Dégustation au Théâtre du Vin avec Gilles Berlioz
Chistophe Lasvigne, le caviste créatif et entreprenant qui a ouvert récemment son« Théâtre du Vin » à Strasbourg (j’en ai parlé ICI), est également la cheville ouvrière d’un club œnophile, « L’Hydropathe », qui programme régulièrement des évènements viniques originaux.
L’entrée du théâtre dans la lumière du soir.
En ce début d’octobre, les Hydropathes – ou « ceux à qui ’eau ne convient pas » – avaient rendez-vous au théâtre strasbourgeois pour rencontrer Gilles Berlioz et déguster ses vins.
Après mes deux périples montagnards (en 2017 et en 2018) qui m’ont permis de découvrir un beau vignoble et quelques très bons vins, je n’ai pas résisté à l’envie de rencontrer ce vigneron savoyard dont la presse œnophile dit le plus grand bien.
Hoppla, c’est parti !
Les bouteilles et les verres sont prêts…
…et les hydropathes sont arrivés…la soirée peut commencer !
Avant de déboucher les premières bouteilles, Gilles Berlioz nous présente son domaine et sa façon de concevoir ses vins.
Vigneron autodidacte installé à Chignin depuis 1990, Gilles Berlioz a choisi très rapidement de mettre en œuvre une viticulture exigeante et vertueuse : début en culture biologique en 1999 et culture biodynamique depuis 2005.
« Pour faire un bon vin, il faut avant tout un beau panier de raisins » : les rendements sont limités pour permettre aux raisins d’atteindre leur maturité optimale, les vendanges sont manuelles et très précises pour ne récolter que les grappes les plus mûres… même s’il faut faire plusieurs passages dans les différentes parcelles.
En cave, les raisins sont travaillés « en douceur » : pressurage longs, levures indigènes, transport des jus par gravité et SO2 utilisé avec parcimonie.
Les élevages se font en cuves – recherche de pureté oblige – mais pour le millésime 2018 le domaine va expérimenter l’élevage en œufs béton.
Allez, on goûte !
Chignin Le Jaja 2017 : nez charmeur, palette florale très aérienne, attaque en bouche cinglante, ligne acide acérée qui étire une matière fruitée élégante, finale salivante mais présence minérale encore très austère.
Cette première cuvée 100% jacquère annonce le style sans concession de ce domaine : malgré une expression olfactive très séduisante qui pouvait promettre une certaine suavité en bouche, je me suis fait surprendre par un jus vif, tendu et profondément minéral…qui a quand même un peu violenté mes papilles.
Roussette de Savoie …El-Hem… 2017 : nez ouvert et bien complexe, notes de fruits jaunes et de miel de fleurs sur un fond pierreux et légèrement fumé, matière ample et assez concentrée en bouche, équilibre très droit, finale très saline avec un petit grip tannique, des amers minéraux et retour fruité sur le pamplemousse.
Même si l’altesse apporte ses nuances olfactives plus flatteuses, la tenue en bouche de cette cuvée de Roussette reste bien dans la ligne esthétique des vins de Gilles Berlioz : la matière est un peu plus charnue mais la structure est droite et tendue et l’empreinte minérale très profonde.
Chignin Bergeron Mon Ami… ! 2014 : réduction intense et assez tenace à l’ouverture, palette miellée et délicatement fumée qui se met en place après une très longue aération, matière volumineuse, toucher bien gras, finale vive et sapide avec un retour minéral très puissant.
Ce premier Chignin Bergeron a eu beaucoup de mal à se défaire d’une aromatique réductive peu engageante…mais après beaucoup de patience et une agitation conséquente du vin dans le verre, son profil olfactif s’est un peu ouvert pour nous donner en vie d’en prendre une gorgée et constater une présence en bouche pleine de classe et d’énergie…voilà un vin qui aurait dû bénéficier d’un petit tour dans une carafe avant d’être servi.
Chignin Bergeron Les Friponnes 2017 : nez suave et d’une belle complexité, notes d’agrumes frais (mandarine) et de fleurs blanches sur un fond finement miellé, bouche souple et gourmande, texture onctueuse, finale nette et sapide avec un beau sillage fruité et minéral.
