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Le Pfersigberg selon Christian Beyer
Me voilà donc reparti pour une nouvelle aventure en compagnie de Christian Beyer pour tenter de comprendre un peu mieux les secrets du Pfersigberg d’Eguisheim.
Bien des choses ont déjà été écrites sur ces terroirs et un angle d’approche original et intéressant est à priori difficile à définir…mais je vais quand même essayer de relever le défi.
Je vous propose de me suivre dans mes ballades personnelles avec un peu de théorie (le socle nécessaire à une bonne compréhension), des documents photographiques et surtout des rencontres avec les vignerons qui travaillent dans ces parcelles classées.
Bon, ça je l’avais déjà dit…mais c’est pour les nouveaux.
Mes dernières étapes sur ma route des Grands Crus se déroulaient dans des villages connus pour être parmi les plus beaux de la route des vins : de Barr, à Mittelbergheim en passant par Niedermorschwihr, je peux dire qu’en tant qu’amateur de beaux paysages et de belles pierres, j’ai été plus que comblé.
Connaissant déjà bien la petite cité d’Eguisheim pour m’y être souvent promené, je sais que la série des sites remarquables ne se terminera pas avec cette 14° étape : je vais encore pouvoir partager avec vous quelques belles émotions dans un très bel endroit...une perspective plutôt réjouissante pour ce début d’année !
Hoppla c’est reparti !
Situé à quelques kilomètres de Colmar, au milieu des collines-sous-vosgiennes, Eguisheim est considéré comme le « berceau du vignoble alsacien ». Ce village de 1600 habitants possède un patrimoine historique, architectural et viticole presque unique dans notre région : classé parmi Eguisheim offre au visiteur une sorte de « concentré » de culture alsacienne.
- Eguisheim, qui s’est appelé Aginesheim en 770 puis Eginesheim au X° siècle, fait référence à un certain Egeno ou Egino, un descendant du duc mérovingien Aldaric et peut se traduire par « l’habitation d’Egino ». Par la suite Eginesheim devint Egisheim avant la francisation du toponyme avec l’ajout du « u » après le « g ».
- Eguisheim viendrait du toponyme Aksheim, avec une racine paléo-européenne « Ak » qui désignait « un lieu difficile d’accès, en lisière de forêt ou au pied d’un escarpement ». Le nom alsacien de ce village encore utilisé aujourd’hui par les dialectophones, « Exa », « Exe » ou « Ekse », nous fait penser que cette version est peut-être la plus crédible…
Des vestiges archéologiques trouvés dans les environs d’Eguisheim en 1865 prouvent que ce lieu a été occupé dès le paléolithique : Cro-Magnons, Celtes, Romains se sont succédés dans ce site du piémont vosgien en laissant de nombreuses traces de leur passage (nécropole protohistorique, voies et fortins romains, sépultures mérovingiennes et carolingiennes).
Du temps des Mérovingiens l’Alsace était gouvernée par des ducs dont le plus connu fut Aldaric que la mémoire alsacienne reconnaît comme le père de Sainte Odile (VII° siècle). C’est Eberhard, petit-fils d’Aldaric, troisième duc d’Alsace et neveu de Sainte Odile qui construisit le premier château autour duquel se développa la cité d’Eguisheim.
Comme nous l’avons évoqué plus haut, certains historiens pensent que c’est à un descendant d’Aldaric que ferait référence le nom du village.
La souveraineté de cette dynastie fut abolie par Pépin le Bref en 754 mais après la dislocation de l’empire carolingien au cours du IX° siècle les comtes d’Alsace reprirent les rênes du pouvoir dans la région. Ils édifièrent les 3 châteaux qui dominent Eguisheim et y résidèrent durant plusieurs siècles.
En 1002 Bruno (ou Brunon) d’Eguisheim-Dagsbourg naquit dans le château d’Eguisheim, il devint évêque de Toul en 1026 puis pape sous le nom de Léon IX en 1048.
La statue de saint Léon devant le château bas d’Eguisheim
…les mêmes vus d’en haut.
En tous cas, sur les murs du château bas d’Eguisheim le doute historique est évacué…
Le promeneur féru d’histoire pourra flâner dans les ruelles d’Eguisheim pour admirer ses splendides maisons vigneronnes à colombages datant des XVI° et XVIII° siècles, ses cours dîmières et ses nombreuses fontaines.
