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Le Muenchberg selon André Ostertag
LE MUENCHBERG…
Ma trajectoire bas-rhinoise du nord au sud arrive presque à son terme : plus que 3 étapes et j’en aurai fini avec ce département…mais au rythme où j’avance – 2 Grands Crus par an – la réalisation de mon projet de visiter en détail les 51 terroirs classés alsaciens semble de plus en plus difficile à envisager.
Heureusement, après chaque rencontre avec un vigneron et un Grand Cru, je retrouve ma motivation et ma soif d’apprendre des premiers jours…J’y arriverai !
Après Andlau et sa triplette magique, je me retrouve un peu plus loin sur la route des vins, dans le petit village de Nothalten, pour l’étude détaillée de l’un des plus secrets des Grands Crus alsaciens : le Muenchberg.
Pour mener à bien ce nouveau projet je pourrai compter sur l’aide précieuse d’André Ostertag : un nom qui s’imposait comme une évidence pour parler de ce terroir classé. Hoppla, c’est reparti !
Le Muenchberg et la flèche de l’église de Nothalten au loin.
Bien des choses ont déjà été écrites sur ces terroirs et un angle d’approche original et intéressant est à priori difficile à définir…mais je vais quand même essayer de relever le défi.
Je vous propose de me suivre dans mes ballades personnelles avec un peu de théorie (le socle nécessaire à une bonne compréhension), des documents photographiques et surtout des rencontres avec les vignerons qui travaillent dans ces parcelles classées.
Bon, ça je l’avais déjà dit…mais c’est pour les nouveaux.
Le Grand Cru Muenchberg se trouve sur le ban communal de Nothalten, un petit village de 478 habitants (recensement de 2007) qui s’étend sur 4 km² à mi-chemin entre Sélestat et Obernai.
Cette commune est formée de deux anciens villages, Nothalden et Zell, mentionnés par un document d’archive sous le titre de villages impériaux en 1099.
L’entrée du village en venant de Blienschwiller.
Dans « La Grande Encyclopédie des lieux d’Alsace », M.P. Urban nous apprend que le nom de ce village qui a évolué au cours de l’histoire de Notelt vers Nothehalt (1195) jusqu’à Nothalden en 1262 est composé à partir de l’association d’un préfixe d’origine latine « Not » (de « nodus ») qui dans son acception antique signifiait « saillie rocheuse » et du suffixe « halde » qui peut se traduire par « versant d’une montagne ou d’une colline ».
Nothatlten serré contre le bas du coteau du Muenchberg.
Nothalten doit donc son toponyme à sa situation particulière à flanc de montagne, d’ailleurs, tout promeneur ou vététiste qui quitte la route principale du village pour se diriger vers les coteaux viticoles au pied des Vosges verra ses mollets chauffer très rapidement dans les raidillons qui y conduisent….
Cette situation au pied de pentes escarpées est également symbolisée sur le blason du village qui représente un ours dressé sur 3 coteaux : le Thannenberg, le Heissenberg et le Muenchberg/Zellberg.
Bien que longue de plus de 900 ans, l’histoire de Nothalten n’est que très peu connue. Lieu de recueillement et de prière pour les moines de l’abbaye de Baumgarten depuis la fin du XII° siècle, le village devient propriété des comtes d’Andlau et de l’évêque de Strasbourg qui vont se disputer les droits sur ce territoire du début du XIV° siècle jusqu’à la Révolution.
Grâce à l’influence des moines (dont nous parlerons plus loin) Nothalten devient progressivement une cité viticole prospère qui exporte ses vins dans les grandes villes du nord de l’Europe : Médard Barth (« Der Rebbau des Elsass » - 1958) nous rappelle que les vins de Nothalten étaient acheminés par bateau (sur l’Andlau puis sur l’Ill) jusqu’à Strasbourg d’où ils partaient sur le Rhin vers le nord de l’Europe (Francfort, Mayence, Cologne, Hambourg, Lübeck, la Hesse, les Pays Bas…).
Aujourd’hui, comme partout sur la route des vins d’Alsace, le tourisme prend une place de plus en plus importante dans l’économie locale de Nothalten mais avec plus de 30 exploitations viticoles intra-muros ce village reste fidèle à son passé en gardant sa vocation vigneronne.