Les « Friponnes » guillerettes et plutôt séduisantes m’ont emmené vers un univers vinique plus conventionnel en me rappelant quelques jolies cuvées dégustées en Savoie cet été (au Château La Violette ou chez Jean-Charles Girard-Madoux) mais (j’ai presque envie de dire « hélas ») cette référence est appelée à disparaître puisque les jus de cette parcelle en fin de conversion en biodynamie entreront dans la cuvée des Fripons dès le millésime 2018.
Chignin Bergeron Les Fripons 2017 : nez plus discret avec de belles nuances minérales qui commencent à se définir, matière concentrée et bien rectiligne en bouche, équilibre très sec, présence saline tactile et très impressive en finale, retour aromatique long sur la craie et les fruits blancs frais.
Née sur une parcelle avec un sol très maigre qui repose sur un socle rocheux calcaire, cette cuvée de Chignin Bergeron s’exprime avec la rigueur et la droiture qui correspondent au style recherché par Gilles Berlioz…il faut croire que ces « fripons » ne sont pas si facétieux que ça !
Chignin Bergeron Les Filles 2016 : nez exubérant très agréable, palette assez mûre sur la chair de poire et de miel de fleurs, attaque assez douce en bouche puis montée en puissance progressive pour développer un jus ample et corsé, finale puissamment minérale et un long retour fruité et minéral.
Née sur une parcelle exposée au sud et avec un sol plus riche en argile, cette cuvée s’exprime avec une belle spontanéité tout en révélant une matière solidement constituée en bouche.
Ceci dit, malgré leur caractère très élégant ces « filles » me font quand même plus penser à des athlètes qu’à des danseuses…mais j’aime beaucoup !
Vin de Savoie Mondeuse La…Deuse…2017 : nez ouvert notes de mûre et de griotte sur un fond poivré et lardé, attaque souple et gourmande en bouche, tension acide qui gagne progressivement en intensité pour tenir fermement une matière bien concentrée, petite accroche tannique en finale, salinité intense, long sillage frais et fruité.
Cette cuvée de mondeuse qui nous présente une version gourmande et solidement charpentée d’un rouge savoyard se livre avec une belle franchise tout en gardant encore un vrai potentiel d’évolution…déjà accessible mais plein de belles promesses.
Gilles Berlioz en visite au Théâtre du vin
Avec ses pratiques viticoles profondément respectueuses de la nature, ses vinifications sans beaucoup d’interventions œnologiques et sa conception originale du fonctionnement d’un domaine viticole, Gilles Berlioz fait partie de ces vignerons authentiques que j’ai toujours autant de plaisir à croiser lors de mes visites œnophiles.
Le nom de ce domaine – le domaine Partagé – évoque la philosophie qui rassemble ce vigneron et son équipe autour de l’ambitieux projet d’élaborer de grands vins dans ce vignoble de montagne : « ici on partage le travail, les idées, les doutes et les certitudes, les bons et les mauvais moments… »
Ceci dit, il faut croire que ce management un peu atypique – surtout en ce moment – est plutôt efficace si on en juge par la notoriété grandissante de la production vinique de ce domaine savoyard.
En ce qui concerne les vins, j’avoue que je n’ai pas trop bien goûté la plupart des cuvées présentées ce soir mais j’ai l’impression que ces vins solidement structurés et tramés par une maille acide/saline très puissante ont surement été débouchés bien trop jeunes – et le 2014 aurait mérité un passage en carafe – et n'ont pas pu exprimer pleinement leurs qualités.
Il n’en reste pas moins, que le style recherché par cette maison ne laisse pas beaucoup de place à la frivolité et la gourmandise : Gilles Berlioz élabore des vins denses et profondément imprégnés de minéralité, qui demandent un peu de patience avant de pouvoir s’épanouir à table en compagnie de quelques charcuteries et fromages locaux !
Malgré ces petites réserves personnelles, je reste très admiratif du travail de ce vigneron qui est parvenu à montrer que les terroirs de Chignin étaient en mesure de produire des vins de grande qualité en imposant un style pur et sans concession dans toutes ses cuvées…Chapeau l’artiste !
Les Hydropathes autour de Gilles Berlioz…on déguste, on discute…
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