Dans l’église d’Eguisheim : une vierge ouvrante en bois polychrome
De style néo-roman, la Chapelle Saint Léon est a été édifiée à la fin du XIX° siècle dans la cour du château sur les fondations du donjon. Elle renferme un reliquaire avec une châsse qui contiendrait une partie du crâne du Pape alsacien béatifié.
Le touriste œnophile pourra s’imprégner du terroir local sur le sentier viticole (une bonne heure de marche) avant de se rendre dans l’un des nombreux caveaux de dégustation pour partager des moments de convivialité avec un vigneron du village.
Le vin est particulièrement mis à l’honneur lors du 3°week-end d’août lors de la fête des vignerons « S’Wenzerfescht » comme on dit par ici…
Le Grand Cru Pfersigberg est situé sur les bans communaux d’Eguisheim et de Wettolsheim. Avec une superficie de 74,55 hectares c’est le Grand Cru le plus étendu après le Schlossberg.
Dans le secteur du Pfersigberg, le climat est continental et très sec avec des printemps chauds, des étés ensoleillés, des automnes longs et des hivers froids. Les vents dominants d’ouest qui perdent leur humidité sur le versant occidental du massif vosgien gagnent les collines alsaciennes sous forme de foehn : grâce à ce phénomène la région autour de Colmar est l’une des plus sèches de France.
Situé à l’extrémité nord du champ de fracture de Rouffach le Pfersigberg est constitué de terrasses calcaires recouvertes d’un sol assez caillouteux offrant des combinaisons minérales relativement diversifiées mais dont l’unité repose sur la présence dominante de conglomérats calcaires.
Vers les secteurs plus au sud les sols deviennent plus riches et plus profonds.
Sur le plan historique, on sait que les tribus gauloises installées sur les terrasses qui accueillent les Grands Crus actuels (Eichberg et Pfersigberg) faisaient déjà la cueillette des raisins sur les vignes vierges qui proliféraient dans cet environnement. Les Gaulois ne sachant pas faire du vin, ce sont les Romains qui développèrent la viticulture en ce lieu : la légende prétend que c’est à partir des collines Eguisheim que se répandit la culture du vin en Alsace. En tous cas la présence romaine sur les lieux a été attestée par une tuile découverte en 1900 au pied du Schlossberg (la colline aux 3 châteaux) portant la mention « Prima Legio Martia », relative à un bataillon de légionnaires romains conduits par l’Empereur Dioclétien (284-305).
Par la suite, grâce au travail des moines dans les abbayes alsaciennes, la viticulture se développa et se rationalisa. Au XI° siècle les vins d’Eguisheim étaient déjà particulièrement recherchés et au XV° siècle toutes les cours du nord de l’Europe s’enorgueillissaient de posséder du vin ce cette région dans leurs caves.
Les deux lieux-dits classés d’Eguisheim sont identifiés dès le XVI° siècle : des traces écrites datant de cette période, comme des baux entre seigneurs et couvents, citent régulièrement le Pfersigberg comme un terroir de grande valeur.
Cette réputation d’excellence perdurera tout au long de l’histoire alsacienne : d’après Claude Muller, au XVIII° siècle la ville d’Eguisheim « jalouse de conserver la réputation que la qualité supérieure de ses vins s’était acquise (…) édicte un règlement portant défense sous peine de 300livres d’amende d’introduire dans la ville d’Eguisheim des vins de Herrlisheim, Pfaffenheim, Voegtlinshoffen et d’autres endroits où les vins sont de qualité inférieure » (« Alsace, une civilisation de la vigne »).
Comme partout en Alsace, après un XIX° siècle marqué par une politique très productiviste, la viticulture alsacienne déclina dans la première moitié du XX° siècle avant d’entreprendre une révolution qualitative après la seconde guerre mondiale. Pourtant, dès 1927, les vignerons d’Eguisheim n’hésitèrent pas à mettre à l’honneur le Pfersigberg lors de la première Foire aux Vins de Colmar.
Malgré ceci, le Pfersigberg ne fit pas partie des 25 premiers terroirs sélectionnés pour entrer dans l’appellation Alsace Grand Cru en 1983 et les viticulteurs durent attendre le décret du 17 décembre 1992 pour accéder à cette reconnaissance officielle.
En tous cas, lorsqu’on mesure la profondeur de l’enracinement historique du vin à Eguisheim on ne s’étonne plus de voir que les vignerons d’aujourd’hui utilisent encore largement le passé riche et dense d’Eguisheim pour communiquer sur leurs prestigieux terroirs.