Bien évidemment le touriste sportif trouvera ici un point de départ idéal pour les randonnées à pied ou à VTT sur les sentiers sillonnant le massif de l’Ungersberg.
Dès la sortie du village, l’imposante silhouette de l’Ungersberg.
L’amoureux de vieilles pierres restera peut-être un peu sur sa faim : il ne trouvera plus aucune trace du château du Boemstein construit au XIII° siècle et tombé en ruine au XV° mais il pourra se consoler en flânant dans les rues du village pour y admirer deux fontaines datant de la Renaissance et quelques très belles maisons vigneronnes à colombages datant des XVII° et XVIII° siècles.
Maisons vigneronnes, fontaine renaissance et géraniums…Nothalten.
Solidement accrochés à flanc de montagne, l’église et l’Ecole des Vignes qui datent du milieu du XIX° siècle se trouvent au centre du village.
L’église Saint Michel et l’école des vignes de Nothalten
Comme souvent sur la Route des Vins le fleurissement des maisons avec des géraniums est spécialement travaillé par les habitants de Nothalten, offrant un spectacle multicolore de toute beauté dès le printemps.
Vu de Nothalten, le village voisin d’Itterswiller également réputé pour ses balcons fleuris.
L’oenophile pourra s’imprégner de l’esprit du Grand Cru en randonnant sur le sentier du Muenchberg puis en rendant visite à l’un des nombreux vignerons du village.
Chaque année au printemps, Nothalten organise une randonnée gourmande pour permettre aux gastronomes de découvrir le village et le vignoble sur un parcours de quelques kilomètres ponctué par 7 points repas.
Une petite promenade avant de déguster.
Le Grand Cru Muenchberg s’étend sur une superficie de 17,70 hectares en épousant le flanc d’une colline pour former amphithéâtre en forme de croissant exposé plein sud.
Les parcelles de ce Grand Cru sont toutes situées sur le finage de Nothalten et occupent les pentes d’un coteau entre 250 et 315 mètres d’altitude.
L’amphi du Muenchberg vu de l’ouest vers l’est
Son nom fait clairement référence à ces moines qui ont contribué à mettre en valeur ce terroir, comme le Moenchberg d’Andlau, le Muenchberg de Nothalten se traduit par « montagne des moines »
Le haut du côté est du Muenchberg
Protégé des vents humides de l’ouest par le verrou montagneux de l’Ungersberg (901 m d’altitude) et des courants froids du nord et de l’est par les reliefs boisés qui coiffent le coteau du Muenchberg, ce Grand Cru bénéficie d’un microclimat exceptionnel.
Vue automnale sur le massif de l’Ungersberg qui domine le Muenchberg
Avec un niveau de précipitations très faible, une forme et une orientation qui permettent à la vigne de profiter pleinement des rayons du soleil, le Muenchberg offre aux raisins des conditions idéales pour mûrir longuement jusqu’à l’achèvement de leur cycle de maturation.
Le découpage en croissant du Muenchberg et Nothalten à droite de l’image.
Sur le plan géologique ce Grand Cru pose quelques problèmes de définition : Serge Dubs (« Les Grands Crus d’Alsace » - 2002) place le Muenchberg dans la famille des volcano-sédimentaires, la classification du C.I.V.A. (Conseil Interprofessionnel des Vins d’Alsace) le situe dans la catégorie des terroirs gréso-volcaniques et les vignerons le qualifient très poétiquement de terroir secret, mystérieux, énigmatique…
Un pied de vigne dans la partie basse du secteur central du Muenchberg…
Le sol et le sous-sol de ce Grand Cru formés de sédiments vieux de 250 millions d’années sont d’une grande complexité : des sables gréseux et des dépôts volcano-détritiques, parfois riches en tufs et cendres volcaniques dont la provenance n’est toujours pas expliquée à ce jour.
…un autre dans la partie supérieure du coteau avec une couleur assez typique des sols gréseux.
Pour être complet il faut également évoquer le cas particulier du secteur est du Muenchberg où on a identifié un secteur calcaire de grande qualité : la fameuse parcelle 360P.
Petit changement de couleur du sol dans le secteur est du coteau du Muenchberg.
Au niveau physique, avec sa structure sableuse et caillouteuse, le sol du Muenchberg est peu fertile et très drainant. Sa pente modérée, sa forme et son exposition plein sud lui confèrent une grande aptitude à capter le rayonnement solaire et se réchauffer facilement souvent au-delà de la fin octobre.
