André Dominé et les grands vins du Roussillon à l'U.G.V.

Si je compte bien, André Dominé est le troisième conférencier allemand invité pour animer une session de dégustation dans le cadre de l’U.G.V.
Bon d’accord, pour présenter des grands vins allemands, le choix du célèbre vigneron mosellan Reinhart Löwenstein était évident et pour nous parler d’une région viticole dont le développement et la renommée doivent beaucoup à certaines grandes familles d’outre-Rhin, le critique vinique Gerhart Eichelmann était vraiment à sa place…mais pourquoi André Dominé pour nous parler du Roussillon ?

Dsc 2024
Début de séance avec le conférencier entouré du président et des vice-présidents de l’UGV

En fait, si on connaît un peu la biographie de cet œnophile amoureux du Roussillon et de ses vins, on ne s’étonnera plus du choix de l’U.G.V. : André Dominé est un journaliste, originaire de Hambourg qui s’installé dans cette région en 1981 « dans un petit village de 65 habitants ».
Initié par ses parents à l’amour du bon vin, il a suivi avec enthousiasme l’évolution de ce vignoble où les vignerons retrouvent l’envie de produire des vins de qualité qui expriment pleinement les particularismes des terroirs roussillonnais.
«  Cette région est le plus grand réservoir de vieilles vignes de France et elle possède une variété de biotopes d’une richesse incomparable ». Et pourtant avec le désamour des français pour les vins doux naturels produits dans le sud de la France, beaucoup de vignes ont été laissées à l’abandon. La plupart des vignerons a voulu copier ces vins qui rencontraient le succès auprès de la clientèle du moment, en plantant des cépages améliorateurs comme la syrah, ce qui a occasionné la disparition des cépages anciens autochtones et le rejet du carignan : « ce fut une destruction organisée d’un patrimoine incroyable (…) mais grâce à une jeune génération de vignerons, souvent originaires d’autres régions, ce mouvement est en train de s’inverser et les vins du Roussillon retrouvent leur style unique ».

Dsc 2022
André Dominé parle de sa région…


Dsc 2023
…et l’auditoire très attentif déguste ses paroles avant de déguster sa sélection de vins.

Ces jeunes vignerons qui disposent d’une solide formation en œnologie mettent en œuvre des méthodes culturales respectueuses de l’environnement – biologique ou biodynamique pour la plupart – et produisent des vins, parfois surprenants, mais qui ont retrouvé l’accent du pays et dont la qualité rejoint celle des plus grands vins de France.
Pour illustrer ses propos notre conférencier nous invite à déguster une belle sélection de vins qu’il commentera pour nous.
Hoppla c’est parti !

Dsc 2018
Les bouteilles débouchées attendent le service…mes papilles frétillent !

En guise « d’échauffement », Jean-Michel Deiss nous propose une dégustation à l’aveugle dans un verre noir d’un vin surprise : nez intense avec un côté « nature » perceptible, petite pointe de volatile mais belle déclinaison de fruits rouges et d’épices, attaque souple en bouche, matière charnue avec un toucher un peu granuleux et une présence saline très structurante, finale persistante sur la réglisse, la cerise noire, les épices et une petite pointe de chaleur.
Voilà un exercice complexe que je n’affectionne pas particulièrement mais qui nous fait découvrir le vin de façon différente. Le côté « nature » du vin m’est apparu assez rapidement, un peu au nez mais surtout par sa présence en bouche, mais j’avoue avoir longtemps hésité sur le cépage…d’ailleurs je n’aurai même pas osé parier sur la couleur. Ceci dit, j’ai quand même reconnu le style du vigneron car c’était le Pinot Noir F 2012 de Florian Beck-Hartweg.
(né sur les granits du Frankstein, parcelle enherbée, sol non enrichi, rendements 25 à 30 hl/ha, vinifié nature et élevé dans un vieux foudre).


