Au Boeuf à Sessenheim - Au temps en emporte le vent...

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A l'occasion des 75 ans de ma maman, l'occasion est rêvée pour retourner dans cette charmante localité du nord du Bas-Rhin, Sessenheim, à deux pas du musée qui relate les amours contrariées de Frédérique Brion, délicieuse fille du pasteur local, et du grand poète Goethe.

C'est donc Au Boeuf que nous avons réservé il y a déjà deux mois en demandant humblement de pouvoir bénéficier du sympathique salon de Tante Pauline comme lors de nos précédents repas. Il nous a alors été répondu que pour l'instant ce n'était pas possible car nous étions la seule réservation mais qu'en cas d'affluence, ça ne devrait pas poser de problème.
Nous arrivons plein d'enthousiasme à midi pour nous retrouver dans la première salle et la première table à gauche, avec vue imprenable sur tous les autres convives accueillis avec effusion par la patronne...
Nous ne nous attendions pas à un traitement de faveur, nous sommes conscients de notre rang social peu élevé, mais il est toujours désagréable d'apprendre de la bouche du sommelier à qui je m'ouvrais de ce détail, qu'un groupe plus important (nous étions seulement sept convives dont deux enfants) que nous avait eu droit au dit salon. Peu importe, nous ne sommes pas habitués à de telles attentions et sommes très heureux qu'elles soient réservées à l'élite.

Revenons donc à ce qui nous intéresse : le menu, les vins et tout ce qui va avec.

Un muscat 2018 du domaine Bott frères en guise d'apéritif. Une version dans un style sec de ce cépage. C'est long en bouche avec un fruit bien présent et une bonne tenue gastronomique.
J'avoue avoir été un peu déçu par la première série de mise en bouche.
Fort heureusement, une autre petite attention au caviar de hareng arrive, bien maîtrisée et qui se marie agréablement avec le muscat.
Je me lance dans la saine lecture de la carte des vins. Il y a de quoi faire même si je constate une hausse certaine des tarifs et la disparition de plusieurs références (par exemple Beaurenard en Châteauneuf du Pape, certes Rayas est présent mais ce n'est pas du tout la même gamme de prix). Je choisis de rester si possible en Alsace. Je suis lassé des bourgognes blancs et autres régions, qui la plupart du temps atteignent des tarifs conséquents (avec une culbute élevée côté tarif) pour un plaisir plus que mitigé.

J'ai suivi les conseils du sommelier pour débuter avec un riesling grand cru Pfersigberg 2016 du domaine Emile Beyer. Il a pour mission d'accompagner la baudroie de Plouguerneau dans un premier temps. C'est un vin intéressant mais servi beaucoup trop froid.
Je suis sans doute un client peu fortuné, un râleur impénitent, un mauvais connaisseur des vins mais jamais, au grand jamais, je ne pourrais tolérer la façon plus que répandue de plonger les vins blancs commandés dans un seau empli de glace (bonjour le choc thermique !), de l'y laisser sombrer rapidement en température et lui couper les ailes. Il nous faut donc patienter longtemps pour pouvoir apprécier les qualités de ce vin bien né, qui sait rester mesuré et révèle son beau terroir. Un vin délicat avec une salinité intéressante.
J'ouvre une parenthèse pour, tout gueux que je suis, me remémorer l'ineffable talent de l'ancien sommelier de l'Arnsbourg du temps de sa splendeur, Bertrand Habsinger, qui (en plus de son conseil et de sa science vinique) avait l'art et la manière de servir le vin commandé à l'exacte température.
Ce riesling a aussi pour mission de donner la réplique à une œuvre de haute tenue qu'est le mariage de la truite Fario et de l'œuf fermier.
Malheureusement le service ne suit pas. Le riesling reste prisonnier de la glace, on l'entend se lamenter, souffrir et maudire les frimas. Je me lève donc pour le sauver, assurer le service avant qu'enfin quelqu'un se rendre compte du problème. C'est regrettable et hautement dommageable. A quoi bon servir des vins tombés à quelques misérables degrés, pétrifiés et terrorisés ? Essayez avec ce que vous voulez. Du plus modeste breuvage qui aura connu des rendements à 3 chiffres aux plus mémorables (mais hélas inaccessibles) flacons que notre beau pays produit, vous ne connaîtrez que déception et serez condamnés à un exil lointain pour avoir oublié combien le jus de la treille est fragile et réclame toute notre attention pour exprimer son potentiel.
Fort heureusement, le sommelier comprend mes attentes et rectifie enfin le tir.
C'est donc un riesling revigoré qui va parfaitement rendre hommage à ce mariage de la truite et de l'œuf. Un plat qui a fait l'unanimité !