19 octobre 2013 : vendanges sur le Muenchberg dans une ambiance estivale.
Comme son nom le laissait présager, l’histoire du Muenchberg est liée aux moines de l’abbaye de Baumgarten qui venaient se recueillir dans une cellule monastique au pied du Zellberg (dont le nom vient d’ailleurs de « Zelle », « cellule » en allemand). S’appuyant sur l’expérience vigneronne de leur congrégation, ces moines cisterciens ont identifié les vertus de ce terroir propice à l’élaboration de grands vins. Ces œnologues des temps anciens qui ont prouvé leur grande compétence en Bourgogne sont probablement à l’origine de la plantation des vignes sur le Muenchberg. Dès le XII° siècle, les moines et les vignerons de Nothalten avaient officialisé leur coopération par un contrat écrit : ces documents se trouvent encore dans les archives départementales du Bas-Rhin.
Aujourd’hui l’abbaye de Baumgarten est devenue une résidence privée mais les vignerons du village ont continué à faire fructifier l’héritage des moines sur ce terroir classé officiellement Grand Cru d’Alsace par le décret de 1992.
Le chemin qui fixe la limite haute du Grand Cru.
Au niveau de la viticulture, mes nombreuses promenades sur ce coteau m’ont permis de constater une présence quasi générale de l’herbe dans les rangs de vigne mais le travail du sol reste diversifié.
Des rangs de vigne dans la partie centrale du Muenchberg.
Herbe et pentes assez douces sur le Muenchberg
Avec son sol très drainant le risque de stress hydrique est réel sur le Muenchberg et les tentations pour mettre le sol « sous perfusion » par des apports chimiques sont évidentes. Mais des vignerons comme Patrick Meyer ou André Ostertag ont très vite compris que ce terroir unique s’exprime pleinement lorsqu’on le travaille d’une manière naturelle et respectueuse de l’environnement…heureusement !
Comme le déclare Patrick Meyer « le choix du riesling comme véhicule du Muenchberg traduit l’expérience accumulée de plusieurs générations ». En effet on constate que ce cépage occupe la quasi-totalité de la superficie du Grand Cru. Le riesling aime les terrains pauvres et l’ensoleillement tardif : la vigne y produit peu de raisins qui auront mûri longuement en prenant le temps de concentrer leur qualité.
Les vins du Muenchberg ont la réputation de procurer des sensations que l’on ne retrouve nulle part ailleurs. Plus que l’élégance de leurs arômes c’est la qualité de leur acidité longue et enveloppante qui les rend incomparables.
Les rieslings ne développent que très rarement des arômes terpéniques mais livrent des palettes racées et complexes où fleurs et fruits sont accompagnés de notes plus subtiles d’anis, de thé vert, de réglisse, d’encens…et comme nous le rappelle Serge Dubs leur structure associe généralement « volupté et charpente ».
Les pinots gris ne font que très peu parler d’eux sur le Muenchberg mais ce cépage mérite pleinement sa place sur le Grand Cru, notamment sur les parcelles plus calcaires du secteur est.
La partie est du Muenchberg.
La garde toujours conseillée pour des vins issus d’un classé Grand Cru, permet au terroir de gommer progressivement la marque du cépage en faisant naître une minéralité profonde et en donnant un côté typé et très complexe à leur structure acide.
Personne ne s’étonnera qu’une œuvre géologique unique et inclassable comme le Muenchberg inspire les vignerons et les invite à y créer des vins d’exception !
…SELON ANDRÉ OSTERTAG
Ne cherchez pas le domaine André Ostertag à Nothalten, il est basé à quelques kilomètres à l’est du Grand Cru dans le petit village d’Epfig.
Epfig dans l’ambiance humide et brumeuse de janvier
Situés au bord de la route qui mène vers Itterswiller les bâtiments de cette exploitation viticole sont spacieux, fonctionnels et assez modernes mais c’est par un grand porche typiquement vigneron que l’on pénètre dans l’univers de la famille Ostertag.
Je retrouve André dans le bureau à l’étage de la maison, en compagnie de sa sœur Annie et de Thomas, assistant commercial, occupés à gérer les affaires courantes du domaine.
