Le grand vin selon Alain Leygnier et Jacky Rigaux

Après la rentrée scolaire et celle du club A.O.C. et juste avant la reprise très attendue des activités de l’Oenothèque Alsace, l’U.G.V. nous invite à reprendre nos réflexions sur l’essence des grands vins en programmant une rencontre avec Alain Leygnier, un écrivain/journaliste passionné par la dive bouteille.
La liste des vins annoncée et la perspective de revivre une soirée comme celle vécue en compagnie de
J.L. Barde sont des éléments motivateurs très puissants auxquels je cède une fois de plus et sans hésitation...hoppla c’est parti !

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Un public d’amateurs un peu plus clairsemé que d’habitude dans la salle des Tisserands…c’est la rentrée et les vendanges approchent !

Malgré mes 45 minutes de retard – P…de bouchons strasbourgeois, presque une heure pour sortir de la ville ! – j’arrive juste à temps pour apprendre qu’Alain Leygnier ne pourra pas honorer sa mission – un problème de santé imprévu – mais qu’il sera remplacé au pied levé par Jacky Rigaux, enseignant à l’université de Bourgogne, écrivain passionné par les terroirs bourguignons dont l’érudition dans le domaine du vin force l’admiration et le respect de tout oenophile.
Jacky Rigaux est également l’une des références en terme de dégustation géo-sensorielle « c’est une réhabilitation de la technique de dégustation des anciens gourmets qui permet d’évaluer la qualité des vins par leur sapidité ».
Avant de commencer à goûter les vins Jacky Rigaux  nous rappelle brièvement quelques rencontres qui on marqué sa vie d’œnophile – notamment Henri Jayer et Aubert de Villaine – et qui lui ont permis de se faire une idée de ce qui constituait la nature profonde d’un grand vin.
Si on suit les principes de la dégustation géo-sensorielle, c’est par la présence en bouche qu’on juge de la valeur d’un vin…d’ailleurs Henri Jayer n’oubliait jamais de le rappeler : « le vin n’est pas fait pour être reniflé mais pour être bu ».
Pour ce soir notre conférencier nous propose une grille de lecture personnelle qui compte 4 critères pour décrire le vin en bouche : « la consistance, la souplesse la vivacité et la viscosité ».

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Jacky Rigaux et Jean-Michel Deiss


Les grands vins de cette soirée ont été sélectionnés par Alain Leygnier mais c’est Jacky Rigaux qui va les présenter et les commenter…un beau casting non !


AOC Champagne Grand Cru Cuvée du Goulté Blanc de Noirs 2010 – Marie-Noelle Ledru à Ambonnay
La robe est claire, le nez délicatement fruité (fruits blancs et amande fraîche) et la bouche pleine d’une énergie vitale qui stimule les papilles par une acidité très agile et une bulle fine et nerveuse. Malgré une petite touche oxydative, la finale garde une grande sapidité grâce à de beaux amers minéraux.
(100% pinot noir)

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Produite par une vigneronne emblématique de la Montagne de Reims, cette cuvée confidentielle 100% pinot noir a été réalisée principalement avec des vins de 2010. Avec sa belle vinosité et sa structure acide/minérale très saillante, cette bouteille montre qu’il est possible d’élaborer de très grands vins de terroir dans cette région mais pour moi, il manque ce petit grain de folie que j’aime retrouver quand je fais sauter un bouchon de champagne…trop sérieux, trop austère, pas assez « champagne » tout simplement !


AOC Condrieu Côteau de Chéry 2012 – André Perret à Chavanay
La robe jaune clair et le texture plutôt épaisse et visqueuse. L’expression aromatique fine et distinguée développe une palette fruitée et florale très subtile sur un fond légèrement lacté. La bouche est gourmande et très charnue, la texture est assez grasse et les arômes gagnent en intensité mais l’ensemble laisse une petite impression de lourdeur. La finale marquée par un retour aromatique très long (violette et bois de réglisse) est plus digeste grâce à des amers nobles qui stimulent la salivation.
(100% viognier)

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Né sur une parcelle de vieilles vignes (plus de 60 ans) située sur un coteau granitique très pentu, ce Condrieu a bénéficié d’un élevage mixte, cuve inox pour 1/3 du volume et fûts de chêne pour 2/3 du volume.
Malgré son expression aromatique pleine de classe et sa trame minérale très impressive, je trouve que ce vin reste dans le style classique de Condrieu avec cet équilibre très généreux qui correspond pas trop à mon goût…tant pis pour moi !