Nous poursuivons par une série de 5 vins blancs du Roussillon :

Domaine de la Rectorie L’Argile Collioure 2013 – T. et J.-E. Parcé à Banyuls
Le nez est discret et complexe avec une palette qui évoque le miel d’acacia et la pierre chaude. Opulent et très concentré en bouche, ce vin caresse les papilles par une matière lisse et veloutée, la finale qui garde une belle intensité délivre quelques amers très fins tout en laissant une petite impression de chaleur.
(90% grenache gris + 10% grenache blanc – vinifié et élevé sur lies en fûts durant 6 mois).
Thierry Parcé est l’un des premiers vignerons a avoir montré que le grenache gris vinifié en blanc pouvait engendrer de très grands vins et cette cuvée née sur des terrasses de schistes nous en apporte une preuve éclatante.
Avec sa personnalité très typée et la flamboyance de son expression en bouche, ce Collioure appellera tout naturellement une cuisine avec un bel accent méditerranéen.

Les Clos Perdus L’Extrême IGP Côtes Catalanes 2013 – P. Old et B. Adams à Peyriac de Mer
La robe surprend par sa teinte dorée mais le nez est riche, brillant et complexe avec des notes d’orange amère, de vanille et des évocations minérales qui commencent à se dessiner. En bouche, la matière généreuse est étirée par une ligne acide de toute beauté. La fin de bouche révèle une fine tannicité, une salinité puissante et un long sillage aromatique sur l’abricot, les agrumes mûrs et la pierre chaude.
(70% grenache gris + 25% grenache blanc + 15% grenache noir – élevé dans un fût de 500 litres).
Conçu par deux vignerons « immigrés » – l’un, ex-danseur professionnel australien et l’autre, diplômé de l’école des Beaux Arts de Londres – ce vin rarissime (700 bouteilles produites) est né sur des parcelles de très vieilles vignes (plantées en 1898) sur 1 hectare de marnes schisteuses dans la vallée de l’Agly.
Travaillées exclusivement « à la main » ces vignes ont produit un volume ridicule (7 hl/ha) d’un nectar absolu : il ya une présence acide/saline rappelant les plus grands vins ligériens qui structure une matière sudiste de toute beauté…Magnifique !!!

Domaine Danjou-Banessy La Truffière IGP Côtes Catalanes 2013 – B. et S. Danjou à Banyuls
Le nez s’ouvre sur des notes d’élevage très « classieux » avec des notes de torréfaction et de croûte de pain grillé, mais très vite on perçoit des arômes délicats et frais de citronnelle et de pierre à feu. La matière en bouche est concentrée avec un équilibre droit structuré par une acidité rectiligne et une superbe présence saline. Des amers nobles donnent un côté sapide à la superbe finale qui laisse persister un sillage délicat sur les zestes d’agrumes.
(100% carignan gris – vinifié et élevé en fûts).
Né sur un terroir de marnes schisteuses noires sur base calcaire et vinifié par Benoît Danjou, ce vin blanc encore un peu marqué par son élevage nous a également fait une très belle impression.
On sent une énergie presque tellurique qui circule dans un corps particulièrement élégant...une bouteille à garder encore un peu en cave mais le potentiel d’un très grand vin est évident.

Domaine Gauby La Roque IGP Côtes Catalanes 2013 – G. et L. Gauby à Calce
La robe est dorée et très trouble, le nez étonne par son intensité et son exceptionnelle complexité : on perçoit des notes de pomme mûre, de cône de houblon, de raisin frais suivies par des arômes de bergamote et de fleurs printanières. La matière en bouche est juteuse, vive et saline avec une tannicité très tactile, la finale est tonique et d’une longueur incroyable.
(70% muscat à petits grains + 30% muscat d’Alexandrie – pressé après une macération en grappes entières : 21 jours pour le muscat d’Alexandrie et 10 jours pour le muscat à petits grains)
Vigneron emblématique du Roussillon Gérard Gauby a un peu bousculé les codes de la viticulture et des vinifications dans cette région : il a montré notamment qu’en limitant les rendements de façon drastique on pouvait se permettre de vendanger des raisins en légère sous-maturité pour obtenir des vins plus frais et mieux équilibrés. En digne successeur de son père Lionel Gauby poursuit son travail de précurseur en nous proposant cette cuvée vraiment « décoiffante » mais dotée d’un charme fou avec une complexité aromatique inouïe et une présence en bouche absolument hors norme. MIAM !

