Visite estivale au domaine Emile Beyer à Eguisheim

J’ai rencontré Christian Beyer pour la première fois en 2012 à l’occasion de mon étude du Grand Cru Pfersigberg et j’ai tout de suite senti que ce vigneron amoureux de ses terroirs et passionné par son travail allait prendre une place particulière dans mon carnet d’adresses alsaciennes.
Depuis, je viens très régulièrement me promener du côté d’Exa, seul ou en compagnie de visiteurs à qui je fais découvrir les charmes de notre belle région et je ne manque jamais de m’arrêter au domaine Emile Beyer pour y déguster quelques vins.
Accaparé par son métier et ses nombreux projets, souvent par monts et par vaux pour promouvoir ses crus, Christian n’a pas autant de temps qu’il voudrait pour partager quelques moments d’échanges œnophiles avec des amateurs désireux d’en apprendre davantage sur ces terroirs bénis où naissent quelques uns des plus beaux vins d’Alsace.
Après une promesse faite lors d’une courte entrevue au Salon Millésime à Colmar, nous avons enfin réussi à faire concorder nos agendas et trouver cette après-midi de liberté pour flâner les vignes et déboucher quelques jolies bouteilles.
Hoppla c’est parti !

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L’hostellerie « Au Cheval Blanc »…toujours aussi majestueuse au centre d’Eguisheim.

Après une petite flânerie matinale dans les rues de Dambach – reportage photo pour mon article sur le prochain Grand Cru – et une pause de midi au restaurantl’Altévic à Hattstatt, je me retrouve au domaine Beyer où Christian et Valérie m’attendent pour m’accompagner durant cet après-midi.
Au programme : promenade dans les vignes sur le coteau du Sundel suivie par une dégustation des 2015 en cours d’élevage et de quelques flacons sélectionnés  par Christian.

Avant de partir en direction du vignoble d’Eguisheim nous faisons un tour dans la superbe cave sous l’hostellerie : cet espace encore en cours d’aménagement sera dédié au vin et à l’histoire de la famille Beyer.

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La cave historique du domaine…bientôt un petit musée familial.

Notre première étape se situe sur le Grand Cru Pfersigberg, au niveau du lieu-dit Sundel, un coteau calcaire exposé au sud où on trouve une faune et une flore qui rappellent certains vignobles méridionaux : lavande, origan, géranium sanguin, lézards….il ne manque que les cigales !

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Les lavandes du Sundel…

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…et l’origan qui colonise les enrochements.

Sur ce terroir hautement qualitatif Christian Beyer a crée le Clos Lucas où se trouvent une parcelle de 1,5 hectares de riesling plantée en 2010 et une très jeune vigne de pinots noirs (1 hectare).

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Les rieslings du Clos Lucas plantés à 8000 pieds/ha.

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La nouvelle parcelle de pinots noirs du Clos Lucas.

Aujourd’hui, les rieslings du Clos entrent dans l’assemblage de la cuvée de riesling « générique » du domaine « on attendra au moins jusqu’en 2020 pour envisager de réalisée une cuvée parcellaire sur le Clos ».
La jeune vigne de pinot noir vient d’être plantée mais Christian est convaincu qu’elle a le potentiel pour produire un grand vin rouge « du beau matériel végétal, une exposition idéale et un sol de calcaire oolithique : les conditions optimales sont réunies pour réussir de belles choses »…et quand on connaît la valeur du travail de ce vigneron à la vigne et en cave on ne peut que partager cette confiance !
Un Clos où naissent un grand riesling et un grand pinot noir…ça fait penser au Clos Saint Landelin non !

Plus haut sur le coteau du Sundel, il y a une parcelle de vieux rieslings dont les raisins entrent dans la cuvée de Pfersigberg du domaine et une jeune vigne de gewurztraminer plantée dans les limites du Grand Cru mais qui ne sont pas encore assez matures pour entrer dans la grande cuvée « le gewurztraminer Grand Cru du domaine est réalisé à partir d’une parcelle située sur le lieu-dit cadastral Pfersigberg ».

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Les vieux rieslings du Sundel plantés sur terrasses.

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Une belle grappe de riesling au stade « grain de plomb » et une autre qui a souffert du mildiou.

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La jeune vigne de gewurztraminer avec ses sols fraîchement travaillés.