Comme je savais qu’en janvier, la météo risquait de ne pas se prêter à de longues promenades au grand air, j’avais effectué quelques reconnaissances et une série de prises de vue in-situ sur le Muenchberg en été et en automne…nous pouvions donc nous contenter d’un entretien au chaud dans l’ambiance calme et cosy de la salle de dégustation décorée par les toiles de Christine Colin qui ont inspiré le design si particulier des étiquettes du domaine Ostertag.
Les trois bouteilles de riesling Muenchberg 2010 avec leurs trois étiquettes différentes…l’un des nombreux éléments décoratifs de l’espace de dégustation du domaine Ostertag.
Comment définiriez-vous ce terroir ?
L’histoire entre André Ostertag et le Muenchberg est longue et complexe : « les caractéristiques géologiques et climatiques avec lesquels on a l’habitude de définir un Grand Cru ne suffiront pas pour évoquer ma vision personnelle de ce terroir ».
Il nous faut remonter bien des années en arrière pour saisir les origines de cette relation privilégiée entre notre vigneron et son Grand Cru : « la première parcelle de Muenchberg du domaine vient de ma mère »…voilà peut-être une première clé pour comprendre le lien très étroit qui rapproche André de ce terroir classé.
Dès sa jeunesse, il a pu se rendre compte que sa relation au Muenchberg allait être particulière : « Ce n’était pas facile de passer mon jeudi à la vigne avec mes parents alors que les copains du village jouaient au football…et pourtant, je me souviens que lorsqu’on allait travailler sur le Muenchberg j’étais heureux ». Depuis ce temps, le rapport émotionnel qu’il a établi avec ce coteau paisible et intimiste ne s’est jamais démenti : « C’est un monde préservé où la nature s’exprime de façon brute…une sorte d’univers dans l’univers où je me sens particulièrement bien ».
Calme et sérénité dans le vallon du Muenchberg en hiver.
Les moines cisterciens qui avaient « un sens aigu des énergies » ont compris très tôt que le coteau du Muenchberg possédait une « qualité vibratoire unique » et l’établissement de leur abbaye (Baumgarten) près de ce lieu n’était surement pas du au hasard, d’ailleurs depuis quelques années cette abbaye a retrouvé sa vocation religieuse initiale…et ce n’est peut-être pas un hasard non plus !
Par son exposition plein sud et son sol gréseux très riche en silice, le coteau du Muenchberg est un véritable « capteur d’énergie » : c’est un lieu qui peut être à la fois apaisant et revitalisant « c’est un lieu qui donne plus qu’il ne prend ».
La composante volcanique – de 5 à 10% selon le secteur – qui distingue le Muenchberg des autres Grands Crus gréseux alsaciens « est bien réelle et constitue un facteur important pour la typicité de ce terroir, car il va marquer les vins dans leur structure en bouche ».
Nous en reparlerons plus loin…
Quels sont les cépages les mieux adaptés ?
Face a cette question André Ostertag confirme ce que nous avons déjà affirmé plus haut : « C’est la pauvreté des sols du Muenchberg qui a imposé le riesling sur ce terroir ».
Il est cependant l’un des plus ardents défenseurs du pinot gris dans la partie située à l’extrême est du Grand Cru « c’est un secteur qui se trouve dans le prolongement du Zellberg. Plus riche en calcaire il est propice à la réussite de beaux pinot gris ».
Vue hivernale de la partie orientale du Grand Cru avec le haut du coteau du Zellberg.
La cuvée de pinot gris baptisée A360P, du nom du code cadastral de la parcelle, a rapidement conquis les sphères œnophiles même si elle a du subir quelques refus d’agrément pour l’appellation Grand Cru « la vinification et l’élevage en barriques de cette cuvée a choqué la commission d’agrément…et ne pouvant pas revendiquer le nom du Grand Cru, je lui ai donné son nom cadastral ».
Pari osé mais réussi, car aujourd’hui encore le pinot gris Muenchberg du domaine Ostertag s’appelle toujours A360P « même si depuis le millésime 2000, la commission d’agrément ne m’a plus refusé d’échantillon ».
L’étiquette de la cuvée A360P…
…et la contre-étiquette où figurent le nom du Grand Cru et le cépage.
Quels caractères spécifiques ce terroir transmet-il aux vins ?
