J’ai à peine eu le temps de faire mes bagages après ma sortie dans le Sud avec l’ami François, que me voilà déjà reparti en compagnie des jeunes cavistes de « La Vinoterie » pour faire une série de visites dans le vignoble de Jurançon et dans le vignoble d’Irouléguy.
Deux journées intenses où nous irons vadrouiller entre Béarn et Pays Basque pour rencontrer Maxime Salharang au Clos Larrouyat à Gan, Jean-Baptiste Semmartin au domaine Lajibe à Lucq-de-Béarn, Anne-Marie Barrère au domaine Barrère à Lahourcade, Bixente Indart au domaine Goienetxea à Saint-Etienne-de-Baïgorry, Paul Carricaburu au domaine Espila à Ascarat, Michel Riousperous au domaine Arretxea et Peio Espil au domaine Ilarria, tous deux basés à Irouléguy
Hoppla, c’est parti !
Visite au domaine Lajibe à Lucq-de-Béarn
Jean-Baptiste Semmartin devant sa cave
Après une pause de midi dans un restaurant local, nous nous retrouvons à Lucq-de-Béarn où nous avons rendez-vous avec Jean-Baptiste Semmartin, un ancien sportif de haut niveau – il faisait partie de l’équipe de France de sabre – qui a démarré son activité de vigneron en 2018 sur les terres du domaine Larroudé.
Je sens que cette rencontre va être passionnante…
Après un parcours de formation très complet qui l’a fait passer par le Médoc (au château Grand Puy Lacoste), le Roussillon (à Collioure) et la Bourgogne (au domaine Giboulot), Jean-Baptiste Semmartin est revenu dans le Béarn pour travailler au domaine Cahaupé avant de décider de s’installer en 2018 sur un fermage de 2,5 hectares de vignes du domaine Larroudé.
On est bien au bon endroit
A l’heure actuelle, il dispose d’une superficie totale de 8 hectares de vieilles vignes – « elles ont entre 40 ans et 100 ans » – situées sur des « sols diversifiés, plus ou moins drainants, du piémont plissé des Pyrénées ».
Un paysage vallonné avec des ilots de vignes.
Les vignes sont plantées à faible densité sur les coteaux où les conditions sont favorables à leur culture.
Une parcelle de vigne du domaine.
Les parcelles du domaine sont situées dans une « vallée fermée à l’ouest et protégée des vents dominants ».
C’est un terroir précoce où les mansengs mûrissent tôt mais grâce à l’humidité et aux acidités naturelles des cépages « les PH des vins du domaine se situent toujours autour de 3 ».
Au niveau de la gestion et du travail des sols, Jean-Baptiste Semmartin se base avant tout sur leur aspect physique : « leur capacité à se réchauffer ou à retenir l’eau ».
Toutes les vignes du domaine sont cultivées en biodynamie, labellisée DEMETER.
Les vendanges sont manuelles et sont programmées quand les raisins ont atteint leur maturité optimale : « j’effectue de nombreux passages dans les vignes pour goûter les raisins car la précision de la date des vendanges est l’une des clés pour la réussite d’un bon vin ».
On se retrouve au chai pour parler vinification et élevage
Jean-Baptiste accorde également une importance cruciale à la gestion des pressurages pour rechercher « un équilibre de pellicule plus qu’un équilibre de pulpe ».
Les vins du domaine sont travaillés « à la bourguignonne » avec des fermentations et des élevages en pièces de 228 litres.
Les fermentations se font de façon spontanée sous l’action des levures indigènes et durent entre 3 mois et un an : « avec des masses levuriennes assez faibles, les dynamiques de fermentations sont très lentes ».
Les durées d’élevage sont variables d’une cuvée à l’autre : « je mets en bouteille lorsque ça ressemble à du vin »…et en règle générale ça peut durer entre 1 et 2 ans.
La pièce bourguignonne règne en maîtresse absolue dans le chai du domaine Lajibe
Jean-Baptiste élabore ses vins de façon naturelle, sans filtration et avec très peu ou pas de sulfitage à la mise : « les vins de 2021 ont été faits sans SO2 ».
Le domaine produit environ 6000 bouteilles par millésime mais à l’heure actuelle il n’y a plus rien à vendre sur place…nous allons donc déguster quelques vins encore en cours d’élevage.
Mansengs 2023 : nez citronné et crayeux, bouche fraîche et tendue avec une belle salinité et un toucher légèrement grenu, finale tonique, longue et salivante.
Réalisée à partir d’un assemblage de petits et gros mansengs, cette cuvée de négoce nous emmène directement dans l’univers esthétique des vins du domaine Lajibe : il y a du jus, de l’énergie, de la tension et une très belle trame minérale/saline…voilà une dégustation qui commence très bien !
Marcel 2023 : nez pur et charmeur qui développe une belle palette florale sur un fond crayeux, bouche pleine et charnue avec un centre qui laisse une petite impression de rondeur très agréable mais l’équilibre reste frais grâce à une acidité vive et centrée et une présence saline sensible, finale nettement plus tonique stimulée par un léger grip tannique et une délicate amertume.
La seconde cuvée de négoce du domaine Lajibe est un assemblage de 2/3 de petits mansengs et de 1/3 de gros mansengs nés sur des parcelles situées en altitude et assez proches de la montagne pyrénéenne.
C’est un vin charmeur, légèrement plus opulent que le précédent mais avec toujours cette finale salivante et pleine d’énergie qui lui confère une parfaite buvabilité.
