Une soirée à La Fourchette des Ducs à Obernai : de la place des vins dans un restaurant étoilé...

Petit compte-rendu personnel d'une soirée dans l'antre de la Fourchette des Ducs, temple de la gastronomie classé deux étoiles Michelin, situé dans la charmante ville d'Obernai.

Plus de cinq ans après mon dernier passage dans ce restaurant gastronomique, j'ai enfin eu l'occasion de revenir en ces lieux. Cette fois en période estivale pour découvrir le salon d'été. Cadre fort sympathique où la magie du cristal de Baccarat opère avec élégance.
L'accueil est très agréable, le lieu propice à la dégustation et aux découvertes.
Que commencent les débats gastro-oenologiques !

Pour débuter, avec l'éveil du palais et la mise en bouche selon l'intitulé du menu « Libre Emotion », le sommelier propose un choix très restreint : deux champagnes , l'un rosé et l'autre une référence de la maison Gosset ou bien un verre de muscat grand cru 2013 de chez Mochel à Traenheim.

Ce qui ne manque pas d'interpeller l'amateur de vin que je suis pour plusieurs raisons :

- au risque de me répéter, je trouve cet éventail bien trop restreint car il ne comprend qu'une seule et unique référence de vin blanc d'Alsace !
Référence qui ne me paraît pas majeure. Explication : Mochel à Traenheim, j'apprécie depuis très longtemps mais ce Muscat Grand Cru Altenberg de Bergbieten 2013 ne m'emballe vraiment pas : il n'a pas la côté croquant du muscat. C'est un vin très sec (imaginez plutôt un riesling muscaté), mais court, au nez bien discret, avec une amertume en finale pas agréable. On est en droit d'attendre bien mieux pour débuter nos agapes.

- j'ajoute que j'ai eu droit au fond d'une bouteille entamée, complétée avec une neuve... Si, si !! Vous ne rêvez pas !
Quoi qu'il en soit, j'ai dégusté maintes références bien plus réjouissantes. Je ne citerai que le muscat de chez Loew (autrefois sur la carte de la Fourchette des Ducs), regoûté récemment sur 2011 et qui a révélé des vertus insoupçonnées et une grandeur peu évidente sur ce millésime difficile.

- une dernière raison est que, restaurant alsacien oblige, on serait sans doute en droit d'attendre aussi une alternative en crémant d’Alsace (il y en a de bien plus emballants que bon nombre de champagnes) pour rendre justice à notre beau vignoble. Il est vrai que c'est moins rentable de servir du crémant que du champagne. Je le comprends volontiers.

Amateur de vin, je suis et je demeure et quand dans d'exceptionnelles occasions, je peux être convié en ces hauts lieux de la gastronomie, j'ai très envie de découvrir des choix forts et époustouflants côté jus de la treille.
Je comprends bien que ceci est risqué. En clair, il y aura toujours des grincheux pour se plaindre, à tort, qu'on leur propose un vulgaire verre de crémant en apéritif dans un deux étoiles Michelin. Dès lors, peut-être que les restaurateurs n'osent plus prendre de risque et craignent les foudres du Dieu Michelin ?

Je n'ai pas manqué d'indiquer au sommelier que le muscat n'était pas à mon goût. C'est un jeune homme très à l'écoute. Je précise que le service est dans son ensemble impeccable ( à part le couac du muscat ).


Pour accompagner les créations :

Homard Bleu Breton rôti au Beurre de Corail,
Légumes de Saison Glacés

Roulade de Sole farcie de Truffe,
Cannellonis de Brochet, Infusion de Crevettes Grises

j'ai choisi une belle connaissance : le Riesling Grand Cru Schlossberg-l'Inédit 2012 du Domaine Weinbach à Kaysersberg

Confronter une bouteille à la truffe blanche est toujours un exercice délicat.
Une entrée dans le vif du sujet convenable mais pas transcendante. Le homard était bon, quoique je l'aurais aimé un peu plus épicé et le riesling l'accompagne avec classe. C'est un beau vin, féminin, racé. Il sait doser sa minéralité et sa puissance, grâce à une très belle matière avec une grande longueur.
Aussi quand vint l'heure de la sole farcie à la truffe (plat élaboré et fort bien concocté au demeurant), je pouvais constater que sa grandeur n'était pas usurpée et l'Inédit trônait fièrement dans le verre pour souligner tous les attraits du plat. Très grand vin à l'avenir radieux !


