Le vin selon Jean-Luc Barde

Pour la séance de reprise de l’U.G.V., je retrouve avec plaisir la belle salle des Tisserands de Châtenois pour assister à une conférence-dégustation animée par Jean-Luc Barde.
Photographe et auteur, il a un regard très particulier sur le monde du vin car comme il se plaît à le répéter « je n’ai pas envie de décrire ou d’évaluer des vins mais j’aime parler des gens qui les font ».
Je sens que je vais passer une belle soirée…

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Mon espace de travail est installé…

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…les outils sont prêts…

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…et les conférenciers sont en place. C’est reparti pour une nouvelle session de l’U.G.V.

Comme d’habitude, la séance commence par un discours introductif du président Jean-Michel Deiss pour nous donner des nouvelles de l’avancée des projets de l’U.G.V. ainsi qu’un aperçu du programme des sessions à venir.
Mme Doridant, adjointe au maire de Châtenois, nous souhaite la bienvenue dans sa commune située au centre de notre belle route des vins et où des fouilles viennent de mettre à jour un pressoir datant de l’époque médiévale « cette découverte d’un lieu de production de vin avec des outils est une première en France ».
Voilà un village partenaire fidèle de l’U.G.V. qui est en passe de devenir un haut-lieu de l’histoire viticole alsacienne…moi j’y vois un symbole. Pas vous ?

Après cette mise en bouche fort instructive place à notre conférencier du jour qui n’aura besoin que de quelques phrases pour nous emmener en voyage dans son univers : un discours teinté de poésie avec un soupçon de nostalgie « positive », distillé dans une langue magnifique avec l’accent chantant et chaleureux du pays guyennais…MIAM !

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Jean-Luc Barde

« Je me promène dans les vignes depuis une trentaine d’années et j’ai appris à aimer ces gens qui les travaillent ».
Jean-Luc Barde nous raconte ses rencontres avec des vignerons qui ont choisi de suivre leur voie sans jamais « céder sur leurs désirs »…d’ailleurs la sélection de vins qu’il nous propose est exclusivement composée de « vins de conviction, forcément atypiques par rapport à ceux qui répondent  aux attentes de notre société de consommation actuelle ».

Ceux qui me connaissent un peu savent à quel point je suis en phase avec ce genre de propos sur le vin, mais je vais quand même essayer d’être le moins subjectif possible dans mes commentaires.
Ceci dit, je sens que ça va être difficile…


Gaillac Mauzac Nature...quand même !!! 2014 – Robert et Bernard Plageoles à Cahuzac sur Vere
Le nez révèle des notes d’herbes séchées et de sous-bois sur un fond discrètement miellé. La bouche est joliment balancée avec une bulle très fine mais persistante, la finale prolonge un sillage aromatique avec des amers nobles et des nuances fermentaires qui rappellent les bières allemandes.

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Cette cuvée un peu « hors du temps » a été réalisée à partir de jus de mauzac rose filtré à l’ancienne à travers un tissu de coton particulier fabriqué dans le Tarn et mis en bouteilles avec un reste de levures et de sucres résiduels.
Passé l’hiver, ce vin recommence à fermenter mais ne subit plus aucune manipulation jusqu’au jour du débouchage où le dégustateur se laissera facilement charmer par ce pétillant original, équilibré et digeste.
Ca commence très fort !

Condrieu Coteau de Vernon 2013 – Domaine Georges Vernay à Condrieu
Le nez tout en retenue et en distinction développe une belle palette florale avec une fine touche fruitée (un peu d’abricot bien sûr mais sans excès…). Après une attaque souple et suave, le vin s’épanouit progressivement en bouche avec une matière charnue structurée par une acidité fine et rayonnante. La finale est intense et fraîche avec un retour aromatique long et très complexe.