Serres-Seques 2023 : nez ouvert et très complexe avec des notes de fruits exotiques et de citron, bouche juteuse et large tendue par une acidité véloce et tranchante, texture légèrement grenue, finale longue et sapide avec une salinité intense et de beaux amers minéraux.
Cette cuvée parcellaire a été réalisée à partir de petits mansengs récoltés le 30 août sur une vieille vigne très pentue exposée au sud. Très expressif sur le plan aromatique, ce vin impressionne par sa présence en bouche pleine d’énergie…c’est un vin complexe et vibrant qui ne laissera personne indifférent. MIAM !
Clos Benguères 2023 : nez complexe et raffiné avec des notes de fruits blancs et de poudre de craie sur un fond végétal noble, bouche longiligne tendue par une acidité mûre mais intense mais avec un centre suave et gourmand, finale très digeste stimulée par un sillage citronné et une légère tannicité.
Née sur des sols plus légers à dominante calcaire cette cuvée réalisée à partir d’un assemblage à parts égales de gros et petits mansengs, joue avec brio la carte du charme et de l’accessibilité…un vin qui se livre avec une belle franchise mais qui dispose également de ressources nécessaires pour évoluer favorablement dans le temps.
Dégustation sur fûts au domaine Lajibe
Clos Benguères 2022 : un nez séduisant avec des notes de fleurs blanches et de massepain sur un fond finement oxydatif, bouche ample avec un joli gras et une acidité pointue qui équilibre l’ensemble, finale saline et longuement aromatique marquée par un beau sillage sur l’amande grillée.
Pour le millésime 2022, Jean-Baptiste a choisi d’élever cette cuvée sans ouillage « pour que le vin s’affine davantage » et pour l’heure, le résultat semble très prometteur. C’est un vin très complexe et d’une grande délicatesse.
Serres-Seques 2022 : nez assez discret qui laisse deviner une palette fruitée très complexe, bouche puissante avec un équilibre bien gourmand mais d’une parfaite digestibilité, finale tonique et salivante avec une très belle persistance fruitée
Serres-Seques 2021 : un nez très raffiné avec une palette très complexe sur les herbes de montagne, le citron frais et la craie, bouche concentrée mais très longiligne, étirée par une très belle tension acide et une salinité intense, finale fraîche et légèrement tannique avec une longue persistance fruitée et balsamique.
Les éditions 22 et 21 de la fameuse cuvée Serres-Seques s’expriment de façon assez différente avec un 2022 dégusté sur fût, encore un peu retenu sur le plan aromatique mais très séduisant en bouche et un 2021 (en bouteille) expressif et racé, marqué par une profonde minéralité.
D’ailleurs nous avons eu le plaisir de regoûter ce vin et mesurer l’étendue de son potentiel gastronomique lors d’un dîner mémorable au restaurant « Chez Mattin » à Ciboure.
Des prélèvements plus ou moins acrobatiques dans le chai du domaine Lajibe
Serres-Seques 2018 : aromatique très délicate avec des notes de citron confit, d’ananas frais et de miel, bouche bien concentrée avec une attaque franche et vive, un centre riche et profondément fruité, une finale longue et digeste, étirée par une acidité bien tranchante.
Avec 100 grammes de S.R. pour 11°5 d’alcool et un PH à 3, la première cuvée de Serres-Seques vinifiée par Jean-Baptiste Semmartin, nous propose une version plus traditionnelle d’un jurançon mais on y perçoit déjà le style punchy qu’on va retrouver dans les grands vins secs des millésimes suivants.
Le premier millésime de Serres-Seques du domaine Lajibe.
Serres-Seques 2019 : nez ouvert et très original avec des notes de vieux rhum ambré et de poudre de craie sur un fond tourbé/fumé, bouche très puissante avec un jus riche et dense soutenu par une base acide/saline solide, finale très sapide avec des amers nobles et un long sillage empyreumatique (torréfaction, cacao…).
Pour cette cuvée Serres-Seques 2019, Jean-Baptiste a opté pour un élevage oxydatif prolongé, toujours en cours à l’heure actuelle.
C’est un vin avec une personnalité affirmée qui bouscule un peu les codes de cette appellation mais qui se laisse déguster avec un très grand plaisir dès maintenant.
Notre tournée dans le vignoble béarnais se poursuit avec une seconde visite mémorable chez un vigneron un peu atypique mais passionné par ces beaux terroirs du piémont pyrénéen qu’il défend et met en valeur en produisant des vins de très haute tenue.
Il faut dire que la trajectoire de vie de cet ex-champion d’escrime qui a réussi une brillante reconversion dans ses terres natales a de quoi susciter l’admiration : repérés dès les premiers millésimes par les amateurs avertis et la presse œnophile, les vins du domaine Lajibe ont connu un succès fulgurant pour devenir très vite des raretés recherchées sur le marché vinique…d’ailleurs, au moment de notre passage, il n’y avait aucune bouteille disponible à la vente. Dommage !
Malgré ceci, Jean-Baptiste Semmartin garde la tête froide et continue de mener à bien son projet en gardant la même exigence et la même ligne de conduite : loin de céder aux pressions d’une demande qui ne cesse de croître il accompagne patiemment ses vins et les laisse se faire à leur rythme.
Bien évidemment, j’ai pleinement apprécié cette visite qui m’a permis de rencontrer un très grand vigneron et de découvrir une production vinique vraiment hors normes : une série de cuvées vinifiées sans intrants mais remarquables de précision et d’énergie…bref, des bouteilles qui méritent leur place dans la cave de tout amateur de grands vins.
Merci Jean-Baptiste pour ton accueil, bravo pour tes vins et longue vie au domaine Lajibe.
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