AOC Palette 2013 – Chateau Simone à Meyreuil
La robe est claire et lumineuse et l’expression aromatique discrète, complexe, presqu’un peu méditative nous emmène dans un monde de senteurs raffinées (miel de sapin, herbes de garrigue). En bouche l’équilibre est très droit avec une acidité fondue mais structurante, la matière possède une mâche bien voluptueuse et la finale longue et particulièrement salivante laisse persister des notes d’herbes aromatiques soutenues par de beaux amers minéraux.
(80% clairette + 10% grenache blanc + 6% ugni blanc + 2% bourboulenc + 2% muscat).

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Réalisé à partir d’un assemblage de très vieilles vignes (50 à plus de 100 ans) situées sur des coteaux calcaires exposés au nord, ce cru provençal m’a fait une impression encore plus convaincante que lors de la session AOC qui nous a permis de découvrir quelques grands blancs méditerranéens…très belle bouteille. MIAM !


AOC Pouilly Fumé Cuvée Silex 2012 – Didier Daguenau à Saint Andelain
Après une touche de réduction très fugace, l’olfaction révèle une palette aromatique pure et aérienne avec des notes de pierre à fusil bien marquées sur un fond délicatement floral. En bouche la matière ample et assez large s’étire et s’affine progressivement pour préparer une finale longue et saline avec un petit grip tannique qui donne du relief et de l’intensité aux sensations minérales.
(100% sauvignon).

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Née sur un terroir d’argiles à silex, cette grande cuvée de Pouilly Fumé vinifiée par le fils de Didier Daguenau, montre comment la puissance expressive d’un lieu peut faire oublier le caractère d’un cépage : tout se passe comme si ces sauvignons travaillés en biodynamie étaient devenus des interprètes de la partition minérale de leur terroir.
Certes le vin est encore un peu austère aujourd’hui mais la leçon est magistrale !


Pinot Gris Rittersberg 2010 – Jean-Paul Schmitt à Scherwiller
Le nez pur et précis qui révèle des notes de fruits jaunes bien mûrs relevées par une touche d’élevage se montre particulièrement avenant. La bouche est ample avec un bel équilibre entre un gras très sensuel et une salinité profonde. La finale fraîche et salivante est remarquable de finesse et de buvabilité.
(100% pinot gris sur terroir granitique).
Pinot Gris Rorschwihr-Réserve Domaine 2010 – Rolly-Gassman à Rorschwihr
Dès le premier coup de nez, on tombe sous le charme d’un récital olfactif intense et complexe : ananas rôti dès l’ouverture, puis touche vanillée suivi par un bouquet floral d’une richesse inouïe…En bouche, la matière généreuse, bien juteuse est structurée par une acidité large et très solide. La finale est intense, longuement aromatique (notes fruitées et poudre de craie) et marquée par une belle présence minérale.
(100% pinot gris sur terroir argilo-marno-calcaire)

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La cuvée élaborée par Jean-Paul Schmitt a été élevée durant 12 mois en demi-muids et 6 mois en cuves inox avant la mise. C’est un vin racé et raffiné qui nous montre qu’un pinot gris bien travaillé peut atteindre des sommets qualitatifs et opposer une concurrence vraiment crédible aux crus bourguignons.
La cuvée élaborée par Pierre Gassmann nous gratifie d’une explosion aromatique et nous emmène dans un monde d’opulence et de grâce en créant une harmonie presque inimaginable entre un jus riche et concentré (70g de SR) et une trame acide/saline puissante.
Quelle doublette magnifique…chapeau bas messieurs !!

Ces vins ont été sélectionnés pour nous faire sentir les différences entre un vin né sur un terroir cristallin et un vin né sur un terroir sédimentaire. Les styles de ces deux pinots gris sont effectivement diamétralement opposés mais je pense néanmoins que la patte de chaque vigneron a eu une grande influence…pour aller plus loin il faudrait que Pierre vinifie un Rittersberg et Jean-Paul un pinot gris de Rorschwihr…chiche !

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Jean-Paul Schmitt et Pierre Gassmann, deux vignerons exemplaires qui mettent leur cœur et leur compétence au service des grands terroirs alsaciens.