Pour André Ostertag la personnalité et la qualité d’un vin ne se révèlent vraiment qu’en bouche « c’est en bouche que naît l’émotion face à un vin…les arômes perçus au nez sont surtout destinés à inciter à la dégustation (…) en ce qui me concerne, j’apprécie un vin pour 80% en bouche et pour 20% au nez ».
C’est un peu le principe de la dégustation « géo-sensorielle » qui remet en pratique la notion de « tâte-vin » que les anciens utilisaient pour évaluer la qualité d’une cuvée.
On comprend donc aisément que lorsqu’il élabore un vin il ne se préoccupe pas trop de la nature de sa palette aromatique tout en restant intransigeant sur sa qualité : « avec mes méthodes de vinification je n’ai aucun moyen d’intervenir sur les arômes d’un vin par contre la pureté et la précision du registre olfactif sont pour moi des exigences absolues ».
C’est donc en termes de présence et de forme en bouche plus qu’en termes de marqueurs aromatiques qu’André nous expliquera comment il voit les vins du Muenchberg :
- Dans leur jeunesse ces vins se caractérisent par « une entrée en bouche avec du gras et de la largeur et une acidité qu’on ne perçoit pas immédiatement » mais cette sensation qu’André qualifie de « trompeuse » ne dure jamais car en finale « la tension minérale provenant du caractère volcanique de ce terroir se manifeste avec éclat et longueur ».
- Avec l’âge les vins évoluent en magnifiant l’expression minérale de leur terroir « l’épiderme gras qui enrobe les vins jeunes se fond et s’amincit pour laisser place à la minéralité ».
André Ostertag considère que l’empreinte volcanique est à l’origine du seul marqueur aromatique typique du Muenchberg « la touche fumée au nez et en rétro-olfaction se retrouve sur tous les vins de ce Grand Cru » mais l’influence de cette composante géologique particulière sera toujours plus évidente au palais : l’attaque très sensuelle due au grès et la finale plus droite et plus austère due aux éléments minéraux volcaniques constituent « le Ying et le Yang qui équilibrent la personnalité des vins du Muenchberg ».
Y-a-t’il dans votre mémoire de dégustateur des vins qui vous ont aidé à vous faire une image de ce que devait être ce Grand Cru ?
Cette question qui a souvent posé des problèmes aux vignerons que j’ai rencontrés jusqu’ici n’a vraiment pas gêné André Ostertag.
Ami avec Dominique Lafon depuis ses études au lycée viticole de Beaune, André a pu découvrir très tôt l’extrême finesse des vins du domaine Comtes Lafon notamment ses cuvées de Montrachet « alliant finesse et persistance sans pour autant devenir envahissants ces vins sont pour moi des modèles esthétiques en bouche ».
Un autre vin « fondateur » a été un Corton Charlemagne 1992 de Coche-Dury « une perfection ! ».
Pour les liquoreux, André a trouvé ses références du côté de la Moselle allemande, en particulier chez son ami Reinhard Löwenstein du domaine Heymann-Löwenstein.
Sans nier l’importance fondamentale des rencontres avec de grandes bouteilles, notre vigneron est convaincu que l’image qu’il se fait d’un grand vin est surtout déterminée par son goût personnel qui s’est construit depuis son enfance et qui continue d’évoluer. « C’est en dégustant les plats préparés par ma mère que j’ai commencé à former mon goût : comme mon père ne pouvait plus manger des plats trop riches, elle a privilégié la légèreté et la finesse dans ses préparations culinaires ».
Par la suite, il y a eu la rencontre avec la poésie – « je me nourris de textes poétiques depuis l’âge de 15 ans » – à qui André attribue une importance fondamentale dans la formation de son sens esthétique « un vin doit être comme un poème d’Eluard : tout à la fois gracieux, léger et profond ».
Ces influences multiples, diversifiées et parfois inattendues ont permis à ce vigneron de se forger une image très personnelle de l’excellence vinique « je cherche des vins qui me touchent et m’émeuvent sans être démonstratifs ».
Comment voyez-vous l’avenir de ce terroir ?
D’après André Ostertag, en Alsace la notoriété d'un Grand Cru est liée aux vignerons qui le mettent en valeur « à l’image du Rangen avec Humbrecht ou du Kastelberg avec Kreydenweiss ». En d’autres termes, un Grand Cru trouve toujours son essence dans « la fusion entre un homme qui le porte et un endroit qui le mérite ».