Nous continuons avec le :

Suprême de Canard de Challans,
Navets Glacés au Safran, Purée de Dattes au Gingembre

Après une saine lecture du livre de cave, j'orientais mon choix avec un vin que je voulais juteux, avec une explosion de fruit, sans bois pour finir sur des notes de fruits noirs mais aussi terreuses …
Il s'agit d’une Côte-Rôtie 2012 de chez Jasmin ( au format 50 cl ce qui est bien pratique ). L'accord avec le plat a été apprécié. La finale savoureuse et sapide du vin y étant pour quelque chose.


Place ensuite à une :

Emulsion de Munster Blanc au Cumin,
Polenta Crémeuse et Truffe

Là vous me direz, c'est facile : on prend une sympathique demi-bouteille de gewurztraminer. Hélas, mille fois hélas, il n'y en avait pas sur la carte. Je sais bien que les restaurateurs ne peuvent pas stocker d'innombrables références mais je déplore que dans l'ensemble, on ne trouve que très rarement des formats réduits.
J'opte donc pour un demi flacon de Pinot Gris Grand Cru Hengst 2012 de chez Albert Mann. Pas facile de passer après deux vins très expressifs. Mais le pinot gris s'en sort plutôt pas mal. Une belle longueur, un côté juteux, une matière maîtrisée qui accompagne le plat avec charme. Plat qui est un bel exercice du chef.


En dessert :

La Crème Brûlée Chocolat Blanc à la Fève Tonka,
Sorbet et Coulis de Fraises d'Alsace

se déguste facilement…et sans vin !


Puis vient l'heure des petites attentions de fin de repas. J'opte pour un thème pistache-chocolat et demande au sommelier un verre pour accompagner ceci. Ce sera un Porto Tawny 20 ans de Ramos Pinto. Il remplit fort bien son rôle dans un registre doux et sec, aux notes d'orange, de cannelle, de café sans écraser les agréables pâtisseries.



Au final, qu'en est-il de la place du vin dans un restaurant gastronomique ? N'oublions jamais que, malheureusement, il a aussi pour rôle de générer une certaine marge quel que soit l'endroit où l'on se trouve.
Les attentes sont bien entendues variées et diffèrent grandement d'une personne à l'autre.

Pour ma part, je ne suis pas insensible au charme du lieu, à l'efficacité du service, à la beauté des verres, assiettes etc etc …mais l'essentiel demeure la qualité de la cuisine et le choix et l'accord du vin.

Côté cuisine, on fait un voyage agréable même si j'ai des souvenirs plus marquants de mes précédentes venues. On connaît la qualité du chef, Nicolas Stamm, mais je l'ai trouvé un tantinet sage dans certains mets. Il a l'art de la présentation de ceux-ci. On rêve évidemment toujours d'être ébloui par chaque plat et on comprend bien que le client est très exigeant. Mais où l'être si ce n'est dans les plus grandes tables de France ?

L'élaboration du menu « libre émotion » est sans doute ardue et choisir les vins est une chose passionnante mais pas forcément facile pour l'amateur de vins.

Côté vins, je répète que j'attends de faire des découvertes en ces lieux. De connaître là aussi de libres émotions, loin des figures imposées par les guides ou les modes du moment. Je me souviens d'avoir très souvent fait de très beaux voyages au Cygne de Gundershoffen du temps de Madame et Monsieur Paul et de leur expert sommelier Jérémy, qui avait l'art de faire d'exquises trouvailles même pour les budgets les plus restreints.
Je pense qu'en la matière, il y a une certaine marge de progression dans ce domaine à la Fourchette des Ducs.

 

Philippe Pister - juin 2016

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