AOC Bellet 2014 - Château de Bellet à Nice
Un fruité frais, de belles nuances florales (violette) et une fine touche d’élevage composent une palette olfactive complexe et séduisante. La bouche est voluptueuse avec une matière charnue, des tanins suaves et une expression aromatique intense. La finale est nette et tonique et le sillage floral très élégant mais la persistance est un peu courte.
(70% folle noire + 30% grenache noir).

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Issu d’un terroir de poudingue avec des sables et des galets, ce Bellet élevé durant 16 mois en barriques est visiblement  a été conçu pour flatter nos sens et la dégustation de ce soir prouve qu’en ce qui me concerne, c’est réussi !
Même si certains puristes ont relevé un manque de profondeur, j’avoue avoir été très agréablement surpris par la belle expression aromatique et la gouleyance de ce vin …ça sent encore les vacances et c’est bon !


AOC Chinon Coteau de Noiré 2013 – Philippe Alliet à Cravant les Coteaux
Le nez sans concession nous propose une palette peu avenante avec des notes végétales sur un fond de terre humide et un léger fumé. La bouche est austère avec une acidité marqué et une salinité puissante et impressive. La trame tannique est serrée avec un grain est assez fin et la finale laisse persister de beaux amers minéraux.
(100% cabernet franc).

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Depuis le début de ma longue carrière de picoleur mes rapports avec les cabernets francs ligériens ont été très compliqués – bref, je n’y arrive pas – et ce n’est hélas pas cette cuvée élaborée par un grand nom de Chinon qui va me faire changer.
Le Coteau de Noiré 2013 représente sans conteste un modèle absolu pour faire sentir une présence minérale dans un vin mais pour ce qui est de la gourmandise, il y a comme un problème…moi je passe mon tour !


Château Chalon 2008 – Jean Macle à Château Chalon
L’expression olfactive vraiment explosive développe un registre classique sur la noix verte, la truffe et les épices. La matière épaisse et concentrée est tendue par une acidité massive et structurée par une présence tannique encore très serrée. La finale est droite et saline et la longueur du sillage épicé est absolument époustouflante.
(100% savagnin jaune).

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La série se termine par un vin réellement hors normes : intensité aromatique exceptionnelle, puissance inouïe et persistance incroyable…c’est bien simple, j’ai eu le goût de ce Château Chalon en bouche durant tout mon voyage retour vers Strasbourg !
Ceci dit, je peux concevoir que la véhémence du caractère de ce type de cuvée peut choquer un dégustateur non initié mais moi j’ai été bouleversé…quel vin !!!


Présentée par un remplaçant de luxe, la sélection de bouteilles d’Alain Leygnier nous a permis de découvrir 9 vins typés et authentiques mais pas toujours faciles à approcher.
Bref, ce fut une séance de rentrée sérieuse et studieuse où Jacky Rigaux nous a aidés à progresser dans notre apprentissage de l’analyse géo-sensorielle des vins…une session de l’U.G.V. de haut vol dès la reprise, ça promet pour la suite !

A côté de mes gribouillages habituels j’ai essayé d’évaluer les vins selon les critères proposé par notre maître de séance : j’ai donc noté de 1 à 5 la qualité de la consistance, de la souplesse, de la vivacité et de la viscosité de chaque vin…et le tableau ci-dessous représente les résultats :

Bb 1

Si je me réfère à mes critères habituels qui prennent en compte la finesse et la complexité de l’expression aromatique ainsi que l’harmonie des éléments qui constituent la matière d’un vin, le classement diffère un peu : même si le pinot gris du domaine Rolly-Gassmann reste sur la première marche de mon podium personnel, il sera accompagné par le pinot gris du Rittersberg, remarquable d’équilibre et d’élégance.
D’accord, c’est une sélection chauvine mais j’assume, ces deux bouteilles m’ont bluffé, ému, régalé…MIAM !

A côté de ce duo de tête, je placerai volontiers l’impressionnant Château Chalon mais en dehors de cette triplette dont j’encaverais sans hésiter plusieurs exemplaires de chaque flacon, les autres vins ne m’ont pas spécialement plu.

Ceci dit, les séances de l’U.G.V. ont pour vocation première de nous apprendre à mieux connaître et mieux goûter les grands vins…et pour ça je ne peux qu’être reconnaissant à tous ceux qui s’investissent sans compter pour nous accompagner dans cette formation.

Merci à tous ceux qui ont œuvré pour nous permettre de vivre ces beaux moments de formation et de gourmandise.

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