Le chenin selon Eric Morgat et Claude Papin

Mon emploi du temps de cet automne ne m’ayant pas permis d’assister aux ultimes séances de 2016 de l’U.G.V., j’ai été ravi de pouvoir reprendre le chemin des écoliers du vin dès le mois de janvier 2017 pour parler « chenin » avec deux grands vignerons du pays de Loire.
Dès ma première gorgée de Coteaux du Layon – un Château de Fesles 1978 je crois – les vins blancs ligériens ont suscité mon intérêt si bien que l’une de mes premières sorties dans des vignobles hors Alsace s’est déroulée en terre angevine…mais c’était il y a bien longtemps !
Autant dire que lorsque cette dégustation en compagnie d’Eric Morgat et de Claude Papin nous a été proposée, j’ai immédiatement pris les mesures nécessaires pour pouvoir y participer.
Hoppla c’est parti !

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Préparation de la salle des Tisserands sous l’œil de Jean-Michel Deiss…

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…débouchage et contrôle qualité dirigé par Pierre Gassmann.

Eminents spécialistes du cépage chenin grands défenseurs des terroirs angevins les deux conférenciers de ce soir vont nous inviter à une promenade gourmande sur les bords de la Loire et du Layon.

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Début de conférence sur la scène de la salle des Tisserands

Vigneron emblématique des Coteaux du Layon, Claude Papin est à la tête d’un grand domaine de 55 hectares, le Château Pierre Bise.

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Eric Morgat exploite 6 hectares de chenin sur des parcelles qu’il a défrichées et réhabilitées il y a 25 ans et sur lesquelles il produit 2 cuvées de vins blancs secs.

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Avant de servir le premier vin Claude Papin nous propose une brève présentation de ce vignoble particulier qui s’étend sur 400 km le long de la Loire avec des climats très différents qui vont de l’océanique (Muscadet) au continental (Sancerre) et des terroirs multiples.
Situé dans une zone mixte entre influence océanique et influence continentale le vignoble angevin offre au chenin des conditions particulièrement favorables pour générer de grands vins « mais c’est un vignoble plein de paradoxes : les sols sont violents mais le climat est très doux, l’ensoleillement y est modéré mais la luminosité y est intense ».

Avant le service du premier vin Eric Morgat et Claude Papin se relaient pour nous présenter le cépage star de la soirée…morceaux choisis :
« Le chenin n’est pas un raisin aromatique et comme on ne peut pas faire des vins de fruit avec ce cépage, l’expression du terroir est la seule option possible ».
« Le chenin est un cépage très plastique…on peut le vinifier en sec, en moelleux, en liquoreux ou en effervescent ».
« Le chenin est un exigeant, caractériel, fragile et peu productif » :
c’est d’ailleurs pour cette raison qu’il a été abandonné progressivement dans les années 50 au profit de cépages moins difficiles à travailler et il a fallu des vignerons de conviction comme Patrick Baudoin et nos deux conférenciers pour redonner au chenin la place qui lui revient dans ce vignoble : « c’était un retour naturel aux origines et au terroir ».

Bon, il est temps de commencer les travaux pratiques et vérifier si nos deux vignerons n’ont pas exagéré lorsqu’ils ont vanté les multiples talents de ce cépage :

AOC Anjou Litus 2014 – Eric Morgat à Savennières : robe limpide et claire, olfaction qui révèle une très belle palette florale soutenue par un boisé délicat, bouche lumineuse avec une énergie vitale incroyable, matière fuselée tenue par une acidité bien tendue et une fine trame tannique, finale longue et sapide avec de beaux amers minéraux.
(terroir volcanique : spilite)

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Vinifié « à la bourguignonne » et élevé sans SO2 sur lies totales durant un an puis mis en masse en cuve durant 7 mois, ce vin respire la classe et le travail bien fait. Accessible, franc et structuré par une présence minérale qui de grande noblesse le premier chenin proposé par Eric Morgat m’a déjà conquis…vite la suite !