Mais à l’échelle mondiale (et même nationale), tous les Grands Crus alsaciens souffrent d’un large déficit de reconnaissance et le Muenchberg n’y échappe pas.
Pourtant la Gestion Locale du Muenchberg est une instance qui fonctionne plutôt bien avec des vignerons qui commencent à suivre l’exemple donné par André (et quelques autres comme Patrick Meyer) dans leurs pratiques culturales. C’est ainsi que depuis quelques années, on constate une évolution vers une viticulture plus respectueuse de l’environnement mais aussi un réel gain qualitatif au niveau de l’expression du terroir dans les vins « lors des dernières dégustations comparatives de Muenchberg on commence à sentir se dégager des traits de personnalité communs ».
Il reste cependant bien des obstacles à surmonter pour affirmer et faire reconnaitre les Grands Crus alsaciens à leur juste valeur.
« Comme partout, l’argent reste le nerf de la guerre et constitue souvent un obstacle majeur pour les vignerons désireux d’acquérir les moyens de produire mieux ».
Une viticulture de qualité demande de la présence humaine – « Un grand vin a besoin de petites mains » – et pour pouvoir mettre en pratique cette conception, le domaine Ostertag compte aujourd’hui 8 salariés dont 3 chargés exclusivement du suivi des vignes.
Ceci dit, il faut encore beaucoup de courage pour imposer un prix de vente élevé sur le marché actuel des vins d’Alsace mais en tout état de cause André est formel « aucun Grand Cru ne devrait se vendre à moins de 15 ou 20 euros ».
Cet avis tranché et surement polémique s’appuie pourtant sur une expérience vécue dont la réussite est indiscutable : les vins du domaine Ostertag se vendent tout en affichant des prix bien au dessus de la moyenne alsacienne...dont acte !
Les vins du domaine : quelle conception ?
L’histoire du domaine Ostertag n’est pas très longue puisque ce sont les parents d’André qui ont décidé de créer cette exploitation en 1966. « Mon père était fils d’agriculteur et possédait quelques parcelles sur le ban d’Epfig et ma mère avait un peu de vigne à Nothalten dont une parcelle sur le Muenchberg ».
Ce couple s’est donc lancé dans une aventure viticole avec un modeste patrimoine de 3 hectares qu’ils ont fait fructifier avant de décider de laisser les clés de la cave à leur fils André qui réalise sa première vinification en 1980, à l’âge de 21 ans.
Pari osé mais pari réussi, puisque quelques décennies plus tard le nom d’Ostertag tient fièrement sa place parmi les domaines qui font référence en Alsace.
Au niveau de la vitculture, André Ostertag a très vite choisi de se tourner vers des pratiques respectueuses de l’environnement : culture bio dès le début des années 80 et en biodynamie depuis 1997. Il est d’ailleurs fort probable que la beauté du site du Muenchberg ait contribué à convaincre ce vigneron de la nécessité de travailler en préservant la nature.
Qui aurait envie de « polluer » un endroit pareil !
Aujourd’hui les pratiques certifiées Demeter sont mises en œuvre à la vigne et à la cave « lorsqu’on choisit la biodynamie, c’est à chaque étape de la conception d’un vin qu’il faut l’appliquer ».
Au niveau des vinifications, André Ostertag différencie deux familles de cépages et leur applique des processus de vinification et d’élevage très différents :
- les « cépages réductifs » comme le riesling, le gewurztraminer, le muscat et le sylvaner sont vinifiés et élevés exclusivement en cuves inox.
Le beau cuvier inox du domaine
- les cépages « oxydatifs » qui comprennent tous les pinots sont élaborés dans la pure tradition bourguignonne avec vinification et élevage en barriques de chêne des Vosges : « le chêne vosgien me plaît car sa fibre est très fine mais aussi parce que je pense qu’il y a une réelle synergie qui naît entre du bois et du vin du fait de la proximité de leurs terroirs d’origine ».
Une partie du chai à barriques.
En cave, les fermentations alcooliques se font sous l’action de levures indigènes et durent parfois relativement longtemps : « Certaines cuvées fermentent jusqu’en juillet-août, notamment les cuvées issues du Grand Cru (…) elles demandent une surveillance permanente pour parer au risque de déviation lactique ou acétique ».