Au niveau de la viticulture, le Pfersigberg est considéré comme un des terroirs d’élection du gewurztraminer : ce cépage occupe plus de 60% de sa superficie. Avec des printemps précoces et d’automnes prolongés ce Grand Cru offre à la vigne de longues périodes de végétation avec la possibilité d’atteindre des maturités idéales. Cependant, sur les secteurs où le sol est moins riche, le riesling a une très belle carte à jouer.
Lorsqu’on se promène sur les coteaux entre Eguisheim et Husseren on constate que la plupart des vignes sont conduites avec le souci de respecter l’environnement. Le désherbage chimique est rare et les rangs sont travaillés en fonction de la nature de la parcelle avec un enherbement dosé selon la richesse du sol.
Une jeune vigne de riesling du domaine Beyer sur le « Sundel » (coteau nord), plantée en haute densité (10 000 pieds/ha)
Le gewurztraminer donne naissance à des vins puissants et suaves qui développent souvent une palette pleine de fleurs (rose, lilas) et d’épices orientales (safran, curcuma, girofle…).
Le riesling se caractérise par une belle vinosité et une charpente solide. Son profil aromatique est plus discret mais très complexe : il n’est pas rare d’y percevoir des notes fruitées (agrumes et fruits à noyau), florales (tilleul, violette), végétales et épicées (poivre, muscade).
Le pinot gris est nettement moins présent sur le Pfersigberg que les deux cépages précédents mais il génère des vins capiteux, souvent moelleux et très aromatiques.
Comme pour de nombreux Grands Crus les vins du Pfersigberg ont besoin d’un peu de temps pour que l’empreinte génétique du cépage et la marque du terroir résonnent en harmonie…après, tout n’est que raffinement, équilibre et complexité…
En 1837, Antoine Beyer acheta cette auberge pour la transformer en maison vigneronne et implanter le domaine au cœur de la cité fortifiée.
Cinq générations plus tard, Christian Beyer dirige aujourd’hui cette belle exploitation qui a gardé le nom du grand-père « Emile », certainement, pour rendre hommage au travail accompli par cet illustre prédécesseur disparu prématurément, mais sûrement aussi comme un témoignage de ce profond ancrage dans l’histoire que la famille Beyer a toujours revendiqué.
Le soleil printanier est au rendez-vous, les coteaux d’Eguisheim offrent des points de vue magnifiques…quel plus beau cadre pour parler terroir et vins !
Le Pfersigberg est un terroir assez diversifié « le découpage complexe de ce Grand Cru obéit à une logique difficile à expliquer sur un plan purement géologique » même si la roche mère calcaire est présente partout « le calcaire est le trait d’union entre les parcelles du Pfersigberg ». Sur le plan de la chimie les sols de ce Grand Cru sont de nature basique avec des PH assez élevés.
Il y a aussi une unité climatique avérée : le climat « solaire et précoce » se retrouve sur tous les coteaux du Grand Cru.
Christian Beyer identifie 3 zones bien distinctes sur le Pfersigberg, qui correspondent aux 3 coteaux englobés par la délimitation du Grand Cru :
- le coteau nord : appelé le « Sundel Recke » (le dos du Sundel) est un coteau aux sols assez pauvres et pierreux, traversé au milieu par une faille géologique qui partage le secteur en deux terroirs distincts : côté ouest les sols sont plus calcaires (oolithique) et côté est les sols deviennent calcaro-gréseux (grès calcifié). C’est sur ce coteau que Christian Beyer est en train de créer le « Clos Lucas » dont nous parlerons plus loin.
- le coteau sud est plus hétérogène avec des parcelles intéressantes mais une présence accrue de « marnes argileuses » qui rendent les sols plus riches et plus fertiles.
C’est aussi un Grand Cru qui montre que la délimitation d’un terroir classé est une affaire éminemment complexe où le facteur humain ou « politique » peut peser très lourd « initialement on avait déterminé 4 entités géologiques distinctes sur le ban viticole d’Eguisheim : l’Eichberg et les 3 coteaux du Pfersigberg. Mais très vite, l’interprofession s’est rendu compte qu’il valait mieux choisir un regroupement géographique plus large pour pouvoir peser par le nombre dans le combat pour la reconnaissance des Grands Crus »…une démarche fructueuse au bout du compte, même si la questions de la typicité de ce terroir reste encore problématique.
