assemblage de muscats d’Alexandrie et de muscat à petits grains m’a beaucoup surpris : en tant qu’alsaco « muscatophile », j’ai assez facilement identifié la marque aromatique de ce cépage mais la bouche que j’attendais plus moelleuse m’a bien étonné. Le cépage chuchote son identité mais une fois en bouche il n’y a plus de doute, c’est vraiment le terroir qui donne de la voix.
Carignan 2012 : le nez est discret et complexe mais en bouche la matière très gourmande avec une trame tannique toute en soie donne une sensation de sphéricité parfaite, la finale s’étire longuement toujours aussi complexe et racée.
Comme le grenache 2012, cette cuvée mono cépage est censée entrer dans l’assemblage définitif de la Muntada…encore un dilemme qui s’impose à ces vignerons : certes l’assemblage provisoire dégusté auparavant est splendide mais cette petite bombe « carignanesque » qu’on vient de goûter lui donnera surement encore une dimension supplémentaire…mais ce n’est que mon avis !
Un vieux pied de carignan
Après 3 heures passées en compagnie de Lionel Gauby sur les sentiers escarpés de sa terre catalane et dans le silence de cette cave où se conçoivent quelques unes des plus belles cuvées de la région, je suis comblé !
En effet, en tant que « dégustateur de vignerons » pleinement assumé, j’avoue m’être délecté de cette rencontre : ce jeune vigneron qui connaît son « pays » jusque dans ses moindres recoins pour l’avoir arpenté en long et en large depuis son enfance, nous a donné une belle leçon de vie en harmonie avec son environnement.
Ses convictions ne sont pas que déclaratives mais elles s’appliquent à chaque étape de son travail de vigneron et motivent sa recherche vers toujours plus de proximité et de dialogue avec la nature.
Devant les parcelles de vignes, un champ de fleurs printanières.
Quand on déguste les vins du domaine Gauby on est étonné par la qualité de leur équilibre : les cuvées blanches ajustent leur balance autour de structures acides et salines très solides qui soutiennent avec beaucoup d’élégance des matières souvent généreuses. Pour les rouges, la concentration, les trames tanniques denses mais fines et les acidités bien tendues sont des constantes dont la présence garantit une belle harmonie, parfois déjà bien dessinée dès leur plus jeune âge.
Ceci dit, il ne faut jamais oublier que les vins de ce domaine sont conçus pour la garde : comme beaucoup de crus d’exception, l’expression de la complexité et de la finesse de ces vins demande quelques années de patience…les 2 Vieilles Vignes de 1990 dégustées lors du repas de midi nous en apporteront une preuve magistrale.
Avec ses deux pieds profondément enracinés dans la terre qui l’a vu naître, Lionel Gauby travaille ses vignes en biodynamie et privilégie les pratiques les plus naturelles possibles à la cave : vendanges entières (pour les rouges), levures indigènes, pas d’intrants chimiques, pas de collage, pas de filtration et de moins en moins de soufre…
Accord parfait majeur entre théorie et pratique, je pose mon verre et j'applaudis des deux mains en disant bravo et en remerciant tous ceux qui ont rendu possible ce beau moment !
Le domaine Gauby…petit paradis dans la vallée de la Muntada
Ajouter un commentaire