Domaine Laguerre Oxy IGP Côtes Catalanes 2013 – E. Laguerre à Saint Martin de Fenouillet
Le nez s’ouvre sur d’intenses notes oxydatives (noix verte) et une pointe de volatile avant de développer une palette très complexe sur la résine, la pâte d’amande et les épices orientales. La bouche est ample, large et concentrée, toujours marquée par des arômes de noix et de raisin sec et d’épices. La finale est très longue avec un sillage vanillé et épicé.
(100% grenache blanc – élevé 5 ans en barriques, sans SO2)
Né sur un terroir à base granitique ce rancio sec a été élevé en barriques durant 5 ans sans SO2.
Avec cette cuvée Oxy, Eric Laguerre nous propose la version roussillonnaise d’un Fino espagnol…en tant qu’amateur de vins non ouillés du Jura je suis conquis mais ça reste une bouteille à réserver à des papilles averties…

Dsc 2013


La série se poursuit avec 3 vins rouges du Roussillon :

Domaine Matassa Romanissa IGP Côtes Catalanes 2012 – T. Lubbe à Calce
Le nez très intense est assez déstabilisant : on perçoit un fond frais et fruité (framboise) et finement fumé mais la palette est perturbée par d’intenses effluves animaux. La bouche est un peu plus classique avec une attaque fraîche, une matière très concentrée et une mâche tannique bien gourmande. La finale est agréablement acidulée avec un fruit un peu plus net mais la texture devient vite asséchante.
(70% grenache noir + 20% carignan + 10% mourvèdre – élevage 20 mois en demi-muids).
Issu de très vieilles vignes (de 30 à 120 ans) sur schistes et réalisé à partir d’une vendange non égrappée, ce vin a nettement divisé l’assemblée : d’un côté les zélateurs convaincus qui approuvent cette vision du vin et de l’autre des dégustateurs qui n’hésitent pas à affirmer qu’ils trouvent cette cuvée franchement déviante. N’étant pas particulièrement réceptif au style « nature », j’avoue que les sensations très spéciales livrées par Romanissa ne m’ont pas vraiment séduit, même si je pense qu’un carafage de plusieurs heures aurait pu être profitable à ce vin.

Domaine Gauby Muntada Côtes du Roussillon Villages 2010 – G. et L. Gauby à Calce
L’expression olfactive bien classieuse propose un fruité noble mais encore discret avec un fumé très léger et une fine touche animale (fourrure, cuir). En bouche, la matière dense et charnue est tenue par une ossature acide/tannique très solide. L’équilibre est frais et digeste et la finale développe déjà les premières sensations minérales (pierre à feu, terre humide, amers fins).
(45% grenache noir + 45% carignan + 5% mourvèdre + 5% syrah – élevage 30 mois en foudres et barriques)
« Vin de légende » depuis 1995, Muntada est réalisé à partir d’une base de très vieux carignans (plus de 120 ans) et grenaches (75 ans) nés sur un terroir de schistes su calcaires et élevés longuement sous bois. Bien que bu trop jeune, Muntada 2010 s’est imposée avec évidence à tout le monde comme un très grand vin... « Un vin dont on ne parle pas mais qu’on écoute » comme l’a suggéré l’un des membres de l’assemblée.
Chuuut…et MIAM !

Le Clos des Fées La Petite Sibérie Côtes du Roussillon Villages 2010 – H. Bizeul à Vingrau
Le nez expressif et chaleureux nous emmène vers un style sudiste plus classique mais très charmeur avec une palette sur les fruits noirs confits et le pain d’épices. A la fois doux et profond en bouche, le vin caresse les papilles avec sa carnation riche et gourmande, sa trame tannique serrée mais sans aucune aspérité et sa finale longue, intensément aromatique et finement saline.
(95% grenache noir + 5% syrah et mourvèdre – élevage en barriques neuves).
Vigneron compétent et entreprenant, Herve Bizeul est également un communicant hors pair qui a montré qu’un grand vin du Roussillon pouvait se vendre très cher.
Cette bouteille spectaculaire nous propose une vision plus classique d’un vin sudiste mais il faut bien admettre que la qualité de cette Petite Sibérie est absolument irréprochable : une explosion aromatique incroyable et un équilibre parfait malgré 15°5 au compteur alcoolique. Chapeau !