Quels sont les cépages les mieux adaptés ?
« Si le gewurztraminer domine sur le Grand Cru c’est qu’il est le cépage le mieux adapté dans le secteur du Pfersigberg cadastral » : le gewurztraminer se plaît sur ce coteau aux sols calcaro-gréseux assez profonds.
« Je suis convaincu que le coteau nord avec ses sols pauvres et pierreux est un très grand terroir à riesling ». La célèbre cuvée de riesling « Comtes d’Eguisheim » de la maison Léon Beyer qui est produite dans le secteur est de ce coteau en apporte une preuve indiscutable qui, je n’en doute pas, sera confirmée par les premiers vins issus du « Clos Lucas ».
Pour le pinot gris « le Pfersigberg est un terroir trop solaire et très souvent les vins peinent à trouver leur équilibre dans ces conditions ».
Quels caractères spécifiques ce terroir transmet-il aux vins ?
Christian Beyer étant reconnu comme « expert du Pfersigberg » dans les dégustations d’agrément du Grand Cru, je crois que pour une fois l’épineuse question de la définition de l’identité gustative des vins ne va pas poser de gros problèmes à mon interlocuteur…
« Les vins du Pfersigberg ne se distinguent ni par leur puissance ni par leur austérité…sur ce Grand Cru on trouve surtout de l’élégance et de la finesse ».
Les vins se laissent approcher facilement « ils sont ouverts », même si un « côté salin prononcé » peut se manifester en fin de bouche.
Les rieslings offrent des palettes où on retrouve plus souvent des « fruits à noyau comme la pêche de vigne » que les notes d’agrumes, les gewurztraminers sont puissamment expressifs avec une salinité qui dépasse souvent le caractère opulent du cépage pour construire des « équilibres sapides et digestes ».
Pour comparer avec des Grands Crus voisins : « Au niveau du riesling le Pfersigberg s’apparente par bien des points au Vorbourg alors que pour le gewurztraminer on est souvent plus proche du Steinert ».
Y-a-t’il dans votre mémoire de dégustateur des vins qui vous ont aidé à vous faire une image de ce que devait être ce Grand Cru ?
Parmi les belles bouteilles que Christian Beyer a eu l’occasion de déguster il en relève 3 en particulier qui l’ont vraiment aidé à se faire une idée sur le style de vin qu’il avait envie de réaliser sur le Pfersigberg :
- Le riesling Grasberg 1993 de Deiss : « un vin qui m’a donné une idée précise sur la manière dont le calcaire devait marquer l’identité d’un cru »
- Le Château Yquem 1988 : « qui m’a montré comment un vin très riche pouvait se révéler d’une incomparable élégance »
- Le riesling Clos Saint Hune 1971 de Trimbach : « dégusté lors d’une séance de rebouchage à la Confrérie Saint Etienne, le côté vivant, frais et la persistance aromatique de ce vin m’ont subjugué »
Pour les vins du Pfersigberg à proprement parler, Christian Beyer n’a hélas plus l’occasion de remonter trop loin dans le temps puisque la collection de l’œnothèque familiale a été presque intégralement détruite par une inondation dans la cave : « les tonneaux flottaient, beaucoup de bouteilles se sont brisées et sur celles restées intactes il n’y avait plus d’étiquette… ».
Ceci dit, même s’il avoue qu’il n’a pas encore tout à fait abouti à ce qu’il recherche, ce jeune vigneron a déjà eu l’occasion de placer quelques jalons hautement qualitatifs dans sa production, notamment dans des millésimes froids « j’ai beaucoup de plaisir à faire du vin sur le Pfersigberg dans les années froides »…et comme nous le constaterons verre en main, 2010 le prouve de façon convaincante.
Adjoint au maire, en charge de la culture, des festivités locales et de la communication, vice-président du Syndicat Viticole et membre du bureau de le Gestion Locale du Pfersigberg, Christian Beyer s’implique avec beaucoup de conviction dans une politique de développement de son village, qui reste un facteur-clé pour communiquer sur les vins : « Eguisheim doit être un village accueillant pour les visiteurs mais sans tomber dans une offre touristique excessive qui lui ferait perdre son âme ».
La Gestion Locale du Pfersigberg est un organe dynamique avec une jeune génération de vignerons (entre 30 et 40 ans), qui ont pris les rênes de leur domaine depuis quelques années et qui sont désireux de travailler ensemble.
