Invité par l’U.G.V. pour parler des grands vins allemands, Reinhard Löwenstein a emmené un auditoire de 130 passionnés dans un superbe voyage culturel et gustatif à travers les meilleurs terroirs d’outre-Rhin.
Les membres de l’U.GV. dans le salle Schweitzer du Palais de la Musique et des Congrès de Strasbourg
Vigneron atypique, très cultivé et parlant français avec une aisance étonnante, Reinhard a commencé son exposé en nous contant l’histoire tourmentée de la viticulture allemande.
A la fin du 19° siècle, après une série de crises successives, les vignerons allemands ont été confrontés à des choix complexes pour redresser leur situation : frauder, compter sur les aides de l’Etat, utiliser la chimie pour produire des vins à faible coût ou miser sur la qualité.
La dernière option qui est évidemment la plus difficile n’a intéressé que peu de monde mais a permis de donner naissance à un mouvement de vignerons désireux de promouvoir les meilleurs terroirs allemands en produisant des cuvées haut de gamme.
L’actuel « Verband Deutscher Prädikatsweingüter » qui est une association réunissant aujourd’hui 202 membres peut être considéré comme une émanation de ce mouvement. Ces vignerons ont choisi la voie de l’excellence se plient à des règles très strictes et se font contrôler régulièrement pour conserver le droit d’arborer sur leurs bouteilles le prestigieux sigle du VDP.
Le sigle du VDP : un aigle avec une grappe de raisin.
Les vins estampillés VDP proposent une hiérarchie à 4 niveaux qui n’est pas sans rappeler la Bourgogne : VDP Gutswein, qu’on peut assimiler à l’appellation Régionale, VDP Ortswein, qu’on peut assimiler à l’appellation Village et enfin VDP Erste Lage et VDP Grosse Lage, qui correspondent respectivement aux Premiers Crus et aux Grands Crus bourguignons.
Reinhard Löwenstein entouré de membres du bureau de l’U.G.V.
Avant le service des premières bouteilles Reinhard répond aux nombreuses questions qui lui sont posées en nous dévoilant au fur et à mesure sa vision du vin et du métier de vigneron.
On aborde entre autres la question du vin industriel ou mondialisé (filière largement dominante en Allemagne) qu’il considère comme un élément de démocratisation du vin et la question du vin Bio dont il pense que l’idée a été banalisée et pervertie par le marketing et qu’il faut absolument redéfinir pour « aller plus loin ».
Pour conclure, Jean-Michel Deiss revient sur le thème principal de cette soirée en demandant à Reinhard Löwenstein de préciser sa définition personnelle d’un grand vin…morceaux choisis :
- « un grand vin c’est un élément de culture, son approche demande une éducation »
- « pour moi la civilisation c’est l’interaction entre l’homme et la nature, un grand vin est donc tout naturellement un produit de civilisation »
- « pour élaborer un grand vin le vigneron doit gérer un subtil dosage entre accompagnement et intervention »
- « l’identité d’un grand vin se décline selon 3 éléments : un millésime, un vigneron, un lieu-dit »
- « le terroir est une notion complexe, presqu’un peu nébuleuse…c’est sûrement pour ça que je l’aime ».
Verre noir ou verre classique…au choix du dégustateur pour les travaux pratiques.
Pour illustrer ses propos Reinhard Löwenstein nous invite à déguster 8 flacons soigneusement sélectionnés chez des amis vignerons qui partagent ses critères d’exigence.
Les vins sont goûtés étiquettes découvertes et commentés en direct.
Spätburgunder Hunsrück 2008 – Weingut Paul Fürst à Bürgstadt (Franken) : robe claire, nez qui s’ouvre sur des notes un peu lactées avant de livrer une palette raffinée, framboise, boisé délicat et une petite touche crayeuse, attaque tonique en bouche, matière souple, chair gourmande, moyennement charpentée, finale fraîche et sapide avec un sillage aromatique légèrement fumé.
Ce pinot noir originaire de la région de Franconie et né sur un terroir à dominante gréseuse (Bundsandstein) s’exprime avec une élégance très « bourguignonne » : plus fin que puissant mais d’une très belle complexité, il porte indéniablement la marque des grands vins.
Ceci dit, le prix élevé de cette bouteille (plus de 80 euros) la place en concurrence avec certains Grands Crus de la Côte de Nuits…dans ces conditions, je ne suis pas sûr de faire des infidélités à la Bourgogne !
Silvaner Maustal 2012 – Weingut Zehnthof-Luckert à Sulzfed (Franken) : nez pur et très séduisant sur l’ananas frais et le miel de fleurs, matière riche et profondément fruitée en bouche, acidité mûre et bien large, finale minérale et salivante.
Avec sa matière splendide, sa grande complexité et son équilibre idéal ce magnifique sylvaner né sur les calcaires de Franconie (Muschelkalk) et travaillé en biodynamie et un vrai bonheur.
Hors de prix (35 euros) lorsqu’on pense que ce n’est qu’un sylvaner (surtout pour un alsacien !), cette bouteille est une vraie aubaine lorsqu’on considère sa qualité vraiment superlative. Coup de cœur !
Riesling Morstein 2012 – Weingut Wittmann à Westhoffen (Rheinhessen) : nez charmeur avec un registre exotique (ananas et mangues fraîches) sur un fond finement citronné, l’oxygénation apporte un supplément de complexité en révélant de belles notes florales, bouche vive à l’attaque, matière avec un joli gras et une salinité intense, finale longue avec une belle présence minérale.
