Périple savoyard 2017 : visite au domaine Lupin à Frangy
Bienvenue en Haute Savoie : on y trouve des paysages magnifiques mais aussi quelques très beaux vins.
La sortie vinique de l’été 2017 sera une grande première dans ma vie de picoleur errant puisque je vais passer 3 jours dans le pays du Mont Blanc, entre la Haute Savoie et le Valais, avec un programme plutôt ambitieux qui prévoit une via ferrata le matin et une rencontre vigneronne l’après-midi.
Ma forme physique actuelle ne me permettra peut-être pas de mener mon projet sportif à son terme, par contre je compte bien assurer jusqu’au bout la partie vinique de ce périple inédit qui va me permettre de découvrir 3 domaines : le domaine Lupin à Frangy, le domaine Belluard à Ayse et le domaine Besse à Martigny.
Hoppla, c’est parti !
Domaine Lupin à Frangy
Après un début de journée assez exigeant – le voyage depuis Strasbourg et la via Pollet-Villard à La Clusaz – il était important de trouver une première étape vigneronne avec des vins capables de redonner un peu de tonus à une vieille carcasse qui aura surement présumé de ses forces…
Compte tenu de ma situation géographique – j’ai crapahuté dans le massif des Aravis – le vignoble de Frangy situé dans la vallée des Usses (entre Annecy et Bellegarde) constitue un point de chute intéressant…d’autant plus qu’on peut y rencontrer un vigneron dont les cuvées de Roussette de Savoie commencent à se faire remarquer dans la sphère oenophile : c’est parti pour une première visite au domaine Lupin !
Le domaine Lupin se trouve très facilement : il suffit de suivre la route principale qui traverse le village de Frangy et de s’arrêter sur le parking de « La Cave de la Ferme », une auberge savoyarde tenue par la sœur de Bruno Lupin.
Le caveau de dégustation est installé dans l’auberge et les locaux professionnels de l’exploitation viticole sont aménagés dans les dépendances de cette grande propriété familiale.
L’entrée du chai du domaine Lupin
De retour d’une tournée d’inspection dans se vignes, Bruno Lupin me propose de débuter ma visite par un passage à la cave…histoire de préparer notre dégustation en me présentant son domaine ainsi que les grands principes qui le guident dans son travail de vigneron.
Frangy fait partie des quelques villages qui peuvent faire figurer un nom de cru en complément de l’appellation Roussette de Savoie avec Desingy et Chaumont (cru Frangy), Jongieux et Lucey (cru Marestel), Saint-Alban-Leysse (cru Monterminod) et Saint-Jean-de-Chevelu (cru Monthoud)…et pourtant la superficie totale de ce vignoble est vraiment minuscule « environ 30 hectares en tout à Frangy et 4 vignerons récoltants travaillant à plein temps…mais on commence à replanter de la vigne »…voilà qui est plutôt bon signe !
Une partie du stock de Roussette Frangy du domaine Lupin.
« Le vignoble de Frangy est de taille modeste mais on peut y repérer 3 secteurs avec des terroirs différents » :
- Frangy est un terroir de molasse argilo-calcaire situé à une altitude de 350 à 400 m sur une moraine glaciaire exposée plein sud,
- Chaumont est un terroir argilo-calcaire situé à une altitude de 500 à 600 m,
- Desingy est un terroir plus profond avec des sols plus riches.
Bruno Lupin a suivi une formation viti-oeno au lycée de Beaune puis a travaillé durant 15 ans dans une grande cave en Suisse avant de revenir prendre en main les 1,5 hectares de vignes du domaine familial. Pour pouvoir passer de la polyculture à la production exclusive de vin, il a augmenté considérablement la surface de son patrimoine viticole initial en replantant 4 hectares d’altesse et de mondeuse.
« J’avais un très bon travail en Suisse mais j’en avais assez de vinifier du chasselas…je suis donc revenu au pays par amour de l’altesse »
Bruno Lupin, chevalier servant de l’altesse…un joli titre pour mon article, non !
L’altesse est un cépage difficile à travailler « c’est une vigne qui produit de petits raisins mais qui développe un feuillage volubile…on pourrait presque la voir pousser ! ». S’il veut récolter des raisins de qualité, le vigneron est obligé de surveiller de près la croissance de ses vignes pour assurer une gestion adaptée de leur surface foliaire et permettre à la plante d’atteindre son équilibre optimal.
Les cuvées d’altesse du domaine Lupin
La mondeuse est un cépage « naturellement très généreux » qui demande au vigneron un suivi vigilant pour assurer un contrôle des rendements : « Mes vieilles vignes se régulent d’elles-mêmes mais ma jeune vigne (12 ans) est plus productive et exige parfois une vendange en vert ».