Le grand nombre d’exploitants présents sur le Grand Cru rend les prises de décisions souvent difficiles. Malgré ceci une charte qualitative plus contraignante que le Décret règlementant les Grands Crus a été adoptée récemment pour les vins du Pfersigberg avec comme mesures emblématiques :
- la suppression du Dépassement du Plafond Limite de Classement (D.P.L.C).
- l’interdiction de la chaptalisation
- l’augmentation du degré minimal à la vendange (12°5 pour les rieslings et 14° pour les gewurztraminers et pinots gris).
Aujourd’hui, même si seulement 45% de la superficie du Pfersigberg est revendiquée en Grand Cru les perspectives d’évolution prêtent à un certain optimisme : lorsqu’on considère la volonté des vignerons pour agir ensemble et la force d’attraction d’un village aussi beau qu’Eguisheim on peut affirmer sans hésiter que le Pfersigberg possède des atouts majeurs dans sa quête de reconnaissance…Confiance !
Les vins du domaine : quelle conception ?
Etablis depuis le XVI° siècle à Eguisheim les Beyer sont une très ancienne famille vigneronne solidement implantée dans la vie politique et économique de cette cité viticole.
Avec 5 hectares classés en Grand Cru (sur les 17) ce jeune vigneron a la charge d’un beau patrimoine viticole qu’il s’applique à valoriser par d’ambitieux projets de replantation « pour adapter au mieux les cépages aux différents terroirs ».
Sur le coteau nord du Pfersigberg au niveau du lieu-dit Sundel, Christian Beyer a crée le Clos Lucas en hommage à cet ancêtre qui a acheté des vignes, dont une partie de cette parcelle, après la Révolution Française « un projet de 10 ans qui s’est concrétisé ». C’est une parcelle pentue de 2,5 hectares de riesling, plantée en haute densité (10000 pieds/ha).
Les vendanges se déroulent sur plusieurs semaines afin de rentrer des raisins sains et mûrs, les pressurages doux et longs sont suivis par un débourbage à froid.
Au niveau des vinifications, depuis 2009 et l’achèvement de la nouvelle cave, les vins blancs fermentent et sont élevés en cuves inox et les pinots noirs en barriques bourguignonnes.
Christian Beyer privilégie les fermentations lentes et les élevages en milieu légèrement réducteur « Je suis peu sensible à l’esthétique particulière des vins oxydatifs en Alsace ». Les mises se font au printemps pour les cuvées génériques et au mois de juin pour les Grands Crus et toutes les bouteilles subissent un sulfitage léger : « nous recherchons des valeurs entre 32 et 34 mg/l de SO2 libre dans nos vins finis »
La production du domaine est écoulée millésime après millésime auprès d’une clientèle particulière très fidèle mais depuis quelques années, la demande à l’export a connu un essor considérable « d’un volume de moins de 10 % on est passé à plus de 35% en 3 ans » surtout avec le développement des marchés U.S., japonais et chinois…à ce rythme il ne va bientôt plus en rester pour nous !
Avant de nous installer dans la « Stube » de l’hostellerie nous partons pour une visite rapide de la nouvelle cave et pour une dégustation sur cuve des jus de 2011.
Issu d’un assemblage pinot blanc et auxerrois ce vin est particulièrement séduisant : simple mais très gourmand…une jolie mise en bouche !
Riesling Pfersigberg : l’olfaction est perturbée par des notes fermentaires mais la matière est riche, le gras sensible et l’acidité très élégante, la race du terroir se révèle en finale par une salinité très présente.
Riesling Eichberg : la fermentation marque plus discrètement le nez qui révèle de belles notes de citron confit, la structure en bouche très droite se présente avec moins de complexité que le Pfersigberg.
Ces deux Grands Crus en cours de fermentation possèdent encore une quinzaine de grammes des S.R. que Christian Beyer aimerait voir descendre à 6 ou 7. En tous cas, malgré leur caractère inachevé et leur richesse évidente ces deux vins sont déjà profondément marqués par leurs terroirs respectifs…c’est très bon signe !
Gewurztraminer Pfersigberg : intense et complexe sur le plan aromatique, ce vin en cours de fermentation (avec une malo achevée) étonne par son côté salin très prononcé qui équilibre une matière opulente.
Avec des raisins rentrés à 16°5 cette cuvée devra encore perdre quelques grammes de S.R. pour trouver sa véritable identité. En tous cas, on sent d’ores et déjà que le Pfersigberg commence à imprimer sa force minérale sur ce vin…MIAM !