Le hasard a voulu que le sommelier après quelques ajustements, m'oriente ensuite vers un pinot gris Zellberg 2017 de chez André Ostertag que j'avais choisi sans lui dire. Il est chargé d'accompagner des ormeaux de pleine mer pour certains et du turbot pour d'autres, allergiques aux fruits de mer comme moi. Un vin de bonne facture, avec une belle rondeur, des notes de fruits jaunes avec une finale saline. Une belle tenue à table et une preuve de plus qu'André Ostertag est vraiment l'un des plus grands vinificateurs alsaciens.
Le merlu en ligne et sa sauce aux carottes et au gingembre n'effraient pas le pinot gris qui l'accompagne avec bonheur.

Pour le bœuf Salers maturé et sa contre raviole au foie gras, je désire un pinot noir et comme souvent, je m'oriente vers le millésime 2015 cuvée V de chez Muré. C'est décidément une belle bouteille d'un grand millésime, qui sait accompagner délicatement le plat (au demeurant fort bon), malgré sa puissance, sa race et sa grande longueur.

Il est vrai que le tarif de ce vin est en hausse sur la carte. Le menu quintessence suit et affiche à présent 95 euros. C'est encore mesuré à l'aune d'autres maisons (asseyez vous solidement et allez vérifier par vous-même combien coûte le menu dégustation chez Marc Veyrat par exemple) mais la tendance haussière (comme le diraient les spécialistes de la bourse) va forcément engendrer un changement de clientèle et réserver ces agapes à une frange plus fortunée de la population. Dont acte. J'y reviendrai.

Avant une potentielle variation sur le coing, nous avons droit à un délicat gâteau d'anniversaire pour lequel je m'oriente vers un crémant 2013 grand millésime de chez Muré. Un mousseux plutôt vineux, avec une belle longueur, des notes oxydatives pas trop marquées et des arômes de pêche et d'agrumes. Je ne veux pas verser dans un chauvinisme de mauvais aloi, ni dans la caricature, mais je pense qu'il y a assurément de quoi remplacer par nos productions locales la plupart des champagnes qui fleurissent sur les cartes des vins (pour avoir été en Champagne cet été et avoir vu et même senti, je peux vous dire combien on traite les vignes là-bas pour au final un produit à un prix souvent conséquent) et ne brillent guère au révélateur prix/plaisir.
Deux courageux testèrent encore la variation finale sur le coing, assez réussie.

Un menu quintessence intéressant mais des bémols toutefois. Il y a certainement des ajustements possibles pour optimiser le service et notamment celui du vin !! Nous comprenons très bien qu'en ce jour de grande affluence, des tablées plus importantes et plus fortunées aient accaparées les employés.
Nous ne venons pas dans ce genre d'endroit pour les ronds de jambes. On n'y a pas droit et on n'en veut pas.
Nous souhaitons la pleine réussite de ce qui semble être l'objectif des maîtres des lieux : la deuxième étoile au Michelin.
N'oublions cependant jamais que l'âme de ces grandes maisons vient des modestes gens qui les ont fréquentés et appréciés à leur juste valeur, conscients du grand talent et de tous les sacrifices nécessaires à la réussite.
Pression des guides, croissance trop rapide, équipe en rodage, je sais trop mais au final, je garde un souvenir bien moins impérissable que lors de nos précédentes venues Au Boeuf et la très désagréable impression d'un service moins présent et un tant soit peu mécanique sans la magie d'autrefois.
Bon vent Au Boeuf dans son actuelle orientation.

Je me rappelle combien j'avais apprécié chacun de mes nombreux passages au Cygne de Gundershoffen du temps de Monsieur et Madame Paul, qui avaient l'art et la manière de mettre chaque convive (aussi modeste soit-il) à l'aise et de permettre à tout un chacun de goûter à l'art culinaire.
Je pense aussi au restaurant Les Plaisirs Gourmands du temps pas si lointain d'Astrid et de son talentueux mari et chef, qui proposaient une carte des vins à tomber à des tarifs incroyables, un service impeccable et attentionné et une cuisine qui aurait mille fois mérité l'étoile au guide Michelin.
Last but not least, Serge Burckel qui, au rez-de-chaussée d'un immeuble de Schiltigheim, proposait une excellente cuisine rencentrée sur l'essentiel : le plaisir de la table qui doit primer sur tout et rappeler que tout le reste n'est que secondaire.
On connaît certaines tables alsaciennes qui feraient bien de s'en inspirer.

Le propos pourrait aussi concerner certaines adresses de maisons de vin. Je pourrai multiplier les exemples, mais je ne saurais dire une nouvelle fois combien j'ai été bien reçu chez André Ostertag lors de mes trop rares passages ou chez Rolly-Gassmann, adresse à mon goût bien trop peu présente sur les tables étoilées et délaissée pour des raisons que j'ignore.

Contentons nous dès lors de revenir à nos classiques et de nous rappeler ces vers intemporels de Lamartine :
" Ô temps ! Suspend ton vol, et vous, heures propices !
Suspendez votre cours
Laissez-nous savourer les rapides délices
Des plus beaux de nos jours !

Philippe Pister - octobre 2019

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