En allant un peu plus vers la montagne, nous arrivons vers la parcelle de pinot noir du Sundel, une jeune vigne qui a permis à Christian de réussir une première cuvée vraiment exceptionnelle en 2013 : le Pinot Noir Sundel 2013…hélas épuisé aujourd’hui.
Cette parcelle séparée en deux par un chemin est un lieu béni pour ce cépage : très calcaire, exposée au sud et bénéficiant de la fraîcheur des courants d’air qui descendent du massif vosgien.

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Les pinots noirs du Sundel côté est…

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…et une partie du côté ouest avec les 3 châteaux d’Eguisheim au loin.

En 2014 les pinots noirs du Sundel ont été ravagés par la drosophile Suzukii, en 2015 la sécheresse a considérablement affecté les rendements de cette parcelle (29 hl/ha) et pour 2016 les perspectives ne sont pas plus optimistes « suite aux attaques de mildiou, les rendements ne vont pas être bien meilleurs cette année ».
D’ailleurs Christian envisage d’augmenter la superficie de cette parcelle en valorisant une friche qui prolonge la partie est du Sundel « c’est la jungle mais on y trouve des murets qui prouvent qu’il y a déjà eu de la vigne ici ».

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La friche près de la vigne de pinot noir du Sundel…

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…et les vestiges des murets couverts d’une végétation luxuriante : je crois que les défricheurs vont s’amuser !


Après cette longue promenade sur le coteau nord du Pfersigberg nous partons en direction de la nouvelle cave du domaine Beyer pour déguster quelques vins de 2015 qui terminent leur phase d’élevage.

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Cuves et barriques dans la nouvelle cave du domaine Beyer

Riesling Saint Jacques 2015 : c’est un vin suave et généreux (13°3 potentiels mais il s’approche des 14°…) avec un fond citronné très dynamique.
Ce riesling séjourne en cuve sur lies totales depuis octobre 2015 et aura besoin d’encore un peu de temps pour trouver son équilibre et suivre les traces de l’excellente cuvée 2014.

Chardonnay 2015 : c’est un jus bien fruité, rond et gourmand en bouche qui se goûte avec beaucoup de plaisir aujourd’hui.
Jugée trop riche pour constituer le vin de base pour le crémant de la maison, cette cuvée devra attendre les chardonnays de 2016 pour coincer sa bulle.

Muscat 2015 : l’aromatique est délicate avec une palette florale bien complexe mais la présence en bouche révèle une puissance surprenante pour ce type de vin.
Les puristes trouveront ce muscat un peu atypique mais les vrais gourmands apprécieront…en ce qui me concerne, j’adore !

Riesling Grand Cru Pfersigberg 2015 : après une petite oxygénation qui fait passer rapidement les notes de réduction, le vin montre un fruité assez discret au nez mais plus expressif en bouche. On y sent une matière bien juteuse qui dégage une vraie sensation d’énergie et une finale droite et saline qui laisse persister un joli sillage aromatique sur le pamplemousse.
Riesling Grand Cru Eichberg 2015 : le nez développe une palette bien mûre sur les fruits jaunes, la matière opulente et tenue par une structure acide très large donne une belle impression de force et de souplesse conjuguées.
Ces deux rieslings à forte personnalité donnent l’impression que le millésime 2015 a exacerbé leur caractère pour les rendre vraiment très différents : en tout cas ce Pfersigberg droit et salin et cet Eichberg ample et généreux forment un duo très complémentaire.

Pinot Noir Tradition 2015 : le nez est accessible et charmeur avec une palette sur les fruits rouges et noirs, la bouche reste en cohérence en flattant nos papilles par une texture soyeuse et une aromatique particulièrement suave.
(élevage en cuve)
Pinot Noir Hostellerie 2015 : malgré une aromatique durablement perturbée par d’intenses notes de réduction, ce vin se montre d’une incroyable gourmandise en bouche avec des arômes de fraise, une structure sphérique et un toucher très caressant.
(élevage en barriques)
Pinot Noir Sundel 2015 : le nez semble bien mieux en place avec une palette raffinée où on trouve déjà quelques belles nuances minérales et un boisé très délicat. En bouche la matière juteuse solidement tramée, le toucher velouté et la finale longuement aromatique nous promettent une cuvée équilibrée et épanouie qui sera accessible très rapidement.
(élevage en barriques avec ¼ bois neuf – dégusté sur fût neuf)
Avis aux amateurs, 2015 sera une année exceptionnelle pour les pinots noirs alsaciens et Christian Beyer n’a pas raté le coche en sortant 3 vins particulièrement réussis : « Tradition » est parfait pour une plaisir immédiat, « Hostellerie » bien que faiblement protégée (1g de SO2) promet de très belles émotions et « Sundel » issu de cette vigne magique qui a souffert durant ce millésime (29 hl/ha) est déjà si flatteur qu’il sera très dur à garder en cave…même si son niveau le justifierait amplement !