Pinot gris Hohrain V.T. : le nez s’ouvre sur une légère réduction avant de livrer une palette bien mûre avec des notes fumées, grillées et confites, la bouche est ample et généreuse mais la finale acidulée apporte une pointe de fraîcheur très élégante.
Le Hohrain se trouve dans le secteur central du Pfersigberg mais sur un versant nord non-classé Grand Cru : c’est un terroir comparable à celui du Pfersigberg mais avec un côté plus frais…un endroit tout trouvé pour chercher des équilibres sur des matières riches comme ce pinot gris.
En guise de mise en bouche nous commençons par un Pinot Gris L’Hostellerie 2010 : le nez est complexe avec de discrètes notes de fruits jaunes, de fumée et de pierre chaude, la bouche allie onctuosité et fraîcheur.
Cette cuvée de la gamme « Hostellerie » (allusion à l’histoire du domaine mais aussi clin d’œil aux restaurateurs…) est un pinot gris très séduisant où l’acidité caractéristique du millésime résonne harmonieusement avec une matière généreuse (10 g de SR)…voilà un très beau vin qui confirme une fois de plus que 2010 est une année magique pour ce cépage.
Nous revenons vers notre sujet principal avec une dégustation verticale de Riesling Pfersigberg :
2010 : le nez est fin, racé et complexe, acacia, pêche et herbes aromatiques, l’attaque en bouche est tout en suavité mais très vite une acidité bien large et une puissante salinité s’imposent pour donner un côté très tonique à l’ensemble.
Quelle classe, quelle distinction, quel vin ! J’ai l’impression que l’on est en présence d’une cuvée majeure sur ce millésime…qu’on se le dise !
2009 : le nez est ouverte et complexe sur la pomme golden, l’abricot, les herbes aromatique avec quelques notes pierreuses, la bouche est ample et riche avec un équilibre très gourmand mais une finale un peu moins longue que sur le 2010.
Voilà un vin qui se présente comme une friandise : on ne retrouve pas la profondeur du grand 2010 mais le charme opère de façon irrésistible. MIAM franc et direct !
Un grand séducteur au tarif actuellement…
2008 : le nez est plein de distinction et de race avec des notes délicates de miel d’acacia, de pêche et une touche d’herbes aromatiques, la bouche est parfaitement équilibrée, il y a du gras, une acidité fine mais bien longue et une minéralité très affirmée en finale.
Ce superbe riesling porté aux nues par la critique œnophile (17/20 au B.D. et Coup de cœur Hachette) n’est hélas plus en vente au domaine. Mais on se consolera sans peine avec le 2010 qui marche dans ses traces et qui sera bientôt au tarif. A bon entendeur…
2007 : le nez est discret et subtil sur un registre plus floral, en bouche tout n’est que distinction et élégance avec une structure construite autour d’une acidité ténue mais longue et persistante.
Ce vin de dentelle avec une matière apaisée et élégante montre une classe et une retenue toute aristocratique…un compagnon de haute gastronomie.
2005 : le nez est mûr sur le miel de sapin et le coing frais, la bouche présente un joli gras et une acidité très fine dans le style de celle du vin précédent mais la salinité finale se manifeste avec plus d’intensité.
Ce riesling ressemble au 2007 mais se distingue par une patine supplémentaire qui le rend encore plus élégant et qui me fait penser qu’il a atteint son optimum de maturité.
2004 : le nez est épanoui sur des fruits à noyau bien mûrs, la bouche est dense et concentrée avec un moelleux flatteur (10 g de SR) mais la finale n’a pas la marque minérale des cuvées précédentes.
Un riesling plus gourmand que racé mais qui se distingue par la plénitude de sa chair qui lui donne un côté très plaisant et facile d’accès.
2002 : le nez est discret et très complexe avec une retenue pleine de classe qui évoque un peu le style du 2007 ou du 2008, on y sent un fruité encore bien frais et quelques notes de zeste, en bouche l’équilibre est tonique avec une acidité fine et précise et une finale longue et saline.
Un riesling étonnant de jeunesse et de fraîcheur à savourer aujourd’hui, mais nul besoin de se précipiter, ce vin a encore de la ressource.