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Le coteau du Vernon qui est probablement la plus vieille parcelle de viognier du monde (avec Château Grillet) doit son existence à Georges Vernay qui a décidé au début des années 60 que le vignoble de Condrieu n’allait pas mourir.
Lorsque Georges Vernay a considéré qu’il était temps de passer la main, c’est sa fille Christine Vernay, alors professeur de français à Paris, qui est venue s’installer à Condrieu pour continuer l’œuvre de son père.
Elle s’est initiée au métier de vigneronne en commençant par s’imprégner de ce grand terroir à travers de longues promenades dans les vignes plantées sur ce coteau granitique abrupt.
Aujourd’hui elle nous gratifie d’un vin remarquable d’élégance et de raffinement « un vin-miroir…tellement il ressemble à celle qui l’a conçu » nous dit Jean-Luc Barde…et on à tous envie de le croire !

Riesling Grand Cru Hengst 2010 – Domaine Josmeyer à Wintzenheim
Le nez nous régale par sa belle complexité et donne spontanément une impression de plénitude : on y reconnaît des arômes floraux et délicatement miellés soutenus par un fond zesté très énergisant. La bouche déjà bien posée déploie une matière ample et généreuse structurée par une belle arête acide et une intense salinité qui confère un côté un peu grenu au toucher. La finale soutenue par des amers nobles prolonge un sillage minéral bien marqué.

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Jean-Luc Barde a établi avec l’Alsace et ses vins « un lien à très fort potentiel émotionnel » et c’est pour ça qu’il nous propose cette série de 4 bouteilles soigneusement sélectionnées comme ce Hengst 2010 simplement parfait : « une matière pleine d’énergie mais apaisée, un vin sûr de sa force »…Tout est dit !


Riesling Grand Cru Muenchberg 2010 – Domaine Ostertag à Epfig
L’olfaction est discrète et raffinée mais la palette évolue continuellement en interprétant une suite aromatique d’une grande complexité. La bouche est ample et pleine avec une matière bien charnue soutenue par une acidité mûre et structurante. La finale est pure, longue et chargée d’une salinité très délicate mais qui fait saliver en donnant envie de se resservir un verre…

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« André Ostertag est un vigneron qui entretient une relation presque fusionnelle avec ses vignes et ses terroirs » : je constate que Jean-Luc Barde a ressenti la même chose que moi en face de ce vigneron.
On sent l’artiste qui a tout donné pour réaliser son œuvre mais qui se retire pour laisser la parole à sa création : ce Muenchberg est à la fois plein et délié, rempli d’énergie vitale positive. Il impose le respect et appelle le silence……………….

Alsace Grand Cru Schoenenbourg 2010 – Domaine Deiss à Bergheim
Le nez pur mais assez retenu nous offre tout d’abord quelques fragrances miellées avant de nous emmener vers des ambiances florales très délicates. En bouche, on change d’ambiance avec une matière riche, épaisse, solidement tramée et un développement aromatique fruité qui monte en puissance. La finale nous ramène vers une certaine sérénité, plus sage, apaisée et parfaitement équilibrée.

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Après nous avoir raconté comment il avait pu acquérir cette parcelle complantée sur le Grand Cru de Riquewihr (il y a du riesling mais aussi d’autres cépages classiques mais pas que…), Jean-Michel Deiss nous explique sa vision du Schoenenbourg qu’il présente comme un terroir qui inverse les rôles « ce n’est pas le dégustateur qui évalue le Schoenenbourg, c’est le Schoenenbourg qui évalue le dégustateur. C’est un vin qui ne se donne qu’à celui qui le mérite ».
Bon, même si je ne sais pas dans quelle catégorie je me situe, j’ai quand même pris un plaisir indicible à siroter cette petite merveille qui réussit à faire résonner harmonieusement puissance et élégance…la classe absolue !

Pinot Noir Bollenberg Harmonie 2010 – Domaine Zusslin à Orschwihr
Le nez pur et très sensuel délivre des arômes de fruits rouges avec en particulier des notes de burlat que je retrouve toujours avec plaisir lorsque je déguste à Chambolle ou à Morey. La bouche nous offre une matière voluptueuse avec une chair douce tenue par une trame tannique bien mûre et une acidité puissante qui étire la structure. La finale longuement aromatique est accompagnée d’amers nobles.

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Avec ce grandissime pinot noir né sur cette colline magique d’Orschwihr, les Zusslin que Jean-Louis Barde présente comme des « obsessionnels de la pureté », nous montrent une fois encore que l’Alsace peut produire des vins rouges d’exception : ce Bollenberg Harmonie 2010 allie la finesse aromatique d’un Chambolle et la force tellurique d’un grand Gevrey…qui dit mieux !