Pinot Gris Hohrain 2015 : les fruits jaunes bien mûrs et une fine touche exotique composent une palette aromatique riche et flatteuse, la bouche très opulente montre encore un peu de rondeur mais la salinité qui se perçoit en finale est très prometteuse.
Ce pinot gris né sur le coteau du Hohrain n’a pas encore fini de fermenter  – il reste 14 à 15 grammes de sucres résiduels – mais Christian espère le faire descendre jusqu’à 7 ou 8 grammes afin de créer cet équilibre optimal qui mettra en valeur la puissante minéralité de cette cuvée. Un beau vin de terroir en perspective !

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Vu du Sundel, le coteau du Hohrain avec la vigne de pinot gris du domaine Beyer à côté de la parcelle de muscats replantée récemment

Gewurztraminer Hostellerie 2015 : sorti de cuve mais d’une parfaite limpidité ce vin semble déjà parfaitement en place avec son aromatique fruitée, finement épicée et sa matière généreuse et bien digeste en bouche.
Gewurztraminer Grand Cru Pfersigberg 2015 : avec ses notes de réduction à l’ouverture et son fruité plutôt timide, le Grand Cru semble faire quelques manières mais en bouche il impose sa classe avec une matière généreuse et concentrée étirée par une tension acide/saline de belle facture.
Une fois n’est pas coutume, le gewurztraminer Hostellerie se présente comme le séducteur invétéré de la gamme du domaine Beyer alors que le Grand Cru, visiblement mécontent d’être dérangé pendant sa phase de maturation, nous

Pinot Gris V.T. 2015 : le nez est déjà très flatteur avec une palette sur l’abricot confit et la pêche au sirop ; la bouche riche et juteuse finit sur une belle impression de sapidité.
La petite friandise qui ponctue la fin de ce tour d’horizon très complet du millésime 2015 reste dans la « ligne éditoriale » de la production du domaine : richesse annoncée, concentration assumée mais équilibre précis et digeste. MIAM !


Pour terminer cette longue visite nous revenons vers le centre du village pour nous installer dans la cour de l’hostellerie et déguster quelques vins en bouteille :


Sylvaner Tradition 2015 : nez expressif, palette agréable, notes de citronnelle et d’herbes sèches, matière assez dense avec un toucher bien gras, finale aérienne, délicatement acidulée.

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Alliant une vraie gourmandise et une présence raffinée en bouche, ce sylvaner est pratiquement irrésistible…c’est le type de vin idéal pour illuminer une tablée estivale. MIAM ! !

Riesling Grand Cru Pfersigberg 2014 : nez racé, palette délicate sur les fruits à noyau et les herbes de garrigue – la garrigue du Sundel, bien sûr – matière fuselée, étirée par une ligne acide mûre et tendue, présence saline qui marque la texture, finale tonique, sillage sur les zestes d’agrumes

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Dégusté une première fois lors du salon Millésime 2016, le riesling Pfersigberg du domaine Beyer confirme son statut de grand vin : fin et complexe au nez et tramé avec une minéralité déjà bien définie…MIAM !

Pinot Gris Hohrain 2014 : nez bien frais mais très discret où on devine de beaux arômes de fruits blancs, matière souple avec un milieu de bouche bien sec (3g de SR), finale longue, très saline et relevée par de beaux amers minéraux

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Voilà une interprétation très inhabituelle du pinot gris qui nous présente une expression olfactive pleine de retenue et une silhouette longiligne très élégante avec un équilibre sans concession…très beau vin de gastronomie !