Avec une belle proportion de vieilles vignes et un travail sérieux pour maîtriser la vigueur des jeunes plants le rendement moyen du domaine Lupin se situe aux environs de 50 hl/ha…bien en deçà des limites autorisées dans l’appellation (60 à 62 hl/ha)..
Pour l’élevage de ses cuvées de Roussette, Bruno Lupin utilise plusieurs types de contenants : de cuves d’acier émaillé de 25 hl, des cuves inox et des fûts de chêne ou d’acacia. En 2016, le domaine a acquis une cuve béton ovoïde destinée à l’élevage de la Cuvée du Pépé réalisée avec les vieilles vignes d’altesse.
Pour l’heure, suite à un retard de livraison, la Cuvée du Pépé 2016 n’a bénéficié de ce contenant que pour la phase d’élevage « mais la cuvée 2017 sera vinifiée et élevée dans cette cuve béton ».
Pour élever sa mondeuse, Bruno Lupin utilise les barriques les plus âgées du domaine « j’aime le bois pour sa structure qui permet une micro-oxygénation bénéfique à l’affinage de mes vins mais je ne veux pas que leurs expressions aromatiques soient trop marquées par l’élevage ».
Les cuves en acier émaillé du domaine Lupin…
…et une partie de son parc à barriques.
La nouvelle cuve béton contenant les vieilles vignes d’altesse de 2016.
Après cette mise en condition fort intéressante, Bruno Lupin m’invite à l’accompagner dans l’auberge familiale pour passer aux travaux pratiques en dégustant les vins proposés actuellement à la vente. : 5 blancs, 1 rosé, 1 rouge et un crémant…joli programme !
Notre coin dégustation dans l’auberge « La Cave de la Ferme »…
…et un Spiegelau pour « travailler » !
Roussette de Savoie Frangy 2016 : nez fringant et charmeur, notes florales délicates sur un fond fruité bien frais, attaque assez douce, matière suave qui se tend progressivement, finale pointue et bien tonique.
Récompensée par une médaille d’or au « Concours des vins de Savoie » cette première Roussette s’exprime une vraie spontanéité tout en révélant une structure légère et très élégante en bouche…voilà une très belle entrée en matière !
Roussette de Savoie Frangy-Les Barriques 2016 : nez discret, fines nuances miellées et résineuses au nez, matière ample et concentrée, texture soyeuse, finale persistante, sillage sur le miel de sapin.
Cette cuvée élevée en fûts de chêne a été mise en bouteilles récemment et montre encore beaucoup de retenue sur le plan aromatique mais sa présence en bouche très raffinée nous laisse envisager son avenir avec confiance.
Roussette de Savoie Frangy-Cuvée du Pépé 2015 : nez encore un peu retenu mais palette florale et miellée très engageante, superbe tenue en bouche avec un équilibre sec et un gras très onctueux, finale élancée et digeste soutenue par une amertume délicate, retour aromatique assez long sur le miel et les fleurs des prés.
C’est le grand-père de Bruno Lupin qui a planté cette parcelle d’altesse il y a 65 ans et le nom de cette cuvée de Roussette lui rend un bel hommage : avec son l’expression aromatique d’une grande finesse et sa matière équilibrée et caressante en bouche, ce vin est redoutable de gourmandise. MIAM !
Roussette de Savoie Frangy-Cuvée de L’Acacia 2014 : nez subtil et complexe, belle palette florale et miellée sur un fond brioché très suave, matière ample, puissante et solidement tendue en bouche, finale sapide avec des amers nobles et un sillage marqué par des notes grillées/toastées.
Comme son nom le suggère, cette cuvée a été élevée durant 14 mois dans 2 pièces d’acacia qui ont été étrennées en 2012 – la cuvée 2014 est donc le 3° vin élevé dans ces fûts.
Profitant des effets conjugués de l’élevage, du millésime et du vieillissement cette Roussette qui s’exprime aujourd’hui avec une belle plénitude m’a impressionné par sa force et sa profondeur.
Vin de France Les Vendanges Oubliées 2015 : nez fin et complexe, notes de mirabelle, coing frais, miel de fleurs, matière riche (60g de SR) et suave tenue par une ligne acide bien ne place, finale douce et délicatement miellée.
Récoltée en surmaturité (18°5 potentiel), « Les Vendanges Oubliées » est une cuvée rare que Bruno Lupin ne réalise que lorsque le millésime s’y prête – la dernière date de 2009.