Dsc 2016


...et une rareté pour finir :

Ma ‘69 Maury 1969 – Mas Amiel à Maury
Le nez d’une complexité indescriptible délivre tour à tour des arômes de figue sèche, de cacao amer, de cerise à l’eau de vie, de caramel, de tabac blond…En bouche, la matière ronde et ample est structurée par une ligne acide splendide et une fine tannicité. La finale est interminable avec une présence saline très marquée.
(100% grenache – mutage sur grains – vieilli 1 an en bonbonnes de verre en plein air et élevé 14 ans en fûts de 300 à 400 litres).
Né sur un coteau schisteux exposé au sud « où il est parfaitement impossible de faire un vin sec », ce Maury d’âge vénérable impose le respect absolu.
Un vin sublime que nous avons dégusté religieusement...pas à genoux, mais presque !

Dsc 2017


Œnophile passionné et passionnant, André Dominé nous a emmené en promenade dans le Roussillon en nous faisant partager son amour pour cette région et pour les vins qui y naissent. A travers une série de bouteilles rares et originales, notre conférencier nous a guidés dans ce vignoble méridional qui dispose d’un patrimoine de vignes et de terroirs d’une richesse incomparable. Il y a deux ans, grâce à mon ami Dany Jaffuel, j’ai pu me faire une petite idée de la beauté des paysages roussillonnais lors d’une journée de visites vigneronnes entre Calce et Espira de l’Agly. Bien évidemment, j’ai été heureux de trouver quelques noms bien connus sur les étiquettes des bouteilles sélectionnées par André Dominé.

J’ai adoré ces blancs à forte personnalité, magnifiques d’équilibre, de fraîcheur et de minéralité : ce fut une série inoubliable avec comme point culminant « L’Extrême » des Clos Perdus qui, je pense, entrera dans mon top 10 des plus grands vins de l’année.
Les trois vins rouges nous ont offert un instantané des grandes tendances actuelles du Roussillon : nature, sauvage et un poil expérimental pour « Matassa », authentique, terrien et sans concession pour « Muntada », flatteur, chaleureux mais diablement bien fait pour « Petite Sibérie ».
Pour finir, le grandissime Maury 69 est là pour nous rappeler que la vocation de cette région pour les vins mutés n’est pas le fait du hasard et que des bouteilles comme cette petite merveille largement quadragénaire méritent de figurer dans la cave de tout amateur éclairé.

Pour conclure ce petit compte-rendu je vais me contenter de reprendre ma formule qui a qualifié notre dernière session de l’U.G.V. : « Une belle salle, une ambiance à la fois conviviale et studieuse, un intervenant passionnant et une sélection magistrale de bouteilles servies dans des verres splendides…voilà ce que j’appelle une soirée pleinement réussie ! »

Merci à tous ceux qui ont œuvré pour nous offrir ces instants de bonheur gustatif.

Commentaires

  • Jaffuel Dany

    1 Jaffuel Dany Le 21/03/2015

    Cette dégustation souligne la qualité des vins produits en Roussillon et à Calce en particulier. Avec quelques aléas incontestables pour certains (je pense à la famille Gauby) en écrivant cela, aléas conséquences d'une recherche permanente et d'interrogations et donc des essais dont tous ne sont pas des succès et évidences. Force reste de constater que cette région a fait un bond qualitatif gigantesque ces 15 dernières années en particulier pour ses blancs secs. Merci à ces défricheurs qui valorisent leur patrimoine et terroirs comme peu le fond en Languedoc et Roussillon.

Ajouter un commentaire

Anti-spam