2000 : le charme ‘un fruité mûr complété par quelques notes de résine opère immédiatement et rend l’olfaction particulièrement séduisante, la bouche n’est pas en reste avec sa matière concentrée tendue par une acidité fine et sa finale très sapide sur le pomelo.
Ce riesling laisse une belle impression de plénitude et de sérénité…voilà un beau vin de méditation pour finir cette série.
Le dernier carré de rieslings
L’après-midi étant déjà bien avancée l’heure du retour obligé vers Strasbourg approche mais Christian me propose néanmoins de faire une dernière petite remontée dans le temps avec un quatuor de Gewurztraminer Pfersigberg :
2008 : le nez est expressif mais très aérien avec un fruité mûr et des belles notes florales, la bouche est opulente mais la puissante salinité qui soutient la finale donne une belle impression de vivacité à l’ensemble.
Issu d’une vigne située sur la calotte sommitale du coteau du Sundel (au dessus du futur Clos Lucas) ce vin moelleux (44g de SR) mais profondément minéral laisse une superbe impression d’harmonie en bouche. MIAM !
2005 : le nez est intense, presque explosif, on y perçoit une fruité bien mûr et une touche de pain grillé, la bouche est généreuse, gourmande avec une texture très caressant et une finale suave et complexe relevée par de discrètes notes épicées.
Arrivé à maturité, ce vin puissamment expressif est une vraie friandise qui n’aura aucune peine à séduire un large public mais qui trouvera aussi sa place à table surtout en compagnie de saveurs exotiques.
2000 : le nez est d’une fraicheur étonnante même si les arômes fruités ne tiennent pas excessivement longtemps, la bouche est ample et bien ronde avec une finale délicatement mentholée et légèrement épicée.
Après le 2005 très démonstratif nous revenons vers davantage de raffinement et d’élégance avec ce gewurztraminer qui semble néanmoins avoir un peu dépassé son optimum de maturité.
1997 : le nez est époustouflant de complexité et de raffinement, miel de sapin, bois de réglisse, lavande, jasmin… la bouche est fraîche, longiligne mais bien tenue par une fine trame saline, la finale se prolonge avec une ouverture aromatique exceptionnelle.
Quelle jeunesse, quelle race...un vin d’une beauté rare qui montre que sur certain millésimes le potentiel de garde des Pfersigberg dépasse allègrement la décennie ! Que dire de plus ? Rien, silence et recueillement…et fin de série en apothéose !
Quatuor final et apothéose
Pour conclure, un petit bilan sur cette quatorzième expérience de visite approfondie d’un terroir Grand Cru (attention je risque de me répéter…) :
- J’ai renforcé ma conviction qu’une bonne compréhension d’un vin passe évidemment par la dégustation mais s’enrichit considérablement si on fait la démarche d’aller sur place, sentir l’énergie des terroirs où il naît et rencontrer les gens qui le conçoivent…je ne boirai plus jamais des Pfersigberg comme avant !
- Cette quatorzième étape sur la route des Grand Cru m’a mis en présence d’un terroir très compliqué à étudier : issu d’un découpage qui a plus tenu compte des enjeux humains que des points de convergence d’ordre physiques et géologiques, le Pfersigberg aura surement quelques difficultés a communiquer sur son unité mais il n’en reste pas moins qu’il permet à quelques talentueux vignerons d’Eguisheim de sortir régulièrement des cuvées dont la haute valeur qualitative justifie pleinement sa place parmi l’élite alsacienne.
- Tout en élégance et d’une tenue presque aristocratique les vins du Pfersigberg se distinguent par des palettes complexes et raffinées et des présences en bouche pures, longilignes et soutenues par une acidité fine, ondulante mais qui équilibre leur structure sans la tendre excessivement…pas d’excès de force ou d’excentricité mais souvent une classe incontestable !
- Avec la récente construction de locaux professionnels spacieux et fonctionnels, le superbe projet de Clos sur le Pfersigberg dont on pourra goûter les premiers vins dans quelques années et le passage en viticulture biologique on peut dire que Christian Beyer a tout mis en œuvre pour se donner les moyens de ses ambitions…dans de telles conditions la réussite est presque inéluctable et, pour tout dire, amplement méritée !
Christian Beyer est un vigneron cultivé, impliqué dans la vie de son village et profondément convaincu de la grande valeur des terroirs d’Eguisheim : sa passion et sa générosité sont une véritable bénédiction pour tout œnophile curieux et désireux d’apprendre…Quelle belle rencontre !
Merci pour cette journée mémorable.
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