C’est un vin moelleux plein de fruit et de gourmandise mais qui se laisse boire avec beaucoup de facilité grâce à sa belle structure acide. MIAM !
Vin de Savoie Mondeuse Rosé : aromatique fruité simple mais très pure, attaque souple, milieu de bouche un peu doux, finale légère et désaltérante.
Ce joli petit rosé de mondeuse conçu comme un vin de soif remplit parfaitement son rôle mais là aussi c’est une cuvée qu’on ne trouvera pas chaque année au domaine Lupin : « je ne fais ce rosé que lorsque j’ai récolté assez de raisins de mondeuse…et ça n’arrive pas chaque année ». Dommage !
Vin de Savoie Mondeuse 2016 : nez discret mais très agréable, notes de fruits rouges frais avec une fine touche poivrée, matière juteuse et bien déliée, trame tannique mûre, finale nette mais encore un poil austère.
Réalisée à partir d’un assemblage à parts égales de vendange entière et de vendange égrappée, cette cuvée a été élevée dans les plus vieilles barriques du domaine.
Bruno Lupin qui sait que « Frangy n’est pas un terroir propice à l’élaboration de grands vins rouges » a choisi de vinifier cette mondeuse dans un style souple et accessible « un vin plaisir qui accompagnera avec bonheur des charcuteries et des fromages savoyards ». MIAM !
Bruno Lupin très concentré face à sa cuvée de mondeuse
Crémant de Savoie : nez fin et délicat, palette florale et miellée caractéristique de l’altesse, vif et frais en bouche, mousse onctueuse, finale nerveuse et appétente.
Ce crémant original issu à 100% d’altesse et élevé sur lattes durant 18 mois constitue une exception dans l’appellation dont le cahier de charge exige la présence de jacquère dans l’assemblage. Profitant d’une mesure dérogatoire en vigueur jusqu’en 2020, Bruno Lupin nous propose cette bulle pleine de charme et de vitalité.
MIAM !
Notre série du jour
Après un premier contact plutôt convaincant avec la rocaille alpine, cette journée s’est terminée en beauté par une rencontre vinique qui a tenu toutes ses promesses.
Je connaissais l’appellation Roussette de Savoie à travers les superbes cuvées Marestel de Joël Dupasquier mais j’avoue que je n’avais encore jamais entendu parler du cru Frangy jusqu’à aujourd’hui. C’est maintenant chose faite – et bien faite – grâce à Bruno Lupin qui m’a reçu avec beaucoup de sympathie et de générosité pour me faire découvrir ces jolis vins savoyards.
Armé d’une solide formation œnologique française et d’une grande expérience de vigneron acquise en Suisse Bruno Lupin a choisi de revenir au pays pour mettre en valeur les beaux terroirs de Frangy…pari ambitieux et difficile car cette appellation très prisée en Suisse au XVII° siècle – J.J. Rousseau en a d’ailleurs fait l’éloge dans ses « Confessions » – n’est plus représentée que par une poignée de vignerons aujourd’hui.
Sa viticulture est exigeante et vertueuse – il n’utilise pratiquement que des préparations bio – et son travail en cave est réfléchi et souvent novateur. « Faire des vins mono-cépage me pousse à tenter des expériences » : c’est ainsi que sur le dernier millésime, il a choisi d’élever sa « Cuvée du Pépé » dans une cuve ovoïde en béton mais a également tenté une macération longue sur une cuvée d’altesse.
Résultats à suivre…et pourquoi pas l’année prochaine lors d’une nouvelle visite ?
Les vins dégustés ce jour montrent un niveau qualitatif tout à fait satisfaisant et leur rapport Q/P vraiment exceptionnel en font d’emblée un must pour tout amateur qui a envie de remplir sa cave avec quelques belles quilles savoyardes.
La série de Roussette de Savoie nous propose des blancs bien typés et très gourmands avec des matières de plus en plus denses au fur et à mesure qu’on monte en gamme et le rouge de mondeuse est une pure friandise qui ne montre son côté montagnard qu’en fin de bouche.
Les deux vins un peu atypiques produits par Bruno Lupin ne manqueront pas de surprendre l’œnophile : le crémant par sa belle maturité et la cuvée des « Vendanges Oubliés » par son équilibre à la fois riche et digeste.
Coup de cœur général pour ces vins authentiques et faciles à aimer ainsi que pour ce vigneron avec qui j’ai eu la chance de partager quelques beaux instants viniques.
Le bar de l’Auberge de la Ferme où on peut déguster les vins de Bruno Lupin.
Mille mercis à Bruno Lupin pour son accueil.
Ajouter un commentaire