Provenant d’un terroir calcaire ce jeune riesling séduit par un côté juteux assez juvénile mais montre déjà un fond salin qu’on ne retrouve que dans les grands vins. Superbe dès aujourd’hui cette bouteille gagnera certainement en expression minérale avec l’âge mais est-ce bien nécessaire ?
Riesling Gaisböhl 2012 – Weingut Bürklin-Wolf à Ruppertsberg (Pfalz) : nez plus discret, toujours marqué par un petit caractère exotique mais avec une présence citronnée et pierreuse plus intense, bouche vive et concentrée avec une acidité qui trace tout droit et une longue finale minérale.
Les grès et basaltes de ce terroir très pierreux du Palatinat ont donné à ce riesling un profil minéral qui peut faire penser à certain Grands Crus alsaciens…mais je reste néanmoins impressionné par la puissance de sa matière. Un monstre endormi !
Riesling Herrmannshöhle 2012 – Weingut Dönnhoff à Niederhausen (Nahe) : nez discret sur les agrumes avec un fond minéral déjà très sensible, puissant et viril en bouche avec une acidité longue et tranchante qui tend solidement une finale saline accompagnée de fins amers.
Né sur un terroir de schistes gris et porphyres, ce riesling viril et austère est encore bien jeune pour arriver à actualiser son potentiel et à délivrer la profondeur de son message. Incontestablement grand mais encore un peu sur la « défensive » aujourd’hui, ce vin est taillé pour défier le temps.
Riesling Berg Schlossberg 2006 – Weingut Georg Breuer à Rüdesheim (Rheingau) : aromatique plus évoluée, noble et complexe avec de belles notes de miel floral, de camphre, de résine, matière généreuse sous tendue par une acidité mûre et large, finale qui étire un long sillage balsamique et finement grillé.
Issu d’un millésime compliqué (en Allemagne également…) ce riesling dégusté dans la force de l’âge a impressionné les vignerons assis autour de notre table : un vin plein et équilibré qui dégageait un magnifique sentiment de devant lequelle personne n’a pu rester indifférent.
Riesling Uhlen Roth Lay 2006 – Weingut Heymann-Löwenstein à Winnngen (Mosel) : évolué et très complexe au nez avec des notes d’agrumes mûrs, de résine et une minéralité très pénétrante, présence très sphérique en bouche avec une matière puissante et bien mûre, finale longue, intense et très saline.
Pour ne pas être en reste le maître de cérémonie nous a servi une de ses cuvées issues du même millésime que le vin précédent…histoire de nous impressionner encore un peu plus peut-être !
Né sur des coteaux de schistes gris aux pentes vertigineuses qui bordent la Moselle, ce riesling provient d’une vendange botrytisée à 60% mais aujourd’hui son équilibre est tout simplement parfait : une présence minérale pure et intense et une matière fruitée riche (environ 16g de SR) conjuguent leurs énergies pour créer une silhouette svelte et racée…Magnifique !!!
Le coteau de Uhlen-Rot Lay (photo empruntée sur le siteHeymann-Löwenstein)
Riesling Schartzhofberg Spätlese 2004 – Weingut Egon Müller à Wiltingen (Saar) : nez fin et subtil avec une expression aromatique complexe, bouche ample et large avec une petite trame finement tannique et une fine acidité, la finale est puissamment minérale.
Bien évidemment, on ne pouvait pas terminer cette série de superbes cuvées allemandes sans une bouteille de maître Egon !
Avec ce riesling Spätlese issu d’un autre millésime difficile, la série se termine dans une ambiance calme et posée où tout est raffinement et complexité…un grand vin de méditation !
Après cette succession de très grandes bouteilles, les convives sont invités à partager un moment de convivialité autour d’un buffet de fromages de toute beauté préparé par le maître Cyrille Lohro et son équipe…
Préparation du buffet avec une magnifique sélection de fromages
…sans oublier une table richement garnie de bouteilles apportées par les invités pour arroser le repas.
Plus de 100 bouteilles alignées qui attendent d’être dégustées…
…mais certains font des heures supplémentaires !
Pour conclure
C’est André Ostertag qui m’a parlé pour la première fois de Reinhard Löwenstein il y a quelques semaines alors que nous nous rencontrions pour parler du Grand Cru Muenchberg : il m’avait dit toute l’admiration qu’il portait à ce vigneron, notamment pour son travail sur les vins liquoreux.
Evidemment lorsque j’ai appris que l’U.G.V. avait invité Reinhard Löwenstein au Palais de Congrès de Strasbourg pour une conférence-dégustation, j’ai sauté sur l’occasion en participant à cet évènement…et je n’ai pas été déçu !
Orateur brillant et passionnant, Reinhard a conquis l’assemblée d’œnophiles de ce soir par son discours enthousiaste mais sans concession sur les grands vins allemands.
Illustrée par un diaporama qui nous montrait les splendides coteaux viticoles mosellans – dont certaines pentes feraient passer le Sommerberg pour une petite croupe médocaine – et par une sélection de vins allemands absolument sublimes, cette conférence fut vraiment une expérience mémorable… Merci Reinhard !
Cela fait longtemps que j’envisage une petite escapade dans le vignoble mosellan, mais après ce que j’ai entendu, vu et bu ce soir, je crois que cette visite va devenir une priorité absolue…et pourquoi pas au domaine Heymann-Löwenstein !
J’ai également beaucoup apprécié l’ambiance qui régnait ce soir à l’U.G.V. : simplicité et convivialité autour d’une passion partagée…tout ce que j’aime !
Merci à ceux qui ont œuvré pour rendre possible ce beau moment.
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