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Litus 2014


AOC Anjou Les Hauts de la Garde 2014 – Chateau Pierre Bize à Beaulieu sur Layon : robe jaune clair, nez charmeur et plus mûr que celui du vin précédent, notes de fleurs (acacia) et fines touches miellées, bouche ample et gourmande, acidité bien fondue dans le gras d’une matière assez dense, petit grip tannique bien sensible et amers nobles en finale.
(terroir : schiste et grès de l’ordovicien sur une base de rhyolite)

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Ce très beau vin que je goûte assez régulièrement (au Salon des Caves Particulières de Strasbourg) nous invite à découvrir une interprétation plus brute de la minéralité des terroirs ligériens : élevé durant un an en foudres la cuvée Haut de la Garde montre une vraie générosité et une structure minérale bien en place.


AOC Anjou Effusion 2015 – Patrick Baudoin à Chaudefonds sur Layon : robe très claire et lumineuse, expression aromatique mûre et intense, notes exotiques à l’attaque puis évolution vers une palette moins explosive sur le fruits blancs frais et la prune, matière large et assez concentrée, acidité mature et bien en place, présence saline naissante et tension affirmée en finale.
(assemblage de plusieurs parcelles : terroir volcanique et terroir de grès sur schiste)

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AOC Anjou Les Gâts 2012 – Patrick Baudoin à Chaudefonds sur Layon : robe jaune clair, nez plus mûr avec une palette très suave, notes de coing frais et de fleurs, matière puissante avec du gras et une salinité intense, finale minérale et légèrement tannique, longue persistance aromatique sur les fruits blancs frais et les épices.
(terroir de schistes)).

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Ces deux vins réalisés par un autre défenseur émérite du chenin nous montrent à quel point ce cépage peut exprimer les nuances minérales de chaque terroir.
« Effusion » 2015 est marqué par la richesse liée au millésime mais sa minéralité naissante commence à répondre à l’intensité du jus. Je pense que la personnalité très virevoltante de ce vin aura besoin d’un peu de temps pour se poser mais le potentiel est là.
Né sur une parcelle de très vieilles vignes (vignes de 1947), « Les Gats » 2012 dégage une très belle sensation de sérénité avec une expression complexe et une base minérale très racée. Grand vin !


AOC Savennières Fidès 2014 – Eric Morgat à Savennières : nez très discret avec un fruité délicat et des nuances minérales délicates déjà bien affirmées(pierre chaude, silex), attaque douce en bouche suivie par une longue montée en puissance, matière dense, salinité marquée et amers nobles en finale.
(terroir de schistes).

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Réalisé à partir d’un assemblage de chenins récoltés sur 4 parcelles conduites en viticulture bio et où les rendements sont très faibles (20 à 30 hl/ha), Fidès est un vin très sérieux avec une ligne ésthétique un peu monacale mais qui ne manque pas d’élégance.
Voilà une expression très pure des schistes de Savennières...la classe!


AOC Savennières Les Vieux Clos 2014 – Nicolas Joly à Savennières : expression olfactive très ouverte sur pomme mûre et frangipane, matière dense avec un léger perlant qui se fond progressivement, présence minérale intense en bouche avec des arômes pierreux et une belle mâche tannique, longue finale, amers minéraux
(terroir de schistes, quartz et sable)

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Cette cuvée d’entrée de gamme du domaine Joly a été réalisée à partir de chenins vendangés très mûrs nés sur une jeune vigne (20 ans) située sur un coteau de Savennières exposé au levant.
C’est un vin concentré et minéral qui évolue constamment dans le verre et qui au final se révèle un peu difficile à comprendre…je suis perplexe !!!


AOC Savennières La Roche aux Moines 2014 – Chateau Pierre Bize à Beaulieu sur Layon : nez discret, palette raffinée sur les fruits blancs frais et la pierre chaude, matière ample, acidité vive et large, mâche tannique très agréable, finale longue avec des amers minéraux qui stimulent la salivation.
(terroir de schistes, spilite et grès sur une base de rhyolite).

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La Roche aux Moines est un plateau volcanique sur lequel Claude Papin réalise une cuvée de savennières absolument splendide : c’est un vin plein et profondément minéral conçu pour une longue garde mais qu’on déguste déjà avec un vrai plaisir aujourd’hui. MIAM !