Les fermentations malo-lactiques se font naturellement sur la plupart des vins du domaine.
Les mises se font à la fin du printemps pour les sylvaners, les pinots blancs et les gewurztraminers, juste avant les vendanges pour les autres cépages et parfois plus tard pour certaines grandes cuvées qui fermentent plus longtemps.
Un sulfitage très léger est effectué à ce moment : « mes vins voyagent beaucoup et doivent être protégés ».
Sur les 14 hectares de son domaine André Ostertag et son équipe produisent une large gamme de vins dont les 2/3 partent à l’export dans une trentaine de pays (70% en Europe, 20% en Amérique et 10% en Asie).
Sur le plan national, le domaine vend très peu à des clients particuliers (autour de 5%) : « notre image a toujours été portée par la restauration et par l’export ». C’est donc surtout chez des cavistes ou sur les grandes tables françaises que l’amateur devra chercher des bouteilles signées par André Ostertag.
Et dans le verre ça donne quoi ?
A l’heure actuelle la carte du domaine Ostertag comporte une série de vins qu’André a classifiés en 3 catégories distinctes :
- les vins de fruit : du sylvaner, du pinot blanc, du pinot gris, du pinot noir, du riesling et du gewurztraminer issus principalement de parcelles sur Epfig.
- les vins de pierre : à Epfig, du muscat, du pinot gris, du pinot noir et du riesling sur le terroir du Fronholtz, à Nothalten, du riesling sur le Heissenberg, du pinot gris sur le Zellberg, et du riesling et du pinot gris sur le Grand Cru Muenchberg, à Ribeauvillé du riesling sur la parcelle granitique du Clos Mathis.
- les vins de temps : une vendange tardive de riesling sur le Muenchberg et une vendange tardive de gewurztraminer sur le Fronholtz.
Bien évidemment une dégustation exhaustive de la gamme serait tout à fait intéressante – je la ferai peut-être à l’occasion d’une autre visite – mais aujourd’hui le temps nous manque…il va falloir nous recentrer sur le sujet principal de cet article.
André me propose de l’accompagner dans la cave de stockage pour choisir une triplette de rieslings Muenchberg d’âge différent puisque « la grandeur d’un vin se voit dans le temps » nous allons donc survoler 2 décennies avec 3 bouteilles.
Dans ce grand espace enterré se trouve la mémoire vinique du domaine « environ 10000 bouteilles qui nous permettre de suivre l’évolution de nos vins et de répondre à certaines demandes exceptionnelles de nos clients restaurateurs ».
André dans l’oenothèque du domaine à la recherche des millésimes sélectionnés.
Triplette gagnante : 2012 – 2002 – 1993
La belle luminosité des robes avec des nuances de jaune qui marquent leur âge : de gauche à droite 2012 – 2002 – 1993
Riesling Muenchberg 2012 : le nez est pur et fin avec une palette assez expressive et déjà bien complexe où on reconnaît des notes de fleurs blanches et d’ananas frais sur un fond discrètement vanillé, en bouche la matière est bien juteuse avec une structure sphérique et une présence aromatique qui flatte les papilles, la finale s’étire et se tend pour laisser une belle sensation de fraîcheur.
Avec son aromatique exubérante et sa matière pleine d’une énergie juvénile très virevoltante ce Muenchberg à qui on n’a pas laissé le temps de se poser vraiment donne pourtant une superbe impression de gourmandise tout en révélant une structure en bouche dont la forme porte déjà la signature du Grand Cru.
Cette cuvée somptueuse demandera bien évidemment quelques années de garde pour exprimer pleinement son grand potentiel…mais que ce sera dur de résister à la tentation du plaisir immédiat !
Riesling Muenchberg 2002 : ouvert et racé le nez délivre des arômes d’agrumes mûrs soutenus par une présence minérale bien marquée, après une attaque pleine de rondeur la bouche développe une matière très puissante qui allie gras et acidité dans un équilibre parfait, la finale revient sur davantage de droiture avec une salinité affirmée et un beau sillage fumé et épicé.
Avec ce Muenchberg qui s’offre à nous dans la force de l’âge, on accède à une forme de quintessence dans l’expression de ce terroir : pur et racé au niveau aromatique, sensuel, élégant et d’une infinie profondeur en bouche ce riesling est un ravissement.