Saint Emilion Grand Cru Château Tertre Roteboeuf 2014 – F. et E. Mitjaville à Saint Emilion
L’olfaction joue la carte de la séduction en présentant une palette qui s’ouvre sur des notes torréfiées avant de développer des arômes de mûre sur un fond boisé très noble mais déjà bien intégré. En bouche tout n’est que volupté et sensualité avec un jus dense et un grain tannique d’une grande finesse. La finale longue et suave étire un sillage fruité et réglissé.

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François Mitjaville met en pratique une viticulture « moderne et responsable » sans rechercher un label « bio » à tout prix mais en ne faisant aucune concession sur la qualité des vins qu’il réalise.
Issue d’un millésime compliqué, cette cuvée 2014 – mise en bouteille spécialement pour cette soirée – témoigne de la valeur du travail de ce vigneron : ce vin irréprochable force l’admiration…même s’il ne m’a pas fait autant vibrer que le pinot noir des Zusslin.


Barsac 1° Grand Cru Classé Château Coutet 1989 – P. Et D. Baly à Barsac
Le nez tient les belles promesses faites par cette robe dorée aux reflets topaze en nous offrant un récital aromatique incroyable : raisin de Corinthe, figue rôtie, épices douces (cannelle, girofle…), vanille, pâte de coing… L’attaque en bouche surprend par son côté vif et pointu mais par la suite la matière se fait ronde et caressante avec une aromatique qui s’intensifie en délivrant des notes de fruits confits et de pain d’épices. La finale retrouve une belle tension tout en laissant persister longuement un sillage fruité et épicé.

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Réalisé à partir de 70% de sémillon (+ 30% sauvignon et muscadelle) ce grand vin met un point final sous forme d’apothéose à la très belle série proposée par Jean-Luc Barde.
Ceci dit, ce choix n’est pas uniquement esthétique, c’est également un geste militant pour défendre un vignoble qui produit des vins magnifiques et qui se retrouve face à de très grandes difficultés aujourd’hui « un peu comme l’Alsace, Sauternes est victime d’un renoncement collectif »
Les  Baly font partie de ces idéalistes qui ne renoncent jamais pour aller au bout de leurs projets et de leurs rêves « ils ont redonné vie à un lieu en déshérence pour y concevoir l’un des plus beaux liquoreux du bordelais »…Total respect !


Grâce à l’U.G.V. j’ai pu assister à des conférences remarquables où des œnophiles passionnés nous ont fait partager leurs convictions et leurs espoirs au sujet de la nature d’un grand vin…mais ce soir, j’ai l’impression d’avoir vécu un « truc » en plus !
En effet, Jean-Luc Barde, qui affirme – un rien provocateur – que « dans cette affaire, le vin est secondaire », a choisi de s’intéresser aux acteurs et aux terroirs qui sont à l’origine des grands vins plutôt que de s’interroger sur les qualités qui sont censées révéler leur grandeur…
Ceux qui me connaissent comprendront qu’en tant que « dégustateur de vigneron » pleinement assumé, je me suis immédiatement senti en phase avec notre conférencier du soir.
S’exprimant dans une langue pleine de sensualité et de poésie, Jean-Luc Barde a mis en valeur 8 vins exceptionnels en les ancrant dans leur contexte à travers quelques anecdotes pleines d’humanité et de sensibilité…de grands ces vins sont devenus immenses !

Comme d’habitude, j’ai pris des notes sur les vins et je me suis essayé à quelques commentaires qui, une fois mis en forme dans cet article, me semblent bien légers pour relater l’intensité des émotions vécues lors de cette soirée…mais je suis loin d’avoir le talent et la culture de Jean-Louis Barde.

Mes coups de cœur du jour iront sans hésiter au quatuor alsacien avec ces 4 cuvées qui ont illuminé la magnifique sélection proposée par Jean-Luc Barde.

Merci à tous ceux qui ont œuvré pour nous permettre de vivre ces beaux moments de partage et de gourmandise.

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