AOC Savennières-Coulée de Serrant 2014 – Nicolas Joly à Savennières : nez pas trop en place avec des notes de pomme blette et une volatile très marquée, chair opulente en bouche, équilibre généreux, finale longue mais amertume très intense et volatile qui monopolise le sillage aromatique.
(terroir de schistes rouges).

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La Coulée de Serrant est un terroir incomparable où chaque vigneron angevin rêve de faire une vendange et un vin « c’est l’endroit du vignoble le plus chaud dans la journée et le plus froid dans la nuit…ce qui permet de récolter des chenins vraiment exceptionnels ».
Sur ce coteau pentu exposé sud/sud-est, Nicolas Joly élabore un vin mythique connu dans le monde entier…mais je dois avouer que ce soir je n’ai vraiment pas été convaincu par cette cuvée que je me réjouissais de déguster…très grosse déception !


AOC Quarts de Chaume Grand Cru 2011 – Chateau Pierre Bize à Beaulieu sur Layon : robe jaune profond, texture épaisse, nez riche et très expressif, notes de fruits jaunes au sirop et d’épices douces sur un fond grillé/rôti, matière opulente et très consistante en bouche équilibré par une ligne acidulée fine mais très solide, finale sapide et longuement aromatique.
(terroir de grès).

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La série se termine par un vin très exubérant qui révèle une personnalité riche et complexe…et pourtant son concepteur nous annonce que nous le dégustons « au pire moment de sa vie ».
Résultant d’un énorme travail à la vigne pour gérer la charge de chaque pied et d’une vendange effectuée sur 7 semaines avec 3 tries, ce Quarts de Chaume 2011 qui a pu être récolté à 24° potentiels représente surement ce que ce vignoble peut produire de plus grand en termes de liquoreux. MIAM !

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La petite merveille du soir !

 

Pour cette ultime séance dans la salle des Tisserands de Châtenois – les suivantes sont prévues dans la salle du Tanzmatten à Sélestat – l’U.G.V. a modifié quelque peu son organisation en proposant quelques victuailles pour accompagner les vins présentés.

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Une part de quiche, une assiette de fromages et un joli dessert pour finir.

L’initiative était intéressante mais surement un peu risquée en termes d’accords mets/vins : certes les plats proposés étaient très bons mais j’ai trouvé que les grands chenins de ce soir n’ont pas forcément été mis en valeur par la quiche ou les fromages…

Ceci dit, j’ai trouvé la soirée pleinement réussie avec un duo de vignerons passionnants et une sélection de vins de très haut niveau.
J’ai découvert Eric Morgat et j’ai immédiatement été séduit par sa façon de penser et de concevoir le grand vin.
Ses deux cuvées vinifiées avec une précision absolue et s’exprimant avec un niveau de raffinement exceptionnel font partie de mes coups de cœur de la soirée…voilà un domaine que je suivrai dorénavant avec beaucoup d’attention !
J’ai appris à connaître un peu mieux Claude Papin et j’ai apprécié le discours de ce vigneron cultivé qui exprime sans retenue son amour pour les moelleux ligériens : « Je ne gagne pas ma vie avec les liquoreux mais je continue d’en faire parce que j’aime ça ».
Millésime après millésime, il arpente ses parcelles pour veiller à ce que chaque pied de vigne soit mis dans les meilleures conditions possibles pour générer les raisins botrytisés qui vont lui permettre de créer ces vins exceptionnels.
« Les plus grands vins du monde sont des liquoreux. (…) Ils sont faits pour les gens heureux…ceux qui ne sont pas pressés »…si après ça on n’a pas envie d’en mettre quelques flacons en cave !!!
Coup de cœur énorme pour ce Quart de Chaume 2011 –« le dernier millésime vraiment chaud » – qui a fait l’unanimité dans la salle des Tisserands ce soir.
Très grand vin !!!

Merci à tous ceux qui ont œuvré pour nous permettre de vivre ces beaux moments de formation et de gourmandise.

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