Gewurztraminer Hostellerie 2012 : nez très flatteur, notes d’épices, d’agrumes confits, de bergamote, équilibre voluptueux en bouche, finale bien allongée, sillage persistant sur le gingembre et les épices.
S’exprimant avec un certain classicisme ce gewurztraminer montre un caractère sociable et caressant tout à fait irrésistible…une fois encore, on se rend compte que cette gamme « Hostellerie » du domaine Beyer nous propose de très belles cuvées.


Pour finir en beauté, Christian Beyer a choisi 4 gewurztraminers prélevés dans la réserve du domaine : « ce sont des vins qui deviennent très intéressants avec l’âge ».

Gewurztraminer Hostellerie 2008 : nez frais et délicat, notes de mandarine et d’herbes aromatiques, attaque pointue puis milieu de bouche plus confortable avec une matière épaisse et bien soyeuse, finale salivante, sillage aromatique long, arômes d’infusion.
Gewurztraminer Hostellerie 1997 : nez d’une incroyable complexité, zestes d’agrumes, mangue, menthe fraîche, pierre à fusil, croûte de pain grillé, bouche cohérente, bien équilibrée, fraîcheur et minéralité en finale.
Gewurztraminer Pfersigberg 2011 : nez magnifique plein de vitalité, notes d’ananas frais et d’agrumes mûrs, bouche riche et juteuse, finale suave et digeste sur les épices douces relevés par une délicate amertume.
Gewurztraminer V.T. 1989 (issu du Pfersigberg) : nez complexe et évolutif, grillé, fumé et zestes d’agrumes à l’ouverture, l’aération fait apparaître de belles notes de citronnelle et de menthe fraîche, matière puissante en bouche, équilibre frais et tonique, acidité large, finale tenue et très sapide, amers nobles et touche de poivre blanc.
Dans un premier temps c’est la richesse inouïe de l’expression aromatique de ces vins qui marque les esprits et qui nous rappelle que le gewurztraminer est le cépage qui magnifie l’Alsace et ses terroirs en générant des vins à nuls autres pareils…et c’est un « rieslingomane » avoué qui vous le dit !!!
Mon coup de cœur va évidemment au 1997, un peu parce qu’il est né la même année que mon Titi, mais surtout parce que j’ai pu le déguster sur deux jours et voir à quel point ce gewurztraminer continuait d’évoluer en nous régalant de senteurs nouvelles tout en gardant sa tenue pleine de noblesse et d’élégance. MIAM !

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Carré magique de gewurztraminers pour terminer la série.

 

Cette très belle après-midi passée en compagnie de Valérie et Christian Beyer m’a donné l’occasion de faire un nouveau point sur ce domaine d’Eguisheim en constante évolution.
Le Clos Lucas est absolument splendide…d’ailleurs je commence déjà à rêver aux très grands vins qui y verront le jour dans quelques années.
Les vignes situées sur les coteaux autour du village sont travaillées en viticulture biologique et toutes les interventions (taille, labours, traitements…) sont choisies pour répondre aux besoins de chaque parcelle…le millésime 2014 est officiellement labellisé BIO.
Depuis cette année, les pratiques biodynamiques sont mises en œuvre à titre expérimental sur les Grands Crus…toujours plus loin dans l’exigence !
Je ne parle pas encore des projets de médiathèque et d’oenothèque dans la maison familiale ni de l’extension de la parcelle de pinots noirs du Sundel…mais je sens qu’il va encore y avoir du nouveau au domaine Beyer dans les prochaines années !

Dégustées en cours d’élevage, les cuvées 2015 sont très prometteuses avec une série de blancs pleins de générosité et d’énergie et un trio de pinots noirs qui ne manqueront pas de faire parler d’eux dès leur mise en bouteilles…qu’on se le dise !
J’ai bien aimé l’initiative de Christian de me faire déguster cette petite série de gewurztraminers qui nous ont régalés en nous révélant des personnalités enjouées et séduisantes tout en montrant un caractère affirmé et une tenue parfaite en bouche…le 97 et le 89 étaient impressionnants de vitalité !

Mille mercis à Valérie et Christian d’avoir partagé avec moi ces beaux moments d’émotions viniques.

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Les vignes du Sundel et les châteaux d’Eguisheim au loin (photo de Valérie Beyer)

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