Très grand vin !
Riesling Muenchberg 1993 : le nez est pur et intensément minéral avec des notes de zestes d’agrumes et de pierre chaude, en bouche l’équilibre est sec avec une matière qui exprime un gras très « bourguignon », la finale est pleine de fougue avec une acidité citronnée et sillage minéral d’une longueur impressionnante.
Illustration parfaite de l’évolution des vins du Muenchberg dans le temps, ce riesling épuré, minéral, peut-être un peu tellurique, exprime avec véhémence la force de ce Grand Cru.
Ce vin monolithique qui assume sans forfanterie une puissance impressionnante impose le respect absolu et invite au silence et à la méditation.
Pour conclure, un petit bilan sur cette nouvelle expérience de visite approfondie d’un terroir Grand Cru (attention je risque de me répéter…) :
- J’ai renforcé ma conviction qu’une bonne compréhension d’un vin passe évidemment par la dégustation mais s’enrichit considérablement si on fait la démarche d’aller sur place, sentir l’énergie des terroirs où il naît et rencontrer les gens qui le conçoivent…je ne boirai plus jamais des Muenchberg comme avant !
- Cette dix septième étape sur la route des Grands Crus m’a fait découvrir un endroit un peu magique qui séduit immanquablement tout promeneur qui s’aventure dans ce vallon caché au sein des collines vosgiennes. Au premier contact, le site du Muenchberg impressionne par sa beauté sereine et apaisante mais comme nous le rappelle André Ostertag « ce lieu dégage une grande force » et ne laisse personne indifférent.
D’ailleurs j’y suis retourné déjà à cinq reprises depuis ma première visite…c’est dire !
- Les vins du Muenchberg expriment ce terroir complexe et original en associant la délicatesse d’une marque gréseuse avec la minéralité un peu virile issue du substrat volcanique. Si on considère généralement le riesling comme un monarque parmi les cépages alsaciens, on peut penser que son royaume se pourrait se trouver sur ce coteau béni au pied de l’Ungersberg.
Hautement appréciables dans leur jeunesse où brille leur côté suave et élégant, les crus du Muenchberg se déparent quelque peu de enveloppe charnelle pour nous montrer la profondeur du message de leur terroir : au début ces vins éveillent notre sensualité mais lorsqu’ils sont matures c’est à notre esprit – et peut-être à notre âme – qu’ils parlent.
- Dans ma longue quête sur la route des Grands Crus d’Alsace j’ai rencontré des vignerons extraordinaires qui vivaient intensément leur relation avec leurs vignes, mais avec André Ostertag j’ai ressenti autre chose : une vraie synergie entre un homme et son terroir.
Un peu comme Claude Weinzorn et son Sommerberg, André vit une complète réciprocité dans le rapport qu’il entretient avec le Muenchberg « c’est un terroir qui façonne l’homme qui le travaille ».
Plébiscité par toutes les sphères œnophiles, ce vigneron qui allie un certain pragmatisme très « paysan », une exigence absolue pour le respect de la nature et une fibre artistique clairement assumée, se définit plus comme un sculpteur que comme un alchimiste : il est tout d’abord un guide attentionné à l’écoute de sa vigne pour l’aider à s’épanouir dans son milieu et produire les plus beaux fruits possibles avant de devenir artiste pour « polir cette matière originelle » et révéler les pépites que les terroirs autour de Nothalten ou d’Epfig peuvent générer.
Une belle philosophie dont la mise en œuvre aboutit à la réalisation de grands vins...Chapeau l’artiste !
- Parfois je me dis que mon projet d’étudier tous les Grands Crus alsaciens est trop ambitieux et la peur de ne plus trouver de choses originales et intéressantes à raconter sur tous ces terroirs me taraude à chaque nouvelle étape. Mais lorsque je rencontre des personnalités comme André Ostertag et des lieux magiques comme le site du Muenchberg, je repars avec une énergie redoublée à la poursuite de ma quête.
Mille mercis à André pour cette belle matinée passée en sa compagnie.
Une dernière vue sur ce site que je quitte avec regret pour une nouvelle étape dans le Haut-Rhin…mais je reviendrai très vite !
Première